France : « Moi, métis »

Les bien-pensants parlent d’enfants issus de la diversité. Dans la cour de l’école, il y a les « rebeus », les « renois », les « Chinois », les « poundés », les « babtous ». Une enquête de Doan Bui.

C’est l’un des sketchs culte de son nouveau spectacle. Jamel Debbouze évoque son mariage avec Mélissa Theuriau, et la première rencontre entre les deux familles.  « Eux ce sont des catholiques de l’Isère,  nous on est des musulmans de Trappes. Elle,son père est saxophoniste, moi, le mien, il est schyzophréniste». Mélissa et Jamel, le prince et la princesses version 2011, ont eu un petit garçon. Devinette, comment s’appelle-t-il ? « Je voulais Zizou, mais elle a préféré Léon ». Va donc pour Léon. Sauf que…. « Je vois mon père, il me dit, c’est très beau Léon ! J’adore Léon ! Mais pour moi, ce sera Ali. Depuis, mon fils est devenu un peu schizophréniste, comme lui » . Leon Ali Debbouze a deux ans. Et déjà deux identités. Il est métis.

« Schyzophréniste » ? Deux ouvrages viennent de sortir sur la question métisse. Version pessimiste, voilà « Maudit Métis » (1), du journaliste Bertrand Dicale, un témoignage sur le mal-être du métis, écartelé entre deux cultures. Et condamné, selon Dicale, à devenir à terme la victime expiatoire d’une société « de plus en plus obsédée par la pureté identitaire ». Version rose, voilà « La question métisse » (2), de Fabrice Olivet, qui à partir du même constat, («  je suis noir et blanc, bref génétiquement situé dans le camp des victimes et des bourreaux »), rêve d’une République qui aurait inscrit le métissage dans son ADN.  Une France dont la bande son serait : «.Je suis Métisse, un mélange de couleurs Oh oh »-, chanté par Yannick Noah et Disiz la Peste et le visage celui de la belle Noemie Lenoir (ou celui de l’égérie « bébé cadum », qui, en 2009, pour la première fois depuis sa création en 1924 , choisissait un enfant métis). Cette même France qui semble pourtant de plus en plus obsédée par les questions identitaires, et où, à trop vouloir définir cette fameuse identité nationale, on a tracé une ligne invisible entre les « français de souche » et les autres. Schyzophrénie, encore. « Très peu de travaux ont été réalisés sur les métis»  dit le sociologue Pap Ndiaye « La sociologie est très imprégnée de Bourdieu, avec une grille de lectures unique, la lutte des classes. Evoquer le facteur racial a longtemps été tabou. Pourtant, même si la race n’existe pas d’un point de vue scientifique, elle existe, hélas, d’un point de vue social. ». La République préfère ainsi parler de « métissage », joli mot fourre-tout, que de « métis ».*

 

Jambon or not jambon ?

Isabelle, lorraine, et Sohil, d’origine algérienne  n’ont pas ces fausses pudeurs. Pour eux, leur fils est métis, évidemment. « Je suis blonde aux yeux bleus, mon fils est très typé, alors on me prend parfois pour sa baby-sitter. Mais le choc, c’est quand mon patron m’a dit en plaisantant, il est mignon ton fils, il a une bonne petite tête d’arabe ». Le choix du prénom a été l’affaire d’âpres négociations. Le couple a opté pour Yanis, un mixte des deux cultures. Isabelle a rajouté Gilles en deuxième prénom, le prénom de son père, Sohil, a imposé Sankara, du nom d’un leader africain anti-impérialiste, en troisième prénom. Yanis, 3 ans, est déjà « schyzophréniste » à sa façon. « Il dit très fort devant son père, moi je ne suis pas arabe, je mange du saucisson. Et en même temps, il veut passer ses vacances avec son grand père paternel qui ne parle pas un mot de Français » raconte sa mère. A la maison, le petit mange du jambon, mais Isabelle vient de découvrir que son mari, en inscrivant Yanis à la cantine, a coché la case « enfant ne mangeant pas de porc ».  Yanis fête l’Aïd et Noel « Là, cela ne me gêne pas, c’est une coutume qu’on rajoute.». Alors, Jambon or not Jambon ? C’était le pitch de la dernière comédie en date sur les unions mixtes, réalisée par Anne de Pétrini, sortie il y a quelques mois. On vous le disait, c’est l’air du temps, qui transforme « l’affaire » des burgers hallal de Quick en débat politique sensible.

 

Si tu n’es pas sage, « Ong tay » (monsieur le Français »), viendra te gronder !

Dis moi ce que tu manges et je te dirais qui tu es : la nourriture est en effet un lieu sensible de la transmission. Baguettes, nuoc-mam et pho : Bruno Trieu, 37 ans, Français d’origine vietnamienne, s’est fait un point d’honneur à familiariser très tôt son fils de trois ans à sa culture culinaire. Mais pour le prénom, il a délibérément choisi un prénom Français, Louis : « J’ai décidé de m’appeler Bruno quand j’ai commencé à bosser. Personne n’arrivait à prononcer ou retenir mon prénom vietnamien. Je ne voulais pas que mon fils ait les même tracas ». Vint ensuite le dilemme du nom de famille.  « Fallait-il mettre mon nom ? Celui de sa mère, Dubois ? In fine, on a opté pour Dubois-Trieu. Je me suis dit que ce serait plus facile pour lui, quand il cherchera du travail. Je veux qu’il soit un Français comme les autres ».  Pourtant, quand il a vu que son fils était devenu Louis Dubois, l’administration aimant la brièveté, il a regretté. « Je suis né en France, je ne parle pas vietnamien…Ma génération a tellement voulu s’assimiler que je me demande si à trop vouloir s’intégrer, on ne s’est pas désintégré ».

Pour les immigrés de la deuxième génération, comme lui, souvent mariés avec des « Français de souche », la naissance d’enfant métis survient comme un catalyseur. « Qu’est ce qu’on va leur transmettre ? Que va-t-il rester de notre culture ? » s’interroge Lan, 40 ans, à Lyon. Lan se rappelle très bien que, petite, « ong tay », « monsieur le Français », est une espèce de croquemitaine, invoquée par sa grand-mère vietnamienne. « Elle nous parlait en vietnamien et me disait, si tu n’es pas sage, Ong Tay viendra te chercher ! »  Dans sa famille, comme dans beaucoup de familles immigrées,  il y a toujours eu « les Français ». Et « nous ». Il fallait « bien travailler à l’école », car, disait les parents « sinon, les Français te mépriseront ». Lan a bien travaillé, s’est bien intégrée, si bien d’ailleurs qu’elle ne parle plus vietnamien, comme beaucoup de cousins de sa génération. Tous ses copains étaient des « Français ». Comme son mari. « Quand ma fille Alice m’a dit qu’elle était Française comme son père, ça m’a fait bizarre. Elle a longtemps rejeté son côté asiatique. Elle refusait de manger avec des baguettes ». Alice s’est fait traiter de « chinoise ». Aussi bien par des « arabes » que des « Français ».

 

Babtous, renois et poundés

Que les vierges républicaines ne s’effarouchent pas…A l’école, on ne parle pas de « minorités visibles » ou d’enfants « issus de la diversité », ces euphémismes dont l’époque est friande. Il y a les « rebeus » ou « rabza » , les « renois », les « chinois », les « poundés » (indiens, tamuls et autres) et les « babtous », les blancs. Les métis ne sont dans aucune case. Ce qui peut parfois être un avantage. « On est des caméléons » dit Hélène, métis, en 3e, qui vit dans le XIXe arrondissement à Paris, un quartier très mélangé. « Nous au moins, personne ne peut dire qu’on dire qu’on est des babtous ». Même si c’est le cas, puisque,  Hélène l’avoue, elle  s’est « toujours vue blanche ». Comme sa petite sœur Eloise, qui se dessinait d’ailleurs jadis avec des cheveux blonds.… « Je me suis rendue compte que ma couleur de peau était différente au primaire, parce qu’on me posait toujours des questions sur mon origine ».  Dans la cour, la distinction sémantique entre les différents groupes ethniques est complexe. Il y a la couleur de peau, mais aussi tous les attributs et codes vestimentaires qui vont avec. « Par exemple, on dit renoi pour le garçons, mais fatou pour les filles » décode Hélène « Je pourrais être une fatou, si je le voulais, mais comme je ne m’habille pas comme elle, je suis plutôt assimilée babtou.». Si à l’origine, ces épithètes étaient plutôt péjoratives, elles sont passées dans le langage courant de l’école : « On va dire, tiens cette babtou elle est sympa, ou j’ai croisé Machine, tu sais la fatou, plutôt que de dire la fille au pullover bleu ou jaune. »  

 

Choisir son camp

Si Helène se voit blanche, Mae 9 ans, se voit plutôt noir. Ainsi que sa sœur Nele, 6 ans. Nathalie, leur mère, une blonde aux yeux bleus constate: « Mes enfants se voient plutôt comme noirs, parce que c’est comme ça qu’on les voit à l’extérieur. ». Comme si le métissage se définissait d’abord à l’aune du regard de l’autre. « J’ai le teint clair. On me prend souvent pour une métisse et on me demande, comme si je devais me justifier, pourquoi je me revendique comme noire. » dit la journaliste Audrey Pulvar « C’est un malentendu total. Certes, mon père est Chabun – le nom donné aux teints clairs aux Antilles-, mais il s’est toujours considéré comme noir. Même si, évidemment, de part l’histoire, tous les martiniquais sont métissés. Dans ma généalogie, j’ai du sang noir et du sang blanc, celui du maître et de l’esclave ». La focalisation sur la couleur n’est pas que l’apanage de la métropole. « C’est une obsession dans les sociétés créoles !  Ce n’est d’ailleurs que quand je suis venu habiter en Guadeloupe à l’adolescence, après une enfance passée en banlieue parisienne, que j’ai vraiment réalisé que j’étais métis » explique le journaliste Bertrand Dicale. Aux Etats-Unis, pays pourtant également très « métissé », on doit en revanche « choisir » son camp.  « C’est le fameux syndrome de la tâche » explique Pap Ndiaye « Si vous avez du sang noir, vous êtes considéré comme noir aux Etats-Unis. Le métis n’existe pas là bas. Depuis 2000, il est certes désormais possible de cocher la case multiracial, mais le poids de l’histoire est tel que pour l’instant, la plupart des Américains cochent noir, asiatique, caucasien etc etc… ». Même Obama, né d’une mère blanche du Kansas et d’un Kenyan, est perçu comme noir. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard. Beaucoup de hérauts de la cause Noire sont des métis. Comme Malcolm X, dont le grand père était écossais. Eberlué, quand on lui demanda, lors d’un voyage au Ghana, pourquoi un blanc comme lui s’intéressait aux Afro-américains… Ou encore Bob Marley, dont le père était un capitaine de la Navy, blanc.

 

« Sale blanc chez les noirs, sale noir chez les blancs »

Alors peut-on vraiment être des deux côtés à la fois ? Dans les forums de discussions sur le Net, le sujet déchaîne les passions. « Les Tissmé (métisses) revendiquent leur coté non blanc parce qu’en France on ne fait pas de distinction entre les tiss, les renoi ou les rebeu,  ils sont en général mis dans le même sac », explique « Dri2x », tandis que « shiro » trouve qu’être « tissmé » c’est se « sentir chez soi nulle part, sale blanc chez les noirs, sale noir chez les blancs ». Même écho sur la page Facebook « Métis Franco-Chaoui » ( franco algérien) , qui plaide : « nous sommes métisse bien souvent d un père nord africain et d une mère francaise!!! nous sommes rejetés par les francais et les arabes. Les européens nous traite de sales arabes et les arabes de sales francais ». Le pédopsychiatre Jonathan Ahovi voit défiler beaucoup de ces adolescents en pleine quête identitaire : « Certains, en souffrance, choisissent de se radicaliser. Je me rappelle de cet ado dont le père d’origine africaine était agnostique, et qui s’est pourtant converti à l’islam dur. Sa manière à lui de réinterpréter l’histoire familiale et de retourner aux racines». La tentation du radicalisme ? Difficile de ne pas songer à Dieudonné, métis lui aussi, désormais abonné aux provocations et dérapages en tous genres… Pour Jonathan Ahovi, la pedo-psychiatrie, comme les sciences sociales, d’ailleurs,  a trop longtemps ignoré le facteur ethnique. « Enfants d’immigrés, enfants adoptés, métis : ces enfants ont pourtant les même questionnements. Ils se sentent tiraillés, ont souvent l’impression de trahir d’un côté ou de l’autre. » Le médecin est cependant optimiste : « Il faut les laisser vivre cette phase de rejet pour se construire » Alice l’eurasienne a désormais 16 ans, et elle est plus sereine depuis qu’elle a eu la chance de partir en famille découvrir le pays d’origine de sa mère. « Elle a découvert une image inversée de la France, » dit Lan « Là bas  c’était son père qui était l’étranger. Elle s’est rendu compte que son côté asiatique lui permettait de s’intégrer. Elle n’était plus minoritaire ».

Doan Bui

Source  :  Le Nouvel Observateur le 04/02/2011

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