Trois questions à Brahim Ould Boihy, pilote, ingénieur et instructeur à Air France

Lorsqu’on me l’a présenté, je ne pensais pas avoir, devant moi, une des plus remarquables éminences de la diaspora mauritanienne. L’homme revenait, ce jour-là, de son Boutilimit natal. Rien de spécial, un mauritanien ordinaire, dans son ample boubou et sa jolie chemise aux manches artistiquement repliées.

 

Il paraissait modeste. Pourtant, il aurait pu ne pas l’être. Brillant pilote, dès l’âge minimal requis, Brahim Ould Boihy est, non seulement, le premier mauritanien à obtenir un tel diplôme, mais il est, aussi, un des premiers voire le premier africain à devenir pilote de ligne à Air Afrique, avant d’en devenir un de ses meilleurs instructeurs. Brahim est né à Boutilimit, où il accomplit son école primaire. Il fit partie de la première promotion du collège d’Atar, ouvert le 28 septembre 1960. En 1964, il rejoint le lycée de Nouakchott. Lorsque le ministère de la Défense organise un concours, pour intéresser les jeunes élèves mauritaniens à l’aviation, Ould Boihy est parmi les cinq lauréats, avec Mohamed El Moktar Ould Zamel, Kamara Silly et Mohamed Mahmoud Ould Ahmed Vall. Mais il sera le seul à continuer. Il sera envoyé en France, en 1966, puis en Union Soviétique, pour devenir le pilote de l’Iliouchine 18 acquis par la Mauritanie. Pilote à Air Mauritanie, en 1972, avec ses deux collègues, Bâ Abdoul Karim et Mohamed Yehdih Fillali, il assure tous les vols présidentiels. Il se souvient que cette année-là, le président feu Moktar tenait les rênes de l’Organisation de l’Unité Africaine. Il voyageait, donc, beaucoup. Problèmes de l’apartheid en Afrique du Sud, question du Zimbabwe (ex-Rhodésie), indépendances de la Guinée-Bissau, de l’Angola et de la Namibie, notre pilote national en apprit beaucoup, sur l’Afrique moderne en gestation. Il est engagé, comme commandant de bord, à Tunisair, en 1975, puis, en 1979, à Air Afrique, sur Caravelle et Airbus 300. Lorsqu’en 1994, Brahim quitte Air Afrique, il cumule plusieurs autres formations, sur Airbus 340 et sur Boeing 747, à Toulouse. En 1998, il intègre, brillamment, Air France, comme instructeur. Il est titulaire d’un ingéniorat de l’Ecole Supérieure des Transports de Paris et d’un DESS de Paris IV Sorbonne, intitulé «Transports, logistique, communication des échanges internationaux». Nous avons profité de son passage à Nouakchott pour lui poser trois questions.

Le Calame: Pourquoi les compagnies aériennes nationales ne marchent pas bien?

Brahim Ould Boihy: Lorsqu’en 1960, l’Etat mauritanien a décidé de fonder Air Mauritanie, c’était, d’abord, dans un souci d’assurer une continuité territoriale. Et, comme il n’y avait pas de réseau routier, la quasi-totalité du territoire était enclavée. Mais naturellement, il y avait un problème de cadres et de personnel. L’Etat prenait tout en charge. L’aspect «rentabilité» n’était pas prépondérant. C’était, surtout, une question de souveraineté. Avec l’édification de la route de l’Espoir, les usagers ont, tout naturellement, choisi la route, moins onéreuse, c’est une question de pouvoir d’achat. Voyageurs en nombre insuffisant, déficits accrus et, pour couronner, mauvaise gestion ont convaincu la Banque Mondiale de ne plus autoriser l’Etat à subventionner Air Mauritanie qui a, donc, a été privatisée. Des partenaires nationaux et internationaux, notamment Air Afrique, sont entrés dans le capital. Mais, c’est un secret de Polichinelle, les actionnaires nationaux n’avaient aucune connaissance du transport aérien dont les principes fondateurs sont le respect, scrupuleux, des normes internationales de sécurité, la rigueur de gestion, la patience et la compétence avérée, en management. C’est le modèle industriel qui est vital, celui des professionnels prêts à investir considérablement, déterminés à inscrire leurs actions dans la durée et engageant de bons gestionnaires. Pas le modèle spéculatif où les promoteurs recherchent un retour, rapide, de leurs investissements, assortis, en un temps record, des plus substantiels bénéfices.
Aujourd’hui, sans étude de faisabilité qui va déterminer le choix dirigeant, sans la mise en place d’une législation fondamentale, sans un règlement technique, sans un système de licence et de brevet, sans des organismes fiables de contrôle et un système de sûreté des aéroports, mais, aussi et surtout, la prise en compte de la notion d’acceptabilité, une norme de qualité désormais obligatoire, il est difficile qu’une compagnie aérienne puisse être valablement opérationnelle et rentable. A quoi sert-il d’avoir acheté trois avions à plus de 40 millions de dollars, s’ils ne peuvent pas voler, puisque la Mauritanie figure sur la liste noire des pays qui ne remplissent pas les normes standard de sécurité? Quel avion choisir? Faut-il l’acheter ou le louer? Ces questions doivent être sérieusement étudiées. Aujourd’hui, par souci de souplesse lorsque le marché est incertain, les grandes compagnies mondiales préfèrent louer au lieu d’acheter.

– Que pensez-vous de la politique en Mauritanie?

– Je note que le pays est entre les mains des militaires, depuis 1978 jusqu’à aujourd’hui. Or, l’armée devrait se consacrer à ses nobles missions et rester aux ordres du politique. Sans même chercher à le régenter. La Mauritanie dont je rêve est celle où il n’y aurait pas de Mauritaniens du Nord ou du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, de telle ou telle ethnie, Noirs ou Blancs mais, tout simplement, des Mauritaniens égaux en droits et devoirs. Soyons Mauritaniens, dans le respect de notre diversité.
L’opposition ne peut faire que ce que le système en place lui permet de faire. Elle est contrainte, par le pouvoir, à rester dans sa plus petite expression. Mais elle doit pouvoir coordonner, dépasser ses égoïsmes, ses divergences, gérer ses susceptibilités, pour arriver à l’essentiel. L’exemple du second tour des élections de 2007 est éloquent. De l’autre côté, je pense que le pouvoir doit impliquer tous les cadres, dans les questions nationales, indépendamment de leur appartenance politique.

– La question de l’esclavage? Séquelles ou pratiques?

– Ce n’est pas là le problème. Il y a eu suffisamment de lois et de dispositions qui le condamnent. Tout un arsenal juridique, depuis la naissance du pays. Selon moi, la sécheresse a été la meilleure abolitionniste, en ce que le fléau a remis maîtres et esclaves sur la même ligne. L’important, c’est l’application rigoureuse de ces lois. L’important, ce sont les actions, concrètes, au profit des anciens esclaves. Une forte campagne de communication, des instructions, fermes, à toutes les administrations, aux instances judiciaires, aux autorités sécuritaires, de réprimer, sévèrement, ceux qui s’entêtent à pratiquer cet abject in-humanisme. S’appesantir sur l’éducation et la formation des populations qui en furent victimes. Entreprendre, en leur faveur, une ségrégation positive et mettre, à leur profit, des programmes spécifiques d’intégration et de développement. Revoir, plus justement, la réforme agraire et les modalités de distribution des financements. En tout état de cause, rien d’efficace ne peut être fait sans volonté politique. A cet égard, l’absence de décrets d’application des mille feuilles de lois d’abrogation de l’esclavage est éloquente.

 

Propos recueillis par Sneïba

Source  :  Le Calame le 12/04/2011

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