Il avait été arrêté pour malversations financières ou pour mauvaise gestion, on ne sait même pas. Mohamed Lemine Ould Dadde, ex commissaire aux Droits de l’Homme, à l’action humanitaire, chargé des relations avec la société civile, est lui, en détention depuis septembre 2010. Ils n’ont pas encore été jugés, ils n’ont pas bénéficié de liberté provisoire ou de non lieu. Ould Dadde et Ould Khattry, du fait des responsabilités qu’ils occupaient, sont connus, sont médiatisés. Dans cette situation de « détention préventive à perpétuité », ils ne sont pas les seuls. Des centaines de détenus préventifs ordinaires croupissent dans l’oubli et l’indifférence dans les prisons mauritaniennes. Ceux là aucun parti politique, aucune organisation n’évoquent leur cas qui sont souvent dramatiques.
«Presque 60% des détenus de dar Naim, une prison de Nouakchott, sont en détention préventive. » note le rapport de novembre 2009 du bâtonnier de l’ordre national des avocats de Mauritanie. La prison de Dar Naim compte plus d’un millier de pensionnaires.
Le rapport de novembre 2009 du bâtonnier cite des cas extrêmes. Sidi Mohamed Ould Issaoui dossier RP 722, est en détention préventive depuis 2002. Neuf ans d’incarcération sans jugement… Oumar Gueye dossier RP/108/2002 venu à Nouakchott de la prison de Kaédi pour des raisons de santé est détenu préventivement depuis 2005.
Violation de la présomption d’innocence
Le détenu préventif, qui n’a pas encore été jugé, est présumé innocent. Ce principe est admis par la constitution mauritanienne qui dispose en son article 13 « Toute personne est présumée innocente jusqu’à l’établissement de sa culpabilité par une juridiction régulièrement constituée.» La détention préventive, mesure grave consistant à incarcérer un probable innocent, doit être l’exception. Le nombre de détenus préventifs dans les prisons mauritaniennes montre qu’elle est devenue la règle. Et, le plus grave, c’est qu’elle va très souvent au delà des délais raisonnables et au-delà des délais fixés par la loi (Voir encadré article 138 du code de procédure pénale).
Dans tous les cas de détention préventive, la loi commande au juge d’instruction « d’accélérer le plus possible le déroulement de l’information. » Et, le rend « responsable, à peine de prise à partie, de toute négligence qui aurait inutilement retardé l’instruction et prolongé cette détention préventive. » « Si le juge d’instruction ne met pas fin à l’instruction par ordonnance, le détenu est présenté par le régisseur de la prison au procureur de la République… » Les cas de détentions préventives anormalement longues sont signalés. Le rapport du bâtonnier cité plus haut, indique que « le régisseur de la prison de dar Naim informe régulièrement (par courriers) le parquet de la situation des détenus préventivement mais le plus souvent sans suite. » Pour quoi maintenir les justiciables pendant des années en prisons sans les juger ? Les dysfonctionnements de l’appareil judiciaire ne sauraient être une excuse face à ces graves abus portant atteinte aux droits fondamentaux. Et, le détenu préventif acquitté, bénéficiaire d’un non lieu…n’a aucun droit à indemnisation du fait des préjudices subis.
Khalilou Diagana
CPP : De la détention préventive
Article 138 – La détention préventive ne doit être ordonnée par le juge d’instruction que lorsqu’elle est justifiée soit par la gravité des faits, soit par la nécessité d’empêcher la disparition des preuves de l’infraction, la fuite de l’inculpé ou la commission de nouvelles infractions. En matière de délit sous réserve des dispositions de l’article 141, la durée de la détention préventive ne peut excéder quatre mois renouvelable une seule fois, si l’individu détenu n’a jamais été condamné pour crime ou délit de droit commun, n’a pas fait l’objet de sanction pénale ou de condamnation à l’emprisonnement ferme pour une période supérieure à un an ou est susceptible d’être condamné à une peine égale ou supérieure à cinq ans. Toutefois, cette durée peut être portée à quatre mois par ordonnance motivée du juge d’instruction s’il l’estime nécessaire ou sur demande du procureur de la République sans que cette durée ne dépasse deux ans si les éléments constitutifs de l’infraction ont été commis hors du territoire national, ou si l’individu est poursuivi pour homicide volontaire, trafic de drogues, terrorisme, association de malfaiteurs, prostitution, viol, brigandage ou pour cause d’infraction commise en bande organisée. En matière de crime, la durée de la détention préventive ne peut dépasser six mois, renouvelable une seule fois par ordonnance motivée si l’individu détenu n’a jamais été condamné pour crime ou délit de droit commun, n’a pas fait l’objet sanction pénale ou de condamnation d’emprisonnement ferme pour une période supérieure à un an ou est susceptible d’être condamné à une peine égale ou supérieure à cinq ans. Toutefois, cette durée peut être prorogée de six mois par ordonnance motivée du juge d’instruction s’il l’estime nécessaire ou sur demande du procureur de la République sans que cette durée n’excède trois ans si les éléments constitutifs de l’infraction ont été commis hors du territoire national ou si l’individu est poursuivi pour homicide volontaire trafic de drogues terrorisme, association de malfaiteurs, prostitution, brigandage ou pour cause d’infraction commise en bande organisée.
Extrait Rapport novembre 2009 du bâtonnier
Certains détenus préventivement séjournent en prison depuis 2006, quelques exemples : Brahim Barry dossier RP/683/2006Oumar Ould Alioune dossier RP/1418/2006 Dof Ould M’beye RP/1299/2006
Alioune Ould Beylil RP/0418/2006 (affaire d’un téléphone portable !!!)
Cheikh Ould Ahmed dossier RP/1402/2006 (recel de matelas volés !!!)
Malick Ndiaye dossier RP/1418/2006
Quelques exemples de détenus depuis 2007
Bahaida Ould Sidi Mohamed
Hadrami Ould Mohamed (né en 1985) dossier RP/608/2007
Quelques exemples de Détenus depuis 2008
Amadou Sow RP/0669/2008
Abdellahi Ould Jemoua dossier RP/0182/2008
Abdellahi Ould Boubakar dossier RP/0182/2008
Mohamd Elhacen Ould Bah dossier RP/0041/2008
Saad Ould mohamd Mbarek dossier RP/1412/2008 téléphone portable !!!)
Abdellahi Ould Verrah RP/151/2008
Mouchtaba Ould Mohamed Mahmoud dossier RP/791/2008 (location de voiture tombée en panne!!!)
Source : Le Quotidien de Nouakchott le 10/03/2011