L’entourage familial du président Zine El-Abidine Ben Ali est une « quasi-mafia », affirmaient des télégrammes confidentiels américains obtenus par WikiLeaks et révélés cet automne, dans le cadre du vaste « Cablegate ». Un constat que font et dénoncent aussi les manifestants qui descendent dans la rue en Tunisie depuis près d’un mois et dont les revendications dépassent largement les questions économiques.
Un régime « corrompu » et « sclérosé »
Les accusations de corruption adressées au régime visent en particulier la famille Trabelsi, dont est issue la femme du président Ben Ali, Leila, qui règne sur de larges pans de l’économie tunisienne. Dans un câble daté de juin 2008, sous le titre « Ce qui est à vous est à moi », l’ambassade cite plus d’une dizaine d’exemples de « magouilles » à mettre au compte de ce « clan ». Au total, selon une citation choisie par le Guardian, « la moitié du monde des affaires en Tunisie peut se targuer d’être lié à Ben Ali », d’une façon ou d’une autre et notamment « par le mariage ».
Par exemple, écrit-il, l’épouse du président se voit accorder gratuitement par l’Etat un terrain, qui sera viabilisé tout aussi gratuitement, pour construire un établissement scolaire privé, revendu depuis. Autre exemple: le gendre du président, Sakhr Materi, aurait récupéré « un immense manoir tape-à-l’oeil », construit sur un terrain au préalable exproprié par l’Etat qui, officiellement, le destinait à l’Agence de l’eau.
Présenté comme « corrompu », le régime tunisien est aussi « sclérosé », pointe un autre mémo émis à l’été 2009 par l’ambassade américaine à Tunis. Tout en saluant la robuste croissance économique (5% en moyenne) et le statut avancé de la femme, il relève que le président Ben Ali « prend de l’âge », qu' »il n’y a pas de successeur avéré ».
Une population « en colère »
« Frustrés par le manque de liberté politique et en colère contre la corruption de la famille de la première dame ». C’est ainsi que ces mémos décrivent les Tunisiens, frappés par une situation économique difficile, « une inflation croissante et un taux de chômage élevé ». Cette colère, « nourrie par les démonstrations de richesse des puissants et par les rumeurs de corruption persistantes », a fini par jaillir à la suite de l’étincelle provoquée par le suicide du jeune Mohamed Bouazizi, le 17 décembre dernier.
Face à cela, « le gouvernement n’accepte ni critique ni conseil. A l’inverse, il ne cherche qu’à imposer un contrôle plus strict, souvent en s’appuyant sur la police », selon les mémos révélés par WikiLeaks. Un raidissement que l’on a pu observer ces derniers jours: critiqué dans la rue, le régime tunisien a recouru à une répression dans le sang et à une censure plus poussée qui n’a fait qu’attiser la mobilisation.
Les Etats-Unis devraient aussi demander aux pays européens d’intensifier leurs efforts pour « persuader le gouvernement tunisien d’accélérer les réformes politiques », ajoutent ces télégrammes. L’Allemagne et la Grande-Bretagne sont acquis à cette idée, mais « des pays-clés hésitent à faire pression » sur la Tunisie. Parmi ces « pays-clés », la France qui s’est davantage illustrée par sa prudence que par son soutien aux manifestants qui ont soif de changement.
Marie Simon
Source : L’Express le 13/01/2011