Le projet baptisé « Deux sans complexes », présenté le 11 février, débutera officiellement en novembre prochain. L’idée de cette nouvelle initiative axée sur la jeunesse est venue de la campagne « Vivons ensemble », lancée en 2003, comme l’a expliqué Abderrahman Ould Ahmed Salem, réalisateur et directeur de ce programme .
« Ce projet est devenu le mot d’ordre de la maison », dit-il à Magharebia. « Toutes nos entreprises ont le même objectif : aider à implanter les concepts d’unité nationale et de respect des droits de l’Homme… [et ] faire de cette diversité culturelle et ethnique une source d’enrichissement. »
Ce projet de trois ans ciblera les jeunes âgés de moins de 35 ans. « Cette catégorie est la plus ouverte et la plus réceptive aux nouvelles idées », poursuit-il. « Elle représente de surcroît 70 pour cent de la population. »
« Il y a une autre raison à ce projet – les conditions qui prévalent aujourd’hui dans le monde en matière de crises et de conflits, dont la principale cause est l’absence de dialogue et d’acceptation de l’autre dans les pays à diversité culturelle et ethnique », explique-t-il.
« Nous devons lancer ce dialogue culturel dès à présent. »
Ce projet vise à initier la discussion entre Arabes, Berbères (que l’on appelle ici les Beidanes) et les groupes ethniques noirs africains comme les Pular, les Wolof et les Soninké.
L’idée est de les faire se parler, dans une ambiance de liberté et sans médiateur, sur ce qui est souvent gardé sous silence dans la société : la nature des différences sociales, les différences de couleur, l’ethnicité, les habitudes, les traditions, les appréhensions et les impressions.
Les conversations franches et ouvertes seront enregistrées en vidéo et diffusées à la télévision et dans des cinémas en extérieur, et publiées sur lnternet.
Selon Mariem Baba Ahmed, sociologue et membre du conseil scientifique de ce projet, ces discussions entre jeunes permettront aux chercheurs sociaux d’identifier les failles et de diagnostiquer des solutions destinées à surmonter les préjugés. Elle se déclare optimiste sur le fait que de nombreux jeunes participeront à ce dialogue.
Après tout, déclare-t-elle, le terreau commun à la génération actuelle est plus important que par le passé.
Les divisions ethniques dans la société mauritanienne peuvent être facilement comblées, « parce que l’Islam nous unifie malgré nos différences ethniques, de couleur et de nationalité », explique Sarr Abdellahi, imam dans une mosquée du quartier d’al-Sabkha, à majorité africaine noire.
« Il nous suffit de nous asseoir ensemble pour discuter des préjugés que chacun d’entre nous entretient vis-à-vis des autres », dit cet imam.
Si le discours pouvait s’établir entre ces jeunes, ajoute-t-il, ils s’apercevraient de tout ce qu’ils ont en commun.
Khalilou Diagana, journaliste et membre du conseil scientifique, dit que bien que la Mauritanie soit un pays multi-ethnique et mutli-culturel, la société est basée sur un système de classes sociales très strict ; et que cela a créé un sentiment de supériorité chez certains au détriment des autres.
Mais il se dit optimiste concernant l’initiative des cinéastes.
« Le projet « Deux sans complexes » crée les conditions d’une communication entre les classes », explique Diagana. « Je pense que l’idée de diffuser ce dialogue par le biais des médias, notamment la télévision, encouragera les gens à aborder cette idée de manière très positive. »
Les jeunes au coeur du projet ont favorablement accueilli cette idée. Mokhtar Baba, son coordinateur, se dit convaincu de son succès et de sa ferme intention de changer les vieilles mentalités.
« J’appartiens aux Beidanes, qui sont considérés comme la plus haute classe sociale », raconte Baba. « Mais cela ne m’empêche pas d’avoir des relations avec des personnes appartenant à d’autres classes. Je ne me considère pas comme ayant une valeur supérieure à la leur, parce que la valeur ne se définit pas à l’aune de la couleur ou des affiliations ethniques. »
Et d’ajouter : « J’espère que ce projet sera fondé sur la culture de l’écoute et de la franchise, et qu’il permettra de renforcer le concept d’unité nationale, de façon à ce que les futures générations soient sans complexes. »
« Nous refusons tous les regards de mépris basés sur la couleur ou l’ethnie », affirme Mohamed Ould Mbarek, un jeune homme de la classe arabe noire connue sous le nom de Haratines (anciens esclaves), et participant au projet. « Je pense qu’il est temps que nous parlions des causes de ces complexes et que nous leur trouvions des solutions », déclare-t-il à Magharebia.
« Le silence est ce qui a permis à ces stéréotypes de durer aussi longtemps », ajoute-t-il. « Nous mettons de grands espoirs dans ce projet, pour supprimer de nombreuses différences entre les classes, ou au moins entre les jeunes. »
Tfeila Ndiaye, une jeune Wolof, ne cache pas ses craintes, expliquant que le succès de cette initiative est « lié à la volonté de la société de dépasser une mentalité basée sur les classes ».
« Cela tient au fait que de nombreux jeunes rejettent le retrait des barrières sociales et ethniques, qui leur permettent de conserver certains privilèges sociaux. Mais je fonde mes espoirs sur les jeunes qui participeront à ce dialogue. Il exige que chacun, homme ou femme, prenne une initiative personnelle sérieuse et ne se contente pas de brandir de faux slogans », dit Ndiaye.
Son amie Fatimetou Cheikh est résolument plus optimiste.
« Je suis un exemple de la coexistence entre ethnies », nous dit-elle. « Mon père est un Hausa, ma mère une Foulani, et ma grand-mère une Beidane. C’est une diversité qui peut être répétée par le biais d’un dialogue renforcé et la suppression des tabous ».
Jemal Oumar
Source : Magharebia le 18/02/2011