Depuis avril 1989, une partie de la population mauritanienne vit le calvaire des conséquences désastreuses de ce qu’il est convenu d’appeler la crise sénégalo-mauritanienne. Ces évènements ont été marqués par des violations très graves de droits humains (exécutions extra – judiciaires, déportations, licenciements abusifs, extorsions de biens, viols, etc.). Tous ces crimes et délits ont été commis contre la personne des populations négro-africaines, dans un mouvement soutenu de délit de facies, sous-tendu par une politique de chauvinisme officiel.
Pendant plusieurs années, ces crimes ont été couverts par le régime sanguinaire du dictateur, le Colonel Maouya Ould Sid’Ahmed Taya. En dépit des dénonciations par les victimes ellesmêmes, la communauté internationale et différents démocrates à travers le monde, le colonel / dictateur a développé la politique de l’omerta en direction de la composante arabo – berbères de la population mauritanienne, justifiant ainsi les pratiques discriminatoires et d’exclusion, maintes fois dénoncées par des pans entiers de la population négro – africaine. Et, pour couronner la politique d’impunité, le dictateur a fait adopter une loi d’amnistie en 1993, en faveur des criminels.
Cette politique a été malheureusement inculquée aux jeunes générations, qui étaient déjà officiellement séparées par un système scolaire à deux vitesses (arabophone pour les araboberbères et soit disant francophone pour les Négro – Africains). Ce système a grandement contribué à isoler les composantes négro-africaines de la population hassanophone. En effet, pendant plus de deux décennies, les enfants arabo- berbères et négro-africains ne se croisaient même plus dans des cours de récréation…Et, tout le système éducatif était bâti sur le terreau du chauvinisme d’Etat : « la Mauritanie est un pays arabe ». Même si des démocrates sincères arabo- berbères n’approuvaient pas ce raisonnement, leurs voix discordantes étaient étouffées par la clameur raciste.
Aujourd’hui encore, on peut dire avec une observatrice avertie de la scène politico-sociale de la Mauritanie que « les Négro – Africains sont translucides pour les Maures », pour souligner la non prise en considération de cette composante dans les schémas mentaux de la plupart des compatriotes arabo- berbères.
C’est une des raisons qui explique que les lourdes conséquences des douloureux évènements sont presque exclusivement portées par les seules populations négro – africaines et, particulièrement, les principales victimes parmi elles.
En effet, si jusqu’en 1992, des pans entiers de l’opinion arabo- berbères était abusée par la propagande du chauvinisme officiel, force est de constater qu’avec l’éclosion de la presse privée et du multipartisme, des révélations importantes ont été portées à l’opinion publique nationale et internationale. Toutefois, hormis des déclarations sporadiques de certains partis d’opposition, seules les organisations de droits humains et les associations de victimes ont bravé l’hostilité du régime dictatorial de Taya, pour dénoncer ce qui est un véritable génocide.
Aujourd’hui encore, les victimes de ces douloureux évènements attendent toujours des solutions adéquates, susceptibles de renforcer réellement la cohésion entre les différentescomposantes de la population mauritanienne.
En effet, si le discours du Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi, du 29 juin 2007 était un acte courageux, d’une part et la prière de l’absent du Président Mohamed Ould Abdel Aziz du 25 mars 2009, un acte symbolique d’autre part, force est de constater qu’aucune demande de pardon, de la part d’un des responsables des nombreux crimes et exactions n’a été enregistré depuis 1989.
En outre, si le retour organisé des déportés mauritaniens au Sénégal a permis un petit soulagement de la part des victimes, c’est grâce à une action concertée de l’Etat mauritanien, celui du Sénégal et du HCR ; et ce, en dépit de la mauvaise volonté manifeste des représentants locaux des pouvoirs publics. Comment en effet expliquer que depuis 2008, début des opérations de rapatriement volontaire, aucun rapatrié ni aucune communauté de rapatriés n’ont récupéré un lopin de terre de culture. Or, les terres du bassin du fleuve Sénégal, leurs terroirs d’origine, sont réputées être leurs terres ancestrales. Nulle part le geste symbolique du député Ghassem Ould Bellali, qui a rendu 220 ha de terres irrigables au Trarza, n’a été imité…
Il est en effet pour le moins curieux de constater qu’aucun règlement de litige foncier, depuis 2008, n’a abouti à une restitution de terre cultivable à des rapatriés, en dépit des vociférations quotidiennes sur la nécessité de l’unité nationale (…) et des montages alambiqués d’opérations pompeusement baptisées « prévention et gestion de conflits… » .
D’ailleurs, il faut préciser que les promesses de restitution de biens, avant le début des opérations, les dispositions de la Circulaire No 003, du 04 mai 2009 du Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation répétant les mêmes promesses, n’ont abouti à aucun règlement à ce jour. Pourtant, les populations rapatriées, ainsi que la plupart des populations d’accueil, ne manquent pas de manifester leur bonne volonté, pour des solutions apaisées. Il suffit simplement de constater qu’aucun acte de vengeance ou de justicier n’a été commis par lesvictimes depuis 1989…
Il est aussi affligeant de constater que près de la moitié des rapatriés, dans le cadre de l’Accord tripartite de novembre 2007, attend toujours de recevoir ses pièces d’état civil.
Quant aux réfugiés rapatriés avant l’Accord tripartite (soit auto – rapatriés, soit rapatriés dans le cadre du Programme Spécial d’Insertion Rapide), ils n’ont pas fini de ronger leurs freins.
Non seulement ils n’ont reçu aucune assistance de la part de l’Etat, mais encore, ils courent toujours derrière la récupération tantôt d’un champ, tantôt d’une demeure, tantôt encore d’unemploi, tantôt enfin d’une pièce d’état civil.
On ne peut pas nier qu’avec l’ANAIR, les rapatriés bénéficient de quelques réalisations non négligeables (forages, aménagements hydro-agricoles, acquisition de vaches laitières, boutiques communautaires, etc.) ; même si ces réalisations sont en-deçà de leurs attentes.
Toutefois, les programmes d’insertion durable restent à être réalisés.
D’une façon générale, les conséquences néfastes des évènements de 1989 demeurent intactes : les déportés ne sont pas tous rapatriés et ceux qui le sont, vivent dans une certaine précarité.
Ceux qui sont au Mali, leur cas n’a même pas encore été examiné. Et on déclare la fin des opérations de rapatriement…
Les victimes des exécutions extra – judiciaires (rescapés, veuves et orphelins) vivent une profonde amertume, après une opération de cosmétique politique de soit disant indemnisation des veuves. Cette opération n’a concerné qu’un nombre réduit de victimes. Et on déclare clos le dossier du passif humanitaire…
La régularisation de la situation administrative des fonctionnaires et agents de l’Etat est annoncée avec grand tapage, après une opération de recensement terminée depuis plus d’un an, les intéressés attendent toujours.
Le recrutement parmi ces victimes de 94 personnes relevant du ministère chargé de l’Education Nationale, n’a même pas permis un début de réparation. Et on déclare que la situation des enseignants est réglée.
Quant aux autres victimes, les plus nombreuses du reste, leur situation n’a même pas été évoquée à ce jour.
En examinant l’ensemble de cette question, on peut déclarer que le pouvoir politique fait semblant de régler une situation, de plus en plus dure pour les victimes. Plusieurs d’entre elles vont même jusqu’à déclarer qu’il vaut mieux refuser d’aborder cette douloureuse question, plutôt que de faire semblant de s’en préoccuper.
C’est pourquoi et en raison des réactions au pourrissement de situations économiques, politiques et sociales dans les pays qui nous entourent, il est urgent d’écouter enfin la voix des victimes et de chercher des solutions négociées, seules garantes du renforcement de la cohésion entre les composantes de la population de la Mauritanie. Une véritable réconciliation ne peut se faire sans justice.
Les organisations signataires
1. Association des Femmes Chefs de familles (AFCF),
2. Association Mauritanienne des Droits cde l’Homme (AMDH),
3. Association Mauritanienne pour la Promotion de la Langue et de la Culture SOONINKE
(AMPLCS),
4. Association pour la Renaissance du Pulaar en RIM (ARPRIM),
5. Association pour le Renforcement de la Démocratie et de l’Education Citoyenne (ARDEC),
6. Comité de Solidarité avec les Victimes des Violations des Droits Humains en
Mauritanie(CSVVDHM),
7. Groupes d’Etudes et de Recherches sur le Démocratie et le Développement Economique et
Social (GERRDES),
8. Ligue Africaine des Droits de l’Homme (Section Mauritanie)
9. Ligue Mauritanienne des Droits de l’homme (LMDH),
10. Regroupement des Victimes des Evénements de 1989- 1991 (REVE),
11. Mouvement des Veuves, des Rescapés, Unis pour la Dignité Humaine (MVRUDH),
12. SOS – Esclaves.