La rue tunisienne donne des céphalées à Nouakchott : Quelle différence entre l’UPR et le RCD tunisien ?

L’interrogation est sur toutes les lèvres ! Disons simplement qu’un malheur ne vient jamais seul. Toutefois, ce qui se passe en Tunisie en ce moment offre un bel exemple qui donne matière à réfléchir.

 

Car, bien que Zine Abidine Ben Ali ait été obligé de fuir le pays, les tunisiens ne baissent pas encore les bras, exigeant tous les jours et avec détermination, la démission du gouvernement, dont plusieurs ministres issues du RCD, détiennent encore des postes clés dans l’attelage gouvernemental.

A Nouakchott, disons que ce qui se passe ici ou là dans le monde arabe en général et au Maghreb en particulier, ne laisse nullement indifférent en haut lieu. C’est la raison pour laquelle les évènements sont tant bien que mal suivis et analysés à la loupe du myope. D’autant que la stabilité politique et sociale de la Tunisie et son modèle économique suscitaient admiration ici. Particulièrement au sommet du pouvoir acquis à la thèse que la résolution de la pauvreté du pays « source de tous les maux », passe par son développement économique. Or, à quel prix, le pays de Ben Ali a t-il été développé ? Certainement au prix d’une dictature féroce et sanglante avec pour seul résultat d’enrichir un club restreint du cercle familial, à commencer par lui et son épouse, si l’on en croît les révélations qui se suivent et se succèdent sur la gestion du pays et des biens accumulés par le dictateur et sa progéniture durant 23 ans de règne sans partage. Il faut qu’on se le dise, tout le monde doit avoir présent à l’esprit que la Mauritanie n’est pas la Tunisie.
Certes que les deux pays se retrouvent dans l’UMA en panne sèche depuis sa création, une communauté de langue et une ambition commune d’entretenir une coopération mutuellement avantageuse, chaque pays a, malgré tout, ses réalités. La Tunisie s’est dotée d’un bon système éducatif de la maternelle à l’enseignement supérieur, produisant au finish des ressources humaines compétentes, qui n’ont rien à envier aux cadres sortis des grandes écoles européennes et américaines. Son système de santé est des plus performant au monde. Beaucoup de malades dans les pays africains et même européens dont la France font des institutions sanitaires tunisiennes, leur destination privilégiée. La Mauritanie ne fait pas exception puisque bon nombre de ses étudiants sont formés dans ce pays tout comme elle y évacue ses malades pour des soins que l’on ne peut dispenser ici faute de structures sanitaires adéquates. Voilà les clefs du succès tunisien. Ce n’est pas sorcier, pourvu d’en avoir la volonté sincère. De plus, notre société souffre de trop de tares dû à l’ignorance de la population manipulable et corvéable à merci sans réfléchir.

D’un parti-état à l’autre
La Mauritanie, disions-nous, n’est pas la Tunisie. Sa spécificité est qu’elle est un pays tampon entre le Maghreb Arabe et l’Afrique noire. De plus, sa composante nationale est faite d’arabes et de négro-africains dont la cohabitation reste toujours tumultueuse depuis 1966 jusqu’à nos jours. Elle a vécu sa plus grande dictature sanglante avec l’avènement du régime sanglant de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya de 1984 à sa chute en août 2005. La communauté négro-africaine en a payé le plus lourd tribut même si baathistes et nasséristes et autres opposants non affiliés à des groupes ou partis politiques ont été aussi réprimés. Résultats, les Mauritaniens sont divisés sur des questions identitaires et de langue qui empoisonnent la cohabitation entre les communautés nationales. Ne nous voilons pas la face, la plaie est là toute béante encore prête à s’infecter à la moindre blessure. Sur ce plan, nous n’avons rien à envier à la Tunisie de Ben Ali puisque que la pression de la rue l’a bouté hors de Tunisie tandis que le despote de Nouakchott avait été balayé par un coup d’Etat. Son homologue tunisien a trouvé refuge en Arabie Saoudite grâce à la bienveillance américaine pendant que lui trouvait asile au Qatar où il se la coule douce. Retenons que Ould Taya avait été renversé à Nouakchott à la faveur d’un déplacement en Arabie Saoudite à la suite du décès du roi Fahd. Autre similitude entre la Mauritanie et la Tunisie, leur formation politique. Dans le pays du million de poètes, le parti-état (PRDS) au pouvoir à l’époque, fut presque interdit d’activités. Les anciens thuriféraires du régime déchu, par des manœuvres du CMJD, seront invités à se transformer en indépendants pour pouvoir participer aux élections municipales et législatives organisées en novembre 2006. la suite on la connaît. Sidi Ould Cheikh Adbdellahi vainqueur des présidentielles de mars 2007, crée le PNDD-ADIL. C’est la bousculade des orphelins du PRDS devant la porte du parti. Renversé par un coup d’état en 2008, les nouveaux maîtres du palais présidentiel à Nouakchott créent l’UPR. Les mêmes qui jouaient des coudes au PNDD-ADIL après le PRDS, font le plein au nouveau parti de Mohamed Ould Abdel Aziz où ils font exploser l’applaudimètre à toutes les occasions et à tous les rendez-vous. Tout le contraire de la Tunisie d’aujourd’hui qui ne veut ni plus, ni moins, que la dissolution du parti-état (RCD) de Ben Ali pour ses nombreux pêchés contre le peuple.

De la coupe aux lèves, le fossé est large
Quant à l’exemple tunisien en matière de développement économique, si quelques parts la Tunisie constitue un modèle, c’est parce qu’elle s’est donnée les moyens de son ambition. Que les officiels mauritaniens veuillent s’inspirer de son expérience n’est pas un crime, encore faudrait-il s’en donner les moyens. Et comment ? Une question à 1 milliard d’euros pour qui saurait donner la bonne réponse. Notre système éducatif est moribond. En outre, bien que le président de la république déploie un trésor d’énergie en matière sanitaire, ses conseillers oublient ou ont peur de lui dire que ce secteur manque cruellement de ressources humaines compétentes. Dès lors, à quoi sert des hôpitaux et des centres de santé bien équipés quand il n’y a pas des ressources humaines compétentes pour les faire tourner ? Sans parler des établissements d’enseignement général et professionnel qui dispensent un enseignement au rabais et obsolète dans une totale in équité entre ses fils. Les biens nés sont envoyés à l’étranger dans de grandes écoles professionnelles et les autres maintenus dans un système totalement délabré. Deux régimes, deux partis états qui ont des similitudes à bien des égards. Attention donc à la rue avant qu’elle ne s’enflamme aussi sur un rien comme en Tunisie. Dire que ce genre d’évènement n’arrive qu’aux autres est une erreur monumentale. Mieux vaut en tirer les leçons qu’il faille loin des thuriféraires du régime partisans résolus de leurs intérêts mesquins.

Moussa Diop

Source  :  Le Quotidien de Nouakchott le 24/01/2011

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