Politique : Autopsie du changement

Quand il est élu le 18 juillet 2009, au premier tour d’une élection consensuelle – parce que cogérée -, Mohamed Ould Abdel Aziz se trouvait dans la situation exceptionnelle de celui qui ne devait rien à personne.

 

Du moins rien à une région donnée, à un groupe politique donné, à un lobby donné… Il avait lui-même mené la bataille selon ses propres appréciations, son calendrier et en déployant les moyens qu’il estimait avoir. Rien à voir avec les élections qui ont précédé. Ici le Président élu était pris en otage avant même son accession au pouvoir. Par ses promesses d’impliquer tel ou tel ensemble, de partager avec tel ou tel groupe. Ce ne fut pas le cas de Ould Abdel Aziz. Ce qui lui donnait une marge de manœuvre exceptionnelle, parce que sans précédent, pour faire la rupture…

 

Le 5 août 2009, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz prête serment. Dans une atmosphère quelque peu détériorée par le refus des partis de l’opposition de reconnaitre les résultats d’une élection où ils étaient pourtant partie prenante, voire les principaux organisateurs (ministères de l’intérieur, de la communication, des finances, de la défense, CENI…). N’empêche, le Président Ould Abdel Aziz peut désormais se prévaloir de la légitimité des urnes.

Durant toute sa campagne, le candidat Ould Abdel Aziz n’avait fait aucune promesse particulière aux intermédiaires politiques traditionnels qu’il avait pour la plupart éconduits publiquement, du moins sans protocole. Il avait promis de gérer le pays d’une manière neuve et avec des hommes neufs.

Le Président élu préfère garder la même équipe. Du moins les mêmes collaborateurs immédiats, l’essentiel des conseillers et des ministres. Pourtant rien ne l’obligeait à le faire. Au contraire, si au moment du choix de ce personnel, Ould Abdel Aziz avait juste besoin d’un personnel totalement à lui dévoué parce que sans compétence particulière, le Président élu engageait un programme qui nécessitait l’efficacité, l’engagement et la loyauté de toute l’équipe mobilisée pour ce faire.

 

Usés avant de s’en servir

 

L’essentiel des hommes et des femmes retenus pour servir la mise en œuvre de l’ambitieux programme de Ould Abdel Aziz, ne pouvaient aucunement mettre en œuvre ce programme, encore moins en incarner la philosophie. Soit parce qu’ils font partie des fantômes du passé, soit parce qu’ils ignorent totalement tout de l’administration et du pays en général. Entre les vieilles figures des époques ternes et les novices recrutés en dehors des cercles «professionnels» de l’activité de l’autorité publique, le Président Ould Abdel Aziz aura plus qu’à faire. D’une part déployer plus d’efforts, donner plus de gages pour entretenir l’espoir de la rupture, au moins du changement. D’autre part colmater les insuffisances de son personnel exécutant et combler le vide. Ce qui explique amplement la nécessité pour lui de constamment se mettre aux-devants pour expliquer, exécuter, recadrer, lancer, corriger… Personne ne semble pouvoir faire ce travail à sa place.

Au niveau du gouvernement, aucune initiative sérieuse n’est à mettre à son actif. Echec sur tous les fronts et manque de visibilité. Ratage de tous les rendez-vous depuis 2009 : on sait par exemple que sans l’engagement personnel du Président Ould Abdel Aziz et de compétences extérieures, la table-ronde de Bruxelles n’aurait pas eu lieu. On sait aussi que le comité de suivi des engagements de cette table-ronde n’a été mis sur pied que quelques mois après. On sait que très peu de ministères travaillent avec efficacité. Qu’il n’y a aucune coordination sérieuse. De nombreux ministres ne semblent pas concernés par l’autorité du Premier d’entre eux. Certains vont même jusqu’à boycotter les bureaux du Premier ministre. On sait aussi que certains secrétaires généraux ignorent l’autorité de leurs ministres, que certains directeurs n’en font qu’à leurs têtes. Comment peut-on refonder avec une équipe hétérogène, avec une administration fondée sur l’indiscipline ?

Sur le plan de la gestion, ce gouvernement n’a pas été capable de faire la démonstration que quelque chose a changé. Il est vrai que le Président surveille de près toutes les dépenses, essaye de limiter les dégâts. Il est vrai que l’argent facile qui découlait des malversations de tous genres, que cet argent s’est raréfié considérablement. Il est vrai que les responsables sont de plus en plus regardants sur les dépenses. Mais est-ce suffisant ?

 

Incompétence et affairisme

 

Aux finances, l’incompétence est telle qu’on croit pouvoir faire de la croissance en coupant dix milliards dans le budget des investissements et en opérant des coupes (25%) dans les budgets de fonctionnement. Les séances «d’arbitrage» destinées initialement à la discussion, département par département, au budget, n’ont été que l’occasion pour la direction du budget de communiquer les montants alloués. Plus de discussions, plus de débats, plus d’évaluation des besoins.

Au niveau des marchés, les malversations continuent. Le gré à gré avec. C’est ici l’hôpital oncologique dont le coût est largement surestimé (plus de 7 millions dollars) et dont les conditions ne remplissent pas les normes. C’est là le dossier de l’assainissement de la ville de Nouakchott signé dans les conditions les moins transparentes (pour environ 150 millions dollars pour quatre départements, alors que la Banque Mondiale avait estimé à moins de 100 millions toute l’enveloppe pour tout Nouakchott). Ne parlons pas des mics-macs dans les transports, autour des lotissements réalisés dans les grandes villes, des déboires de la santé, de l’inefficacité dans les ministères de l’économie, des finances, de l’emploi…, de l’inexistence des départements de l’éducation, de l’hydraulique, de l’énergie…

L’insuffisance politique du personnel autour du Président est constamment mise en évidence par la nécessité pour lui de se mettre toujours en avant. C’est lui qui discute avec les partenaires politiques, c’est lui qui répond aux protagonistes, c’est lui qui fait la promotion de son bilan, qui explique ses projets, qui gère la situation sur tous les fronts… Plus grave, le Président est constamment sollicité pour corriger les sorties fracassantes de ses soutiens politiques.

 

Le virage reste à amorcer

 

L’engagement contre la gabegie est remis en cause par la prolifération des marchés douteux, mais aussi le comportement quotidien des responsables. Ainsi que les demi-mesures qui finissent par ressembler à une injustice. L’exemple le plus probant est celui de l’ancien commissaire aux droits de l’Homme. Tout le monde sait que Mohamed Lemine Ould Dadde n’a pas agi seul et qu’il a fait profiter quelqu’un de plus important. C’est d’ailleurs sa ligne de défense. Tout le monde sait aussi que la somme de 271 millions UM n’est rien par rapport aux sommes dilapidées qui doivent se chiffrer par milliards. Il n’y a pas que Ould Dadde qui doit en répondre. Tout cela décrédibilise et l’action d’assainissement et le travail de l’IGE qui aurait subi toutes sortes de pressions pour éviter à l’ancien commissaire la sortie qui a finalement été la sienne. C’est le cas de l’ancien patron de la PROCAPEC, Ahmed Ould Khattri qui est en prison depuis deux ans, sans être jugé et sans bénéficier de liberté provisoire.

Sur le plan politique, le pouvoir de Ould Abdel Aziz n’arrive pas encore à profiter du désordre créé par sa large victoire en juillet 2009. Le système est incapable de capitaliser les autres victoires. Surtout celle qui a consisté à diviser le front de l’opposition et à tempérer les ardeurs des grands symboles de cette opposition. L’image du président de l’Assemblée nationale et du chef de file de l’opposition, marchant derrière le Président de la République lors de l’exposition minière, cette image aurait dû faire sonner comme un point de rupture dans les rapports politiques. La tension qui a caractérisé la première année du mandat s’est atténuée sans pour autant signifier une normalisation effective des rapports entre les protagonistes politiques.

Le Président Ould Abdel Aziz a-t-il été lent ? A-t-il été «trop» direct en affirmant que «discuter ne veut pas dire partager» ? Son appareil politique a-t-il suivi ? Ou est-ce parce que les protagonistes politiques avaient d’autres desseins que le dialogue avec le pouvoir ? Toujours est-il que l’accalmie n’a pas duré.

 

Incompréhensions graves

 

La Coordination de l’Opposition démocratique (COD) dirigée à présent par le moins politique et le moins représentatif des partis d’opposition, est revenue à son radicalisme des premiers jours de sa constitution. La relance de l’Institution de l’Opposition démocratique n’a pas pu se faire à cause tantôt des incompréhensions entre les partis qui doivent la constituer, tantôt la volonté de certains de garder le statu quo. Pour l’UFP et l’APP mieux vaut continuer à évoluer dans la COD qui ne donne pas le premier rôle à Ahmed Ould Daddah, le concurrent de toujours. Pour Ahmed Ould Daddah et le RFD, la relance peut signifier la fin du monopole de l’Institution et de ses ressources.

On entend ici et là que le Président Ould Abdel Aziz aurait pris l’engagement de changer la loi se rapportant au Statut de l’Opposition démocratique pour revenir à la formule du leader chef de file de l’Opposition. On se souvient que du temps de la présidence de Ould Cheikh Abdallahi, l’UFP avait introduit une nouvelle loi qui donnait au bureau de l’Institution le rôle qui revenait jusque-là au seul chef de file. L’intention déclarée était de ne pas laisser un seul responsable de l’Opposition parler et décider pour tous les autres. «L’Institution ne doit pas être celle d’un homme, mais celle de toute l’opposition». Le prétexte était bon. Mais depuis le changement de la loi, jamais personne n’a sérieusement voulu relancer l’Institution.

Le RFD a de nouveau repris le chemin de l’opposition radicale, revenant subitement aux Accords de Dakar pourtant dépassés ces derniers mois. Cette position a surpris plus d’un. Même si par ailleurs, on sait que, depuis le début, les rapports Ould Abdel Aziz-Ould Daddah n’ont jamais duré le temps de la maturation.

Depuis la fronde parlementaire contre le gouvernement Waghf I jusqu’aux Etats généraux de la démocratie, en passant par la préparation psychologique et politique pour expliquer, parfois justifier le coup d’Etat du 6 août 2008…, le RFD et son président ont plutôt eu des attitudes mitigées.

Quels schémas pour le futur proche ? Le pouvoir – en fait le Président Ould Abdel Aziz – a une grande marge de manœuvre. Soit il choisit de s’ouvrir sur son propre camp en choisissant les meilleurs de son camp. Cela suppose la libération des pesanteurs actuelles et des forces centrifuges. Soit il s’ouvre sur une partie de son opposition. Dans ce cas, il faut bien éviter la perspective de formation d’un gouvernement d’union nationale qui trompe. D’ailleurs, aucun des protagonistes n’est demandeur.

Pour les grands partis – de la Majorité ou de l’Opposition – les échéances de 2011 sont en vue. Toute manœuvre ne peut être que dans la perspective des élections législatives et municipales de novembre 2011. C’est encore plus vrai pour les partis d’opposition qui doivent chercher à apaiser leurs rapports avec le pouvoir et discuter avec lui les oies et moyens d’améliorer les conditions générales de ces élections. Messaoud Ould Boulkheir semble être le seul leader de l’opposition à l’avoir compris.

 Mohamed Fall ould Oumère

Source  :  La Tribune n° 533 du 17/01/2011

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