Portrait : Oussama Ben Laden, l’exaltation et l’impasse du terrorisme

L´avis est encore visible sur Internet, comme une affiche placardée sur les murs d´un « saloon ». Sous une photo de Ben Laden , on peut lire : « Recherché pour le meurtre de citoyens américains en dehors des États-Unis ;

 

 

attaques de bâtiments fédéraux ayant provoqué la mort : Oussama Ben Laden, alias Oussama Ben Mohammad Ben Laden, alias le Prince, alias l´Émir, né en 1957 en Arabie saoudite ; cheveux bruns, yeux noirs, peau olive, gaucher, marchant avec une canne. Il est considéré comme armé et extrêmement dangereux ».

L´avis, qui offre une prime de 25 millions de dollars (17 millions d´euros), dessine sèchement l´image de celui qui a été jusqu´à maintenant le terroriste le plus traqué de la planète.

Cependant, pour une partie du monde musulman, Oussama Ben Laden, dont la mort a été annoncée dans la nuit de dimanche 1er mai à lundi 2 mai par le président américain Barack Obama, risque bien de laisser une autre image. Celle d´un moderne Saladin, Kalachnikov à la main, chevauchant un pur-sang pour combattre d´invisibles ennemis.

C´est ainsi qu´il apparaît sur les affiches à sa gloire qu´on pouvait apercevoir, il y a encore quelques mois, dans les quartiers populaires de Peshawar, au Pakistan. Il y est montré en « héros de l´Islam », sur fond de geysers de feu jaillissant des entrailles de la terre.

Les Ben Laden sont les Bouygues de la péninsule arabique

Pur combattant de la foi pour les uns, ennemi public numéro 1 pour les autres, Oussama Ben Laden portait en fait un costume bien grand pour lui. Car ce quinquagénaire était surtout un fils d´une riche famille d´Arabie Saoudite égaré sur les chemins du fanatisme jusqu´à mettre tous ses moyens au service de la terreur. Une sorte de « turban doré », comme on parle des « blousons dorés » pour ces jeunes gens des beaux quartiers qui ont viré voyou.

Né en 1957, il avait toutes les chances de devenir un de ces riches privilégiés qui s´en vont passer le week-end à Monaco après avoir fait leurs courses à Londres. C´est bien ainsi que vivent toujours la plupart de ses 54 frères et sœurs. A-t-on besoin de s´inquiéter de son avenir quand on est héritier d´un empire ?

Les Ben Laden sont les Bouygues de la péninsule arabique. Leur père, un Yéménite qui fut d´abord docker à Jeddah a mis sur pied, dans les années 1950, le plus gros groupe de construction d´Arabie Saoudite en ayant su nouer des liens avec la famille royale.

Pourquoi le 43e  enfant de l´empereur arabe du bâtiment a-t-il dévié de sa route ? Est-il entré en révolte contre sa famille parce qu´il était le fils unique de l´épouse la moins aimée de son père (qui avait onze femmes) ? A-t-il été entraîné par son amitié avec un des membres du clan royal, le prince Turki Ben Al Fayçal qui fut chef des services de renseignements du royaume ? Il a en tout cas été irrémédiablement influencé par sa rencontre avec Abdallah Azzam, membre de l´organisation égyptienne fondamentaliste des Frères musulmans qui fut son professeur de théologie.

En 1991, il doit s’exiler au Soudan

Oussama Ben Laden a 22 ans quand l’Armée rouge soviétique entre en Afghanistan, en 1979. Son ami, le prince Turki Al Fayçal l´envoie au Pakistan pour organiser le soutien du royaume aux combattants afghans. Le temps de quelques incursions dans les zones de combat, le fils de bonne famille partage, fasciné, la vie des maquisards qui mènent le « djihad » contre les soviétiques. Mais surtout, il organise l´aide de l´Arabie Saoudite aux Afghans.

Il distribue des fonds importants qui lui permettent de nouer des amitiés. Puis avec le soutien des États-Unis (qui jouent l´islam contre le communisme), il accueille les volontaires qui viennent du monde musulman pour se battre aux côtés des moudjahidins. Ces volontaires des « brigades islamistes » (comme il y eut, en d´autres temps, des « brigades internationales ») auront grandement contribué à faire reculer Moscou en 1989.

Mais les Américains ont allumé un feu qui va les brûler. De retour dans leur pays, après le retrait des Soviétiques, les « Afghans », épris d´un « islam révolutionnaire », contribuent à la déstabilisation des régimes en place en Algérie, en Somalie ou aux Philippines.

Oussama Ben Laden ne fait pas exception. Il rentre en Arabie saoudite avec la reconnaissance du pouvoir pour services rendus. Le régime saoudien se trouve, sur le plan religieux, en plein accord avec les fondamentalistes. Mais, sur le plan politique, ce régime conçoit l´islam comme un moyen de se légitimer, tandis que les islamistes accusent la plupart des gouvernements musulmans de corruption et de mauvaise gestion.

Après la guerre menée début 1991 par une coalition internationale contre l’Irak qui avait envahi le Koweït, le fossé se creuse entre Oussama Ben Laden et la famille royale. L´ancien enfant choyé du régime critique l´installation de troupes américaines sur le territoire, sacralisé au nom de l’islam. Il devient désormais un ennemi et doit s´exiler, en 1991, au Soudan.

Ben Laden voulait détruire l´Amérique

Il y poursuit l´activité qu´il a eue en Afghanistan. Mais cette fois, il agit pour son propre compte. Il était une sorte d´auxiliaire du pouvoir de Riyad. Il est devenu un terroriste. Il diffuse une propagande appelant à prendre les armes, reçoit les volontaires pour tous les « djihad » contre les infidèles pour leur offrir de s´entraîner dans ses camps, collecte et fait fructifier des fonds pour financer cette guerre.

Jusque-là, sa notoriété ne débordait pas les cercles de militants fondamentalistes radicaux. Mais il accède à une notoriété mondiale après un premier attentat contre le World Trade Center de New York, en 1993, et surtout après deux attentats à la bombe contre les ambassades américaines de Nairobi (Kenya) et Dar-Es-Salam (Tanzanie), en 1998, qui font 224 morts. À chaque fois, les enquêtes font apparaître son nom.

Traqué, il doit revenir en 1995 en Afghanistan. Il y est hébergé par le régime de talibans qui se moque d´être mis au ban de toute la planète. Il y dispose de camps d´entraînements pour ses volontaires. Il a également des bases enterrées, ainsi qu´un quartier de villas, à Kandahar, au Sud, où logent tous ses lieutenants. C´est l´époque où les rares journalistes qui le rencontrent décrivent un homme grand et maigre au regard fixe, aux manières douces, mais aux propos de haine à glacer le sang.

Ben Laden veut détruire l´Amérique et promet le paradis aux martyres. Méticuleux dans l´organisation de ses réseaux financiers, il tient aussi de macabres comptabilités qui ressemblent à des cauchemars de paranoïaques. Ainsi, il dresse longuement devant Hamid Mir, journaliste pakistanais, le décompte des « 120 000 Arabes tués par les Israéliens depuis 1947 ».

Sa disparition en fait un martyr

Les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis représentent l’apogée de son action. Ce matin-là, dix-neuf terroristes détournent quatre avions de ligne afin de les écraser sur des bâtiments hautement symboliques du nord-est du pays. Deux avions sont projetés sur les tours jumelles du World Trade Center (WTC) à Manhattan, à New York, et un troisième sur le Pentagone, siège du Département de la Défense, à Washington, D.C.

Les deux tours du World Trade Center s’effondreront moins de deux heures plus tard. Le quatrième avion, volant en direction de Washington, s’est écrasé en rase campagne à Shanksville, en Pennsylvanie, après que des passagers et membres d’équipage ont essayé d’en reprendre le contrôle. Plusieurs milliers de personnes ont été blessées lors des attaques et deux mille neuf cent quatre-vingt-quinze sont mortes.

Deux mois plus tard, le régime des talibans est renversé par une coalition militaire internationale menée par les États-Unis. Oussama Ben Laden , localisé dans l’Est afghan par des commandos, échappe de peu à la capture. Il vivait depuis dans la clandestinité, tentant, avec son n° 2, l’Égyptien Ayman Zawahiri, de garder le contrôle au moins symbolique des attentats djihadistes à travers le monde.

Les attentats vont-ils cesser après l´annonce de sa mort ? C´est peu probable. Oussama Ben Laden jouait en effet le rôle de porte-drapeau et de banquier au sein de la nébuleuse du terrorisme islamiste. Mais il n´en était pas l´unique stratège. Beaucoup de ceux qu´il avait encouragés, hébergés, financés, pourront continuer à agir sans lui. À leurs yeux, sa disparition en fera un martyr. Reste que les révoltes qui parcourent le monde arabe depuis le début de l’année augurent peut-être de nouvelles formes d’action dans cette région du monde. Pacifiques et recherchant le développement, non plus violentes et recherchant le chaos.

 

 

Alain GUILLEMOLES

Source  :  La Croix le 02/05/2011

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