Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée Nationale et du parti APP au Calame

‘’ Le discours inaugural de la session de l’Assemblée nationale est le mien. Si El Arby se l’est approprié, eu égard aux vagues soulevées dans sa majorité, c’est bien par courage et délicatesse qui sont tout à son honneur’’.

 

 

Le Calame: Vous venez d’être reçu par le président de la République. De quoi avez-vous parlé? Chaque fois qu’il vous reçoit, l’opinion mauritanienne s’attend à une avancée, dans la décrispation de la scène politique…

Messaoud Ould Boulkheir : On a parlé de choses et d’autres dont, notamment, la décrispation de la scène politique qui est devenue un thème permanent et qui, de mon point de vue, est, aujourd’hui, à portée de main, dès lors que les uns – le président de la République et sa majorité – et les autres – l’opposition – ont pris conscience de l’existence d’une crise politique, qu’ils ont, clairement, affiché leur volonté de dialoguer, pour la résoudre, et qu’enfin, le climat politique et social national et international y incitent urgemment.

Cette audience intervient au lendemain du discours inaugural de la session de l’Assemblée nationale. Ce discours, lu par votre vice-président, a suscité des dissensions, au sein de la majorité présidentielle. Accusé, par ses amis, d’avoir lu votre discours, El Arby s’est fendu d’un communiqué pour en faire sien le contenu. Ce discours était-il le vôtre ? El Arby pouvait-il le lire, sans en avoir parlé au président de la République?

Bien évidement, le discours inaugural est le mien, ès qualité. Si le premier vice-président l’a lu, ès qualité, lui aussi, et n’a pas déclaré, au départ, qu’il le faisait en mon nom; s’il se l’est, enfin, approprié, eu égard aux vagues soulevées dans sa majorité, c’est bien par courage et délicatesse qui sont tout à son honneur, puisque que, après tout, l’Assemblée nationale est une institution de la République tout à fait indépendante, du point de vue de la Constitution, du Pouvoir exécutif et son Bureau peut, tout aussi bien, avoir un point de vue transcendant… Quant à ce que pouvait ou ne pouvait pas le vice-président El Arby, il est plus à même d’y répondre, sans nuances, alors que moi-même, je réponds… pourquoi pas?

Vous avez invité et conseillé le président de la République à entamer le dialogue, avec l’opposition démocratique. Mohamed Ould Abdel Aziz a répondu favorablement mais on ne voit rien venir. Continuez-vous, au terme de cette dernière audience, à espérer l’amorce de ce dialogue, tant souhaité par les Mauritaniens?

Très honnêtement, je suis sorti plus convaincu que jamais: le dialogue est la seule voie de sortie de crise, qui convienne au pays, et mon sentiment, je n’éprouve aucune gêne à le dire, est que le président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, est tout à fait sincère, en y appelant. Tout en reconnaissant, à chacun, le droit d’y croire ou de ne pas y croire…

Dans sa volonté de dialogue, l’opposition politique serait-elle prête à sacrifier les Accords de Dakar, pour solder la présidentielle de juillet 2009? Contre quoi, alors ?

Les Accords de Dakar ou de Nouakchott ne sont pas antinomiques du dialogue mais, bien au contraire, en constituent la substance, puisque tous les thèmes, et ceux des Accords de Dakar en priorité, peuvent y être discutés: aucun thème n’y est tabou.
Quand à l’élection présidentielle de 2009, elle a été soldée, depuis déjà bien longtemps, et le fait d’en reparler, maintenant ou un peu plus tard, ne change à cette réalité. Ne répondant que de moi-même, je n’ai jamais rien entrepris, politiquement, que dans l’intérêt supérieur de la Patrie dont il faut consolider l’unité, raffermir les liens de fraternité et de solidarité, dans le cadre d’un Etat de Droit véritable, parce qu’ayant pour fondation une démocratie véritable, loin de toute vindicte, de règlement de comptes ou d’amour-propre, à rebours…

Certains cercles croient savoir que le pouvoir retarde le dialogue, pour diviser l’opposition. Selon ces sources, il souhaiterait dialoguer avec l’APP, El Wiam, Tawassoul et, partant, marginaliser le RFD et l’UFP. Etes-vous au courant de ces rumeurs? Accepteriez-vous, si tel était le cas, de discuter avec Mohamed Ould Abdel Aziz, sans la COD ? La coalition reste-t-elle suffisamment solide, pour résister à cette entreprise de sape ?

Les cercles? Il y en a tellement qu’on ne sait plus où donner de la tête et donc, forcément, plus l’offre est grande, plus la valeur est moindre. Il ne faut pas, toujours, attribuer, aux autres, la responsabilité de nos propres carences. Pour ne parler que de moi, j’ai décidé de ne plus accepter d’être l’otage des paroles d’autrui. Mon parti et moi-même sommes partisans du dialogue et nous allons y aller, seuls ou avec les autres. N’oubliez pas que mon parti a déjà refusé, seul, d’aller avec tous les autres et il ne l’a jamais regretté. Si, demain, il est condamné à devoir partir, seul, il partira seul et je garantis qu’il n’aura pas à le regretter. Je suis sûr que la COD ne saura pas résister à ses velléités internes d’éclatement, aujourd’hui plus fortes que jamais…

Le report des sénatoriales partielles a été interprété, par certains, comme une concession à la COD qui le demandait? Etes-vous de cet avis?

Je suis, effectivement, de cet avis, sans rejeter l’autre interprétation, consistant à accréditer l’hypothèse que l’UPR voulait s’éviter l’humiliation d’une défaite, certaine, consécutivement à ses mauvais choix qui ont généré une multitude de candidatures indépendantes internes.

Après les sénatoriales, la Mauritanie se dirige vers des municipales et législatives, en octobre ou novembre prochain. Sans ce dialogue réclamé de toutes parts – sans un minimum, donc, de consensus national – pourrait-on organiser de tels scrutins?

Je pense avoir clairement suggéré, dans mon discours – objet de votre seconde question – l’idée que de telles élections gagneraient à être retardées, pour deux raisons fondamentales. A savoir: le problème d’un état civil fiable, d’une part, et, d’autre part, l’absence d’un code électoral consensuel.

Votre parti enregistre, depuis peu, quelques remous. Des cadres vous accusent de «déviationnisme», de vous opposer à la renaissance du mouvement El Hor dont vous êtes un des membres fondateurs. A votre avis, El Hor a-t-il accompli sa mission?

N’en déplaise à nos adversaires, il ne s’agit, tout au plus, qu’une tempête dans un verre d’eau, puisque, on le voit bien, il n’y a pas sujet à débat, quand on demande, à un président d’un parti politique national, en quête du pouvoir, de s’appuyer, exclusivement, sur une communauté ethnique ou sociale, à l’exclusion de toutes les autres. Bien évidemment, El Hor a accompli sa mission qui consistait à attirer l’attention sur un problème réel que tous voudraient occulter – les victimes autant, sinon plus, que tous les autres – et à engager les pouvoirs publics et la société civile, à lui trouver les solutions les plus appropriées et les plus justes.
Aujourd’hui, ce qui, hier, était considéré, exclusivement, comme le problème de Messaoud et de ses amis, est devenu un problème national. Que peut-on demander de plus, sinon prendre, par la main, tous les autres et travailler de concert avec eux, dans l’unité et la fraternité, au lieu d’exacerber les différences et cultiver la haine?

Pour ces cadres, la situation des Haratines n’a pas changé au point de justifier la disparition du mouvement. Vous n’êtes pas de leur avis?

Le Mouvement n’avait pas vocation de faire disparaître, par lui-même, même s’il le pouvait, les inégalités et les injustices. Ceci est le rôle du pouvoir et du temps…

Certains observateurs voient, en cette fronde, une guerre de positionnement, pour votre succession. Pensez-vous, comme certains, que les frondeurs bénéficieraient du soutien du pouvoir en place, pour vous affaiblir?

Encore une fois, apprenons à nous regarder, vraiment, en face et assumons nos propres tares… Mais ne s’érige pas leader qui veut, sauf dans son propre esprit…

Cette contestation, au sein de l’APP, intervient au moment où l’épineuse question de l’esclavage resurgit, avec force, grâce à l’IRA et à SOS- Esclaves. Que pensez-vous du combat que livre Biram et ses amis? L’avez-vous rencontré personnellement?

Depuis le 5 mars 1978, le problème de l’esclavage a accommodé toutes les sauces de chacun des Mauritaniens, puisqu’on en disait que c’est un fond de commerce, pour ceux qui en parlent comme d’un phénomène réel, ce qui en faisait, par voie de conséquence, une autre affaire commerciale, pour ceux qui n’y voient qu’un phénomène imaginaire… Donc, qu’on l’accepte ou pas, le problème de l’esclavage n’a jamais cessé, depuis cette date, d’être posé; avec le président Maaouya; durant la transition, avec le président Ely Ould Mohamed Vall; puis avec le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Ce à quoi l’on assiste, actuellement, notamment à travers certaines interventions de l’IRA, du militant anti-esclavagiste Biram, n’est pas à dissocier de la manière très douteuse, pour ne pas dire plus, dont les autorités publiques traitent les dossiers dont ils sont saisis, en la matière. L’absence d’évolution des procédures, malgré l’existence d’une loi criminalisant les pratiques d’esclavage, a conduit à cette surenchère et, surtout, à une certaine radicalité du discours qu’on pouvait éviter. Je suis, donc, solidaire de l’engagement militant de Biram, sans partager, cependant, la virulence de son discours, et c’est une position que j’ai, déjà, eu à lui réaffirmer, les yeux dans les yeux.

Dans le cadre de la campagne visant à doter le pays d’un état-civil fiable, le gouvernement vient de lancer l’opération dite «enrôlement pour sécuriser les populations». Il y a beaucoup de supputations, à cause, certainement, du déficit notoire de communication. Que pensez-vous d’une telle opération?

Je regrette mais comme vous le dites, je suis, moi-même, en déficit d’informations, à ce sujet, et j’attends d’être davantage informé, pour répondre, de façon satisfaisante, à votre question. Je retiens que, d’ores et déjà, beaucoup de plaintes me parviennent, quant aux difficultés des procédures exigées.

Une telle opération doit constituer le socle de la démocratie, parce qu’en principe, ce recensement doit servir à la mise sur pied d’un fichier électoral consensuel. Les partis politiques ont-ils été informés, par le pouvoir, avant d’engager l’opération?

J’ai été, personnellement, invité au lancement de l’opération, invitation que j’ai, d’ailleurs, déclinée, mais je ne suis pas au courant d’autres informations parvenues à mon parti.

Pour contenir la flambée, incessante, des prix des produits de première nécessité, le gouvernement a ouvert les boutiques «solidarité 2011». A votre avis, cette intervention est-elle de nature à juguler le phénomène?

Je suis loin de le penser et je l’ai dit, les yeux dans les yeux, au président de la République qui s’est dit disposé à recevoir toute autre proposition permettant d’atteindre l’objectif visé, sans susciter des dysfonctionnements encore plus graves, pour le pays et son économie.

Ne craignez-vous pas que l’onde de choc de la révolution qui sévit dans le monde arabe, ne touche notre pays? Que la mort de Ben Laden ne radicalise AQMI?

Si aucun homme n’est une île, aucun pays ne l’est également, dans l’absolu. Nul ne peut se dire ou se croire, totalement, à l’abri de ce qui se passe en quelque point du globe que ce soit. La Mauritanie, pays africain, arabe, maghrébin et musulman, ne peut se dire ou se croire en dehors de toute influence d’une vague révolutionnaire, commencée au Maghreb et propagée, jusqu’au Machrek, voire en Occident (Espagne). Il faut, seulement, espérer que, d’une part, l’amour du mimétisme n’entraîne pas les jeunes et les moins jeunes, à s’engager dans la voie de l’aventure et du chaos, conséquence du langage de la rue, et souhaiter, d’autre part, que le pouvoir cesse d’opposer l’indifférence, aux aspirations, légitimes, des masses. Enfin, je crois, pour ma part, que le terrorisme est programmé pour survivre à Ben Laden, par AQMI interposée ou autres. Qu’Allah nous en préserve!

 

Propos recueillis par Dalay Lam

Source  :  lecalame.info le 25/05/2011

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