Cyril Ramaphosa, révolutionnaire capitaliste

Nelson Mandela annonce la démission de Cyril Ramaphosa, secrétaire général de l'ANC, le 13 avril 1996. REUTERS/Mike HutchingsAncien combattant contre l’apartheid, syndicaliste à «forte tendance socialiste», Cyril Ramaphosa est devenu le symbole de la réussite économique de l’élite politique noire sud-africaine.

Cyril Ramaphosa, nouveau propriétaire des 145 restaurants McDonald’s d’Afrique du Sud pour les vingt prochaines années, est certes un homme d’affaires comblé, mais reste un politicien et révolutionnaire frustré. Lors de l’attribution de la «licence de développement» offerte par la firme américaine, le millionnaire sud-africain mordait un Big Mac à pleines dents… avouant secrètement qu’il préférait quand même le Filet-O-Fish. Mais le poisson, ça passe moins bien niveau marketing, lui ont soufflé les responsables de la communication de McDonald’s.

«Notre priorité est de satisfaire les clients, de favoriser l’emploi, faire davantage de profit et développer les opportunités qui nous sont offertes», a déclaré Ramaphosa, on ne peut plus neutre, dans une brève allocution.

Puis rapidement, il s’en est allé vaquer à ses affaires. Et des affaires, il n’en manque pas. Directeur exécutif de Shanduka, l’un des plus grands fonds d’investissement sud-africains, il possède des actions dans le secteur de l’énergie, des mines, de l’immobilier, des banques, des assurances et des télécommunications. De plus, son adhésion à la Coca-Cola Company faisait de lui un candidat de choix pour leur partenaire McDonald’s.

Socialiste engagé contre l’apartheid

Cyril Ramaphosa n’était pas vraiment disposé à devenir millionnaire —encore moins à s’engager dans les restaurants McDonald’s, symbole du capitalisme à l’américaine. Grande figure de la lutte contre l’apartheid, il combat l’injustice sociale et raciale d’abord en tant qu’avocat, puis au sein de l’African National Congress (ANC) comme leader du syndicat national des mineurs (NUM). «Socialiste convaincu» autoproclamé, il a gagné le respect et le soutien du parti communiste. Favori de Nelson Mandela qui voit en Ramaphosa «un homme capable de diriger le pays», c’est lui qui organise sa sortie de prison en février 1990. Rapidement, il devient l’une des figures clés des négociations avec l’ancien régime d’apartheid, et rêve de reprendre le flambeau de la présidence.

Mais la libération de Nelson Mandela révèle toutes les tensions entre les membres de l’ANC. Les anciens exilés reviennent au pays avec un certain mépris pour ceux restés sur place, et chacun veut sa part du gâteau dans la nouvelle démocratie. Thabo Mbeki, Chris Hani et Cyril Ramaphosa rentrent en course pour la présidence de 1999, avant même que Mandela ne commence son mandat en 1994. Chris Hani, ardent défenseur de la cause noire et considéré trop à gauche, est assassiné par un extrémiste blanc dans des circonstances douteuses en 1993. Ramaphosa, lui, se voit offrir de nombreuses opportunités financières, via la politique de Black Emporwment Economy (BEE).

Le BEE est un système de quotas qui oblige (entre autres) toutes les entreprises sud-africaines ou qui investissent en Afrique du Sud à avoir des actionnaires non-blancs dans son conseil d’administration. De nombreuses figures politiques en bénéficient encore aujourd’hui et sont devenues millionnaires en quelques années. Le principe, louable, voulait former une élite financière plus «mixte» après cinquante années d’apartheid. Dans les faits, le BEE bénéficie trop souvent aux mêmes, politiquement liés à l’ANC. Une manière aussi de satisfaire de vieux ennemis tout en les tenant loin de la scène politique.

Le favori des Sud-Africains

Cyril Ramaphosa est le symbole de cette «nouvelle lutte capitaliste», comme la désigne son biographe Anthony Butler. Reconverti en homme d’affaires, il oublie peu à peu ses ambitions présidentielles. Thabo Mbeki ne laisse la place à aucun adversaire politique pour arriver à ses fins. Il devient président en 1999 et accuse Cyril Ramaphosa et son acolyte Tokyo Sexwale de trahison: ils auraient rédigé une lettre mettant en cause Mbeki dans l’assassinat de Chris Hani. Mbeki est réélu en 2004.

Ramaphosa se console dans ses millions. L’homme d’affaires prospère, mais ses amis remarquent qu’il n’a pas vraiment le cœur à l’ouvrage. Il n’abandonne pas la politique et prend soin de rester membre du Comité exécutif de l’ANC.

«Il n’a jamais utilisé son argent pour acheter des voix comme l’a fait Sexwale (actuel ministre de l’Habitat, ndlr), note Bill Johnson, journaliste au Guardian et historien spécialiste de l’ANC. Mais il reste le grand favori chez beaucoup de Sud-Africains.»

Le journaliste a mené une étude d’opinion en 2000, et Cyril Ramaphosa était à l’époque le seul candidat de l’ANC qui réconciliait blancs, métisses et noirs. Bill Johnson explique ce résultat par l’absence de Ramaphosa sur la scène médiatique.

«C’est un peu comme Dominique Strauss-Kahn en France, s’amuse le politologue. C’est toujours les absents et les plus silencieux qu’on aime!»

Cyril Ramaphosa a un «charme impénétrable», fait remarquer son biographe. «Il n’a jamais dévoilé ses pensées et ses croyances les plus profondes». Beaucoup aimeraient le voir en prochain président de la république sud-africaine, mais ce serait négliger les tensions «tribales» qui agitent le parti de Mandela. Il était sans doute un candidat plus approprié que Jacob Zuma pour le poste de président, mais après trois mandats tenus par des Xhosas, il fallait laisser la place aux Zoulous, la «tribu» de Zuma. Cyril Ramaphosa est Venda, une culture que partage seulement 2% de la population sud-africaine.

Alors que l’actuel président laisse entendre qu’il ne se représentera pas pour un prochain mandat, le pays dévoile un manque de leadership profond.

«On ne sait pas vraiment qui prendra la suite, confie Bill Johnson. Mais ce sera probablement un autre Zoulou. Après un seul mandat, ils ne sont pas encore prêts à lâcher le pouvoir!»

Sophie Bouillon

SlateAfrique



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