Les révélations fracassantes du WikiLeaks à l’égyptienne

 

En Egypte, des manifestants se sont introduits dans les locaux des tout puissants services secrets et ont récupéré des documents qu’ils ont tout de suite diffusé sur Internet.

Il aura fallu plus d’un mois après la chute de Moubarak. Mardi 15 mars 2011, les autorités égyptiennes ont annoncé la dissolution de la Sécurité d’Etat, suivant l’exigence tunisienne. Ce n’est pourtant pas réellement un nouveau geste d’ouverture ou de réforme. Il y a une dizaine de jours, des manifestants, entendant des rumeurs de destruction de documents au ministère de l’Intérieur, qui abrite le siège des tout puissants services secrets, ont investi l’immeuble officiel.

Dans un premier temps, ils ont filmé les appartements du ministre de l’Intérieur, bureaux, salle de bains, pyjamas et vêtements de danseuse, et l’ont diffusé sur youtube. Puis ils sont tombés sur des documents confidentiels des Services de la Sécurité d’Etat, où de nombreux faits étaient scrupuleusement consignés, avec détails précis. Ayant été avertie, l’armée égyptienne s’est immédiatement proposée de garder ces documents en lieu sûr. De peur de ne plus revoir ce qui reste de ces documents, les jeunes insurgés ont diffusé les documents sur Facebook.

Un WikiLeaks à l’égyptienne, qui fait déjà des ravages. Outre les vidéos annoncées sur les frasques des dirigeants arabes, sexuelles et autres, dont tout le monde attend la teneur, ce sont surtout ces premières révélations sur des attentats commis en Egypte, comme celui qui a visé une église copte à Alexandrie fin 2010, œuvre des services, qui avait fait 21 morts, et d’autres attentats qui attirent l’attention. Un autre document révèle que les services secrets ont piloté en 2005 un groupe islamiste pour commettre des attentats dans un complexe touristique de Charm el-Cheikh. Grande stupeur et effroi, des actes terroristes attribués à des islamistes ont donc été le fait des Services secrets de l’Etat.

La majorité des journalistes égyptiens, plus ou moins mouillés avec les Moukhabarates (Sécurité d’Etat) ont refusé de commenter ces «câbles», comme ce célèbre présentateur qui a bénéficié d’appartements et de nombreux avantages, inscrit au chapitre «amis» des documents saisis. L’affaire va évidemment plus loin: ce que l’Egypte fait, tout le monde peut le faire dans la région.

Le grand secret des services secrets

Tenus en général par des minorités ethniques pour des raisons historiques, d’auto-surveillance des communautés et de fidélité nationale, les services secrets arabes se ressemblent comme des gouttes de sang.

En Egypte, ce sont paradoxalement les Coptes qui sont les plus nombreux dans les Moukhabarates et, en Algérie, ce sont les Kabyles qui sont le mieux représentés dans le tout puissant Département renseignement et récurité (DRS). En Syrie, même schéma, la minorité alaouite détient la clé de l’espionnage interne et externe.

Au-delà de ce paramètre qui fait des Coptes «des tueurs de Coptes» en Egypte, au niveau arabe, la divulgation des documents des Services égyptiens relance les thèses qui faisaient de la Sécurité d’Etat un rempart contre l’islamisme radical, alors que les frontières s’avèrent aujourd’hui très floues, chacun pouvant commettre ce qu’il veut pour des objectifs particuliers et généraux en les imputant à la partie adverse.

En Algérie, terre qui a connu le plus d’actes terroristes islamistes, on évite pour l’instant de commenter ces révélations, de peur de retomber dans cette guerre où tous les coups étaient permis et qui a fait 200.000 morts en dix ans. Le «Qui tue qui?», célèbre question des années 90, n’est pas à déterrer pour l’instant. Si pour les initiateurs de la Révolution du jasmin en Tunisie ou de Maydan Al Tahrir en Egypte, il ne faut pas s’arrêter aux pouvoirs apparents mais aller plus loin en démasquant les pouvoirs de l’ombre, en Algérie, qui prépare sa Révolution, on peut déjà en parler, comme vient de le faire le quotidien algérien El Watan en sortant un dossier sur le DRS, agence militaire de renseignement et véritable Etat dans l’Etat. Les révélations ne sont pas allées bien loin tant la puissance des ces organes supérieurs de contrôle touche tous les secteurs mais, en attendant la divulgation de nouveaux documents égyptiens ou autres, on peut s’interroger sur le fait que des opérations aussi secrètes laissent des traces écrites. En réalité, comme pour la Stasi allemande ou la Securitate roumaine, la plupart des actions clandestines sont consignées.

Au Caire, on murmure que Moubarak pourrait être poursuivi par la justice internationale, même si l’on sait que tous les services du monde, occidentaux ou arabes, se connaissent très bien et savent tout les uns sur les autres. A ce titre, cette affaire de WikiLeaks égyptien risque bien d’être étouffée.

Chawki Amari

Source: SlateAfrique

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