L’Iset, un laboratoire de l’école

Depuis un an, à Rosso, l’Institut supérieur d’enseignement technologique forme des techniciens et des ingénieurs, et commence à s’intégrer à l’économie locale. Un campus et une expérience uniques dans le pays.

 

Le jardinier ne lève pas la tête au passage du 4×4. Accroupi sur la pelouse vert tendre, il reste concentré sur la taille d’une bougainvillée. Toute la journée, il poursuivra son ouvrage auprès des roses, des pamplemoussiers, des goyaviers, au bord du bassin des tilapias – des poissons d’eau douce – ou près de l’enclos des autruches. Il est 11 heures, le soleil tape et c’est vendredi – chômé en Mauritanie. Mais ici, on ne plaisante pas avec la nature.

« Ici », c’est l’Institut supérieur d’enseignement technologique (Iset), à 7 km de Rosso, la capitale du Trarza, au bord du fleuve Sénégal, qui connut son heure de gloire à l’époque coloniale (s’y trouvait alors le seul lycée du pays). Inauguré en novembre 2009 après une gestation chaotique de six ans, l’Iset forme des ingénieurs en agronomie, en génie mécanique, des vétérinaires, des spécialistes des biosystèmes… Dans un pays où l’éducation tombe en lambeaux – absentéisme des professeurs, taux de réussite au bac de 14 % en 2010 –, cette école naissante est une expérience unique en Mauritanie.

Pépinière et tuteurage

Derrière la grille s’ouvre un campus de 45 ha aux allures de jardin public. Des allées goudronnées vierges de détritus sillonnent entre des bancs (en plastique recyclé), des massifs de fleurs et de petites baraques jaunes. Elles abritent des chambres doubles pour les étudiants – 150 actuellement, dont 30 % de filles –, la résidence des 33 professeurs, des laboratoires équipés en matériel de recherche, une unité de production de yaourts aromatisés, de confitures, de lait, des salles de classe dotées de wifi.

Un ordre et une modernité qui tranchent avec le reste des institutions publiques. « L’Iset doit être un pôle d’excellence », explique son directeur, Ahmeda El Gaouth. Tout juste arrivé dans son école, où il vit 24 heures sur 24, il quitte son boubou pour un survêtement et une casquette. Agronome formé aux États-Unis, où il a travaillé jusqu’en 2003, notamment au ministère de l’Agriculture, Ahmeda El Gaouth passe une bonne partie de son temps en palabres avec les étudiants.

« Ils croient que tout leur est dû ! » s’énerve-t-il avant de préciser le montant des frais de scolarité : 20 000 ouguiyas (52 euros) par an, plus 48 000 ouguiyas pour l’hébergement et la nourriture, une somme « abordable », selon lui. Le ton monte, mais Ismaïl, 19 ans, apprécie la leçon de morale : « Au moins, il discute, je n’ai jamais vu un directeur échanger avec des étudiants. » Le but d’Ahmeda El Gaouth est de « créer un environnement favorable à l’éclosion du potentiel des étudiants, de leur transmettre le goût du travail, qu’on a perdu, de leur rappeler qu’il faut faire les choses avec passion. » Et, surtout, de les protéger de la politique. En Mauritanie, c’est un moyen certain de s’assurer sans effort un statut social, mais il l’a en horreur. 

De la recherche à la production

Pour arriver à ses fins, Ahmeda El Gaouth impose des règles et ne transige pas. Au volant de son 4×4, il circule sur le campus et s’arrête pour rappeler les mots d’ordre. Il tance un jardinier – « Il ne faut jamais laisser stagner l’eau ! » –, s’agace devant la bergerie – « Il y a du laxisme, ils n’ont pas balayé ! ». L’accès à Facebook n’est autorisé qu’à partir de 22 heures. Chaque étudiant arabisant doit partager sa chambre avec un francophone.

La greffe de ce monde idéal entre les murs de l’Iset en est encore au stade expérimental. Attirer des professeurs de Nouakchott à Rosso est un défi. Pour certains, c’est une ville de brousse qui rime avec ennui. Les élèves sont recrutés sur dossier après le bac, mais ils ne sont pas toujours au niveau. À la fin de la première année, la moitié de la promotion a été renvoyée pour mauvais résultats. Malgré leur diplôme, trouveront-ils un emploi ? Encore faut-il que le reste de l’économie suive. Aujourd’hui, la plupart des produits de consommation courante sont importés, faute d’industrie.

Afin de créer des débouchés, l’Iset a également pour mission d’être un site de production. Dans un atelier, deux employés fabriquent du « bio charbon » à partir de typha, une mauvaise herbe qui fait des ravages au bord du fleuve Sénégal. Il sera proposé aux habitants du coin 20 % moins cher que le charbon traditionnel. Une boutique à Nouakchott commercialise les produits laitiers de l’école. Fertile grâce au fleuve, la région de Rosso est agricole. Les éleveurs des environs sont mis à contribution. Mariatou, « 56 ans et neuf gosses », fait transformer le lait de son cheptel à l’Iset, puis le revend en sachet au marché. Sur 100 ouguiyas – le prix de vente d’un sachet de lait caillé –, elle en reverse 18 à l’Institut.

Chacun doit y trouver son compte. Le but est d’entraîner l’économie locale, mais aussi, pour l’Iset, de générer des recettes. En 2010, elles représentent 15 % du budget alloué par l’État, de 300 millions d’ouguiyas. Tout reste à faire, mais Ahmeda El Gaouth espère un jour parvenir à 30 %. Moyennant, certainement, quelques leçons de morale.

Marianne Meunier

Source  :  Jeune Afrique le 19/01/2011

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