Habitués jusque-là à l’usage de l’applaudimètre, certains députés n’en sont pas encore revenus de leur émoi en écoutant l’allocation de leur collègue, de surcroît issu de la même mouvance qu’eux.
C’est en présence de certains membres du Gouvernement que le Vice-président de l’Assemblée Nationale a prononcé son discours. L’évènement, de ce lundi, est qu’il a dérogé à la règle presque sacro-sainte de la Majorité qui veut que les parlementaires de celle-ci soutiennent sans réserve le Gouvernement, en lui tressant des lauriers, au lieu de s’engager dans la critique constructive. Résultat, certains parlementaires de la Majorité, sans le dire ouvertement, accusent le Vice-président de « trahison », en prononçant un discours qu’ils jugent critique à l’égard du pouvoir. Mais à y regarder de près, ce discours ressemble plutôt à une série de conseils que le Gouvernement ferait mieux de méditer.
« Fortes convulsions »
Ce discours qui porte, à n’en pas douter, l’empreinte du Président de l’Assemblée Nationale, Messaoud Ould Boulkheir, en déplacement, en ce temps, en Afrique du Sud, évoque les soubresauts qui agitent aujourd’hui le monde, notamment de nombreux pays arabes. En le prononçant, Ould Sidi Ali évoquera la situation en ces termes : « Depuis quelques mois, le monde est secoué par de « fortes convulsions » faisant qu’ « on ne peut en prévoir les conséquences ». Il dira, en précisant, que « Notre pays, qui subit actuellement les influences des profondes mutations que connaît son environnement immédiat, a vécu ces dernières semaines un climat socio-politique quelque peu agité, en raison de la hausse des prix et du chômage des jeunes, ainsi que la persistance de la crise économique. Ce qui fut à l’origine des grèves et manifestations qui ont touché des secteurs vitaux tels que la santé et l’éducation ».
Il enfoncera le clou, en interpellant, en substance, le Gouvernement : « Au lieu d’ignorer ces problèmes ou de tenter de les résoudre par la force, le Gouvernement se doit de trouver, en toute célérité, les solutions adéquates les plus conformes aux aspirations des manifestants ». De quoi irriter des Ministres habitués à n’entendre que, jamais des réalisations « grandioses » n’ont été faites qu’avec l’arrivée du pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz. En catimini, certains députés murmuraient leur colère, tandis que d’autres, plus réalistes, adhéraient, sans le dire, au contenu du discours du Vice-président de l’Assemblée Nationale. En réaction à chaud, la députée de l’Upr, transfuge du Prdr, Lalla Hassana Mint Ahmed Labeid, a estimé que « le discours d’El Arby Ould Jdein (pardon, Ould Sidi Ali !) ne reflète pas l’avis de la Majorité, ni celui du parti et encore moins de sien, et est contraire à la réalité ». Poussant loin la flagornerie, la députée ajoutera que « le pays a connu, sous le règne du président Mohamed Ould Abdel Aziz, des réalisations jamais accomplies depuis l’indépendance de la Mauritanie… »
« Fins inavouables »
El Arbi Ould Sidi revendique, quant à lui, l’entièreté de la teneur de son discours. A ce propos, il dira que « Mon discours prononcé, lundi, devant les députés, émane de mes propres convictions de membre de l’Assemblée nationale ». Ainsi, il a indiqué qu’il « assume l’entière responsabilité du contenu… qui traduit l’opinion de la Majorité laquelle il appartient ». Pour couper court à la tentation de détourner son discours de son contexte relatif aux grévistes et manifestants, il affirmera que « Si u tel phénomène trouve sa justification en tant qu’expression sincère et responsable des revendications et droits légitimes de telles franges de notre peuple, ce même phénomène perd de sa crédibilité une fois détourné de ses objectifs initiaux et exploités par quelque partie à des fins inavouables, ce qui peut conduire au danger d’un dérapage pouvant entraîner des situations non maîtrisables voire à une catastrophe ». Il ira jusqu’à lancer un appel à la presse et aux syndicats pour « prendre conscience de ce moment crucial de l’histoire de notre pays et de ses institutions démocratiques ». En ajoutant que « face à une telle situation, la solution des problèmes nationaux demeure tributaire d’un dialogue sincère et responsable entre tous les acteurs politiques, à conditions que l’intérêt national prime sut toutes les autres considérations ». Par rapport aux prochaines échéances, il a demandé de « prendre le temps nécessaire afin de garantir la participation de tous, et ce, dans un climat de réconciliation et de consensus national ».
Il faut l’admettre, en rompant d’avec la langue de bois qui caractérisait, jusqu’à ce jour, les discours de la Majorité, Ould Sidi a ouvert un débat qui pourrait être le déclic vers une décrispation de la scène politique. Si, bien évidemment, ses amis de la Majorité recentrent son discours dans son vrai contexte. Il renferme plus de conseils que de critiques. On ne le qualifiera pas de visionnaire, mais au moins, il a sonné l’alerte là où il fallait, c’est-à-dire dans son propre camp qui tenait un discours aux antipodes de la réalité que vit le pays. Uniquement pour plaire au Chef, au lieu de l’aider par des conseils avisés. En parlant ainsi, le Vice-président de l’Assemblée Nationale n’appuie pas l’opposition, comme certains sont tentés de le croire. Au contraire, il met tout le monde devant ses responsabilités, quel que soit le camp politique. C’est pour cette raison qu’il a affirmé, dans son discours, que la condition est que l’intérêt national prime sur toutes les autres considérations ? Sera-t-il entendu?
Thiam Mamadou pour GPS
Source : GPS le 15/05/2011