et il a été désigné par l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) pour suivre les recommandations de la conférence de Tampere en 2001 sur l’exploitation des enfants en Afrique du Nord.
Dans son entretien avec Magharebia à Nouakchott, Ould Bouhoubeyni a parlé de la situation de la justice dans son pays.
Magharebia : Au cours de la cérémonie d’ouverture de l’année judiciaire, le 14 mars 2011, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a reconnu que la justice mauritanienne fait encore face à de grands problèmes. Qu’en pensez-vous ?
Mohamed Salem Ould Bouhoubeyni : Ce n’est pas quelque chose de nouveau et ça ne nous apporte pas grand-chose, car nous savions que la justice ne marche pas.
Le Président s’est limité à dire que ça ne va pas. On s’attendait à ce qu’il nous dise ce qu’il va faire. Cette attitude risque de nous amener le même constat amer l’année prochaine. Or le Président n’est pas un observateur simple. C’est un acteur. Constatant que ça ne va pas, il a le devoir d’impulser un certain nombre d’actions. L’Etat devrait prendre les mesures qu’il faut. Il devait annoncer les états généraux de la justice dans quelques semaines ; annoncer une nouvelle approche révolutionnaire ; inviter les professionnels, les experts, des étrangers peut-être ; engager un processus qui soit à même de faire évoluer les choses.
Magharebia : Vous avez récemment publié un rapport dans lequel vous vous êtes penché sur la situation des avocats et vos relations avec le pouvoir exécutif. Pouvez-vous nous en dire plus sur le rôle de l’ONA ?
Ould Bouhoubeyni : En ce qui concerne l’Ordre des avocats, notre rôle ne se limite pas à un petit rôle syndical qui défend les intérêts matériels. Ceci est certes une composante, mais pas la seule. Nous avons vocation à être le défenseur de l’Etat de droit, le défenseur de la démocratie, des droits de l’Homme, le défenseur des droits de tout un chacun. Nous devons être ceux qui vulgarisent le droit, sensibilisent la population ; ceux qui font prendre conscience aux citoyens. Les avocats sont des éveilleurs de conscience. En réalité, depuis le début de mon mandat, c’est ce rôle qui a été à l’origine de mes déboires avec les pouvoirs publics.
Ceci étant dit, nos relations avec les autorités judiciaires sont bonnes. Nous avons notre place au niveau de la Cour suprême et du parquet, car ils ont compris que nous avons un rôle que nous ne sommes pas prêts à monnayer.
Magharebia : Le Président a estimé que « l’indépendance de la justice est un choix incontournable ». Qu’en pensez-vous ?
Ould Bouhoubeyni : Sur ce point, nous sommes d’accord avec le Président. L’indépendance de la justice depuis quelques années nous a inquiétés. Nous avons constaté que certains dossiers sont gérés en dehors de la justice. La justice est juste là pour mettre les formes : mandat de dépôt, liberté provisoire, surveillance judiciaire, etc. La justice est instrumentalisée. Le peuple est spectateur de ses pouvoirs usurpés.
Magharebia : A l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire, vous êtes revenu dans votre discours sur des problèmes qui vous tiennent à cœur. Quel a été votre principal message ?
Ould Bouhoubeyni : J’ai tenu à faire passer deux messages. D’abord aux magistrats, parce qu’ils prennent la responsabilité, c’est dans la tête qu’on est magistrat. Le deuxième message s’adresse aux pouvoirs publics, pour qu’ils lèvent le pied et laissent la justice savourer son indépendance en dehors de toute immixtion. J’ai également dit dans mon discours que l’Etat ne croit pas à la justice et n’exécute pas les décisions de celle-ci à son encontre.
Tant que l’administration n’aura pas de respect pour la justice, celle-ci n’aura pas de poids. De plus, une grande partie des citoyens n’ont pas accès à la justice, car l’assistance judiciaire n’existe pas. La Mauritanie est l’un des rares pays au monde dans ce cas. Il n’y a pas d’égalité entre les citoyens. Les pauvres sont privés de justice. Ceci est d’autant plus grave qu’on dispose d’une loi sur l’assistance judiciaire avec son décret d’application et un budget, mais le ministère de la Justice refuse de l’appliquer.
Magharebia : Face aux bouleversements actuels au Maghreb et dans le monde arabe, quel rôle les avocats peuvent-ils jouer ?
Ould Bouhoubeyni : Le rôle des avocats est important dans le monde d’aujourd’hui. Ils sont là pour vulgariser le droit et faire prendre conscience aux citoyens de leurs droits, dont les titulaires sont devenus de plus en plus exigeants. Les exemples sont multiples dans le monde. Nos confrères tunisiens ont essayé de faire comprendre à Ben Ali avant son départ ce qu’il avait finalement compris, mais trop tard. Aujourd’hui, la seule voie, c’est la voie de la démocratie, du dialogue et de la prise en considération des aspirations du peuple.
Les citoyens réclament plus de droit, plus de liberté, plus d’égalité et plus de justice.
Bakari Guèye
Source : Magharebia le 27/04/2011