Pour réaliser cet entretien exclusif, le correspondant de La Croix, basé à Abidjan, a dû se rendre à l’hôtel du Golf dans un hélicoptère affrété par les Nations unies. C’est le seul moyen de rencontrer Alassane Ouattara, président élu de la Côte d’Ivoire, retranché dans cet hôtel depuis fin novembre, et encerclé par les forces de Laurent Gbagbo.
« La Croix » : Le premier ministre kényan, Raila Odinga, était lundi et mardi 18 janvier à Abidjan pour une nouvelle médiation. Il vous a rencontré, ainsi que Laurent Gbagbo. Qu’est-ce que cette nouvelle tentative vous inspire ?
Comme à son habitude, Laurent Gbagbo a demandé du temps et a fait des promesses qu’évidemment il ne respectera pas. Mais il est clair qu’il veut utiliser ce temps pour importer des armes, des munitions et des mercenaires.
Le dialogue est donc définitivement rompu, selon vous ?
Le résultat de l’élection a été certifié par les Nations unies. Il a renversé le résultat. Ce n’est pas démocratique, et ce n’est pas acceptable ! En 2011, il y a aura 18 élections en Afrique. C’est un précédent très dangereux si Laurent Gbagbo arrive à s’en sortir. Le verdict des urnes n’aurait plus aucun intérêt.
Il ne reste plus, selon vous, que l’intervention militaire ?
J’aurais pu dire après les deux premières missions : « Ce n’est pas la peine », mais je veux donner toutes les ouvertures possibles pour que nous puissions y arriver de manière pacifique. Je pense qu’après cette mission, l’Union africaine et la Cedeao comprendront que cette voie n’est plus possible avec Laurent Gbagbo, et qu’il faut avoir recours à d’autres mesures, y compris l’usage de la force.
Vous pensez vraiment que la Cedeao va passer des menaces à une action sur le terrain ?
Des arrangements sont en cours pour qu’ils aillent faire des reconnaissances à Bouaké, qui sera peut-être le centre de regroupement des soldats. La Côte d’Ivoire ne peut pas continuer comme ça, avec ce monsieur qui se prend pour un président. C’est un clown, et c’est tragique pour notre pays.
Demander à vos partisans de marcher pacifiquement ne serait pas envisageable comme alternative ?
Nous avons choisi la voie pacifique et nous avons suivi la Cedeao. Elle nous dira dans quelques jours comment elle compte procéder. Je préfère la voie de la Cedeao qui est en réalité de proposer une exfiltration. Il s’agit de venir chercher Laurent Gbagbo, comme cela a été fait pour d’autres chefs d’État en Afrique ou ailleurs.
S’il y a des fidèles qui s’accrochent, ils en feront les frais. Cette solution est meilleure que d’avoir des milliers de morts. J’ai un devoir de protection de tous les citoyens, et de la vie humaine. Je ferai tout ce que je peux pour éviter la violence et la perte de vies humaines.
L’étouffement économique du régime en place paraît connaître des limites ?
Alors que j’ai été désigné par les ministres des finances de l’Uemoa (2) comme le seul gestionnaire des finances ivoiriennes. C’est un détournement de deniers publics, qui s’est fait sur instruction du gouverneur et du directeur de la banque centrale à Abidjan. La conférence des chefs d’État de l’Uemoa, le 22 janvier, à Bamako, sera l’occasion de régler définitivement cette question.
La situation économique du pays paraît aussi difficile.
Les effets de la situation actuelle sont désastreux : le PIB va chuter, tout comme les exportations et importations. La misère va augmenter. Je ne comprends pas que Laurent Gbagbo puisse infliger de tels maux à son pays. Il ne pense qu’à son pouvoir.
Comprenez-vous l’inquiétude de certains chrétiens qui redoutent la prise de pouvoir d’un musulman, en l’occurrence vous ?
J’ai eu de forts taux de vote en ma faveur aussi bien dans le nord, dans le centre que dans le sud du pays. Quelques personnes essaient d’introduire la religion dans le débat, mais fondamentalement, elle n’y a pas sa place.
Recueilli par Olivier MONNIER (à Abidjan)
(1) Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
(2) Union économique et monétaire ouest-africaine.
Source : La Croix le 19/01/2011
|