Scène politique:Nouvelle donne pour Aziz

18 mois après des élections présidentielles très disputées, nous assistons à une configuration politique toute nouvelle, et très particulière. Il est loin le temps où Mohamed Ould Abdel Aziz, cerné par des forces politiques traditionnelles, paraissait fragile

 

et où les commentateurs allaient bon train sur les paris tous pessimistes sur sa longévité. Aujourd’hui, il est clair que le champ politique a pris de nouvelles couleurs et que l’ancien général a vu très fortement réconfortées ses chances d’occuper pendant longtemps le fauteuil de Président de la République.
Le Chef de l’Etat n’est pas pour autant sorti de l’auberge. Il fait face à une opposition politique qui, certes, a été durement malmenée par les événements mais qui développe un disc ours de plus en plus radical. Il fait face aussi à une majorité qui ne se retrouve que très imparfaitement en lui, et que lui-même regarde avec beaucoup de suspicion. Il fait surtout face à une situation sociale de plus en plus difficile, surtout à l’heure où une bonne partie du Maghreb s’embrase.

Penchons nous un peu sur les nouveaux rapports politiques.

La nouvelle opposition
Ils ne sont vraiment pas nouveaux sur le champ politique, les opposants à Ould Abdel Aziz. Ni Messaoud Ould Boulkheir et son APP ; ni Ahmed Ould Daddah et son RFD, ni Mohamed Ould Moloud et ses vieux compagnons de l’UFP ne font leurs premières armes en politique et dans l’opposition. Ils ont même durement souffert ces dernières années face à l’enlisement de leurs espoirs, au départ d’une partie de leurs troupes et à la « trahison » de la « communauté » internationale.
Messaoud Ould Boulkheir a gagné des galons durant les dernières élections : celui du candidat d’opposition ayant obtenu le plus de voix au premier tour, label réservé jusqu’ici à Ahmed Ould Daddah. Mais Messaoud ne peut vraiment pas s’en vanter.  Pour beaucoup son principal acquis peut être a été de regrouper derrière lui des forces politiques et sociales différentes et de se poser comme un rassembleur, au-delà des couches sociales dont il s’affirmait être le représentant .Peut être est-il parvenu à fortement consolider l’idée d’ « unité nationale » en amenant nombre de « maures blancs » à voter pour un « harattine ». Mais du coup, Messaoud a laissé sur sa gauche un certain vide que de nouveaux ou anciens militants de la cause « harattine » ont vite rempli.
Les nouvelles scissions qui s’annoncent au niveau de la fraction « El Hor » sont-ils de nature à le déstabiliser ? C’est vrai, à part Samoury Ould Bey qui critique ouvertement le leadership de Ould Boulkheir, les militants anti-esclavagistes hésitent à attaquer frontalement le leader historique d’ El Hor, s’ils ne lui renouvellent pas, à l’occasion, leur soutien. Mais il est clair que le débat est lancé et que Messaoud a de plus en plus de mal à concilier ses ambitions de leader national avec le militantisme antiesclavagiste de la majorité de ses partisans « harattines ».  Ceux-ci  remettent d’ailleurs souvent en cause  ses alliances avec des nasséristes qui ne rapportent rien électoralement et dont un des dirigeants a déjà changé de veste et des anciens fidèles de Ould Taya qui lorgnent de plus en plus vers le pouvoir établi
Il faut d’ailleurs dire que Messaoud Ould Boulkheir à ces derniers temps tendance à porter plus son habit de Président de l’Assemblée Nationale que celui d’opposant. Son discours, même s’il  réaffirme très souvent les grands principes, prend une teinte modérée qui sied bien au perchoir, mais qui ne ravit pas toujours son électorat classique.
Cependant, il parait certain que Messaoud Ould Boulkheit débordé par la tendance dure de son parti devra tôt ou tard (peut être après la fin de son mandat de Président de l’Assemblée Nationale) revêtir ses habits d’opposant pur et dur.
Ahmed Ould Daddah, opposant historique qui aime affirmer avoir à deux fois gagné les présidentielles (ce qui est vrai, peut être) est certainement un peu victime de ses tergiversations. Il a d’abord soutenu le coup d’Etat de 2005 et les dirigeants de la première transition avant de les accuser d’avoir créé de toutes pièces, un candidat et de l’avoir imposé, il a ensuite soutenu pendant de longs mois Mohamed Ould AbdelAzziz avant de se séparer de lui quand il s’avéra un candidat potentiel.
Depuis,  Ould Daddah qui  a rejeté les résultats des dernières élections où il a  fait un très mauvais score (derrière Messaoud) n’est apparemment pas parvenu à s’entendre avec les autorités en place et développe dorénavant un discours de plus en plus dur envers le pouvoir.
D’aucuns (surtout dans les rangs du pouvoir) considèrent que le vieil opposant est fatigué et que sa présence dans le champ politique est compromise. Mais Ahmed Ould Daddah, on l’a oublié est un battant, qui se laisse parfois distancier mais qui sait rattraper vite les chances perdues. Il semble maintenant avoir perdu ses illusions, il a clairement rompu avec Ould Abdel Aziz. Il reste une pièce maitresse de l’échiquier politique même s’il a perdu en route nombre de ses compagnons (et à cela il est de toutes façon habitué).
L’Union des Forces Populaires (UFP), vieux parti d’opposition, issu des mouvements de contestation des années 60 (« MND »Mouvement National Démocratique, mouvement maoïste clandestin) a certes perdu depuis longtemps ses illusions soixante-huitardes, mais il n’a point perdu l’ardeur de ses dirigeants historiques, tous pratiquement aux commandes. Il n’a pas beaucoup perdu de militants de base, peu nombreux, vieillissants certes mais actifs. L’UFP a bien essayé de sortir du cocon MND, il s’est bien ouvert sur de nouvelles forces sociales, mais il n’a su compenser son électorat négro-africain qui a préféré rejoindre un Sarr Ibrahima qui sait caresser la colère, la couleur ; et les ressentiments de cette population.
Il reste tout de même que les prestations télévisées d’un  Bedreddine ou d’une Kadiata , durant les débats parlementaires, sont très prisées par le grand public et redorent l’image sacrée du vieux parti gauchiste.
A ce patchwork de vieux opposants, il faut bien sûr ajouter les dissidents du parti Adil, ceux qui ont refusé de rejoindre la majorité présidentielle. Des personnalités certainement importantes, mais des hommes politiques issus du sérail et ne disposant pas de réel électorat (à part pour Ahmed Ould Sidi Baba, des résidus de son ancien parti le RDU).
Il faut aussi ajouter de vieux caciques du PRDS, premiers dissidents de Adil regroupés sous la bannière de Boidiel Ould Houmeid. Mais ni ce dernier ni à fortiori Louleid Ould Weddad ne constituent des gages certains pour une opposition qui cherche un souffle nouveau.

Car l’opposition mauritanienne a d’abord pour ennemi son passé. Ahmed Ould Daddah s’est jadis défait de Messaoud Ould Boulkheir qui s’est bien vengé en s’alliant au dernier tour des élections présidentielle de 1987 à Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
L’UFP a claqué naguère la porte de l’UFD d’Ahmed Ould Daddah et a eu de très mauvaises relations avec Ould Boulkheir. Les dissidents de Adil ne sont pas vraiment des habitués de l’opposition.
La confiance ne saurait donc vraiment pas régner au sein d’une opposition qui pourtant s’associe au sein d’une Coordination dont le rôle majeur consiste apparemment à tenir conférence de presse chaque deux mois (quand un Président passe le flambeau à un autre).
La seconde grande tare de l’opposition, c’est qu’elle s’est montrée incapable, et ce depuis la chute de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, de faire marcher la foule. La rue est restée sourde à ses appels. Il y a comme une rupture entre des dirigeants qui naguère marchaient devant des milliers de manifestants et une rue qui ne comprend plus un jeu qui s’apparente de plus en plus à une guerre de chefs.
Face à l’opposition, il n’ y a pourtant pas de majorité vraiment organisée. L’UPR qui n’est point, officiellement, le parti du Président n’arrive point à s’ancrer dans le paysage. Il n’a pas de vrai discours, pas de cadres pugnaces et combattifs, pas de base réelle. Son seul leitmotiv est la photo du Chef de l’Etat, que savent d’ailleurs bien lever tous les notables et tous les cadres de l’administration.
Les autres partis restent des leviers pour des carrières politiques personnelles. Et ce n’est pas l’arrivée au sein de la majorité des deux candidats négro-africains de la dernière élection présidentielle qui va redorer son blason.
Il reste donc que sur le champ politique se battent une opposition divisée, amoindrie, et un Mohamed Ould Abdel Aziz qui maitrise aussi bien l’administration que la sécurité. Et ce n’est pas l’opposition qui pourrait constituer un péril pour lui. S’il y a danger, il ne saurait venir que de ses propres partisans ou de ses fidèles, militaires ou civils.
L’opposition donc maitrisée, l’administration, les tribus mises au pas, Ould Abdel Aziz ne peut plus avoir qu’un seul ennemi, mais de poids cette fois-ci: la situation économique et sociale. Celle ci est de plus en plus difficile. Les prix ont flambé, le chômage reste à deux chiffres, les salaires deviennent nettement insuffisants, la misère éclate au grand jour. Et ce ne sont pas les infrastructures dont se vante (un peu trop) le pouvoir qui vont résorber une situation de plus en plus difficile.
La Tunisie, l’Algérie sont là. Et bon nombre de mauritaniens aiment tellement s’afficher maghrébins…

Mohamed Mahmoud Targui

Source  :  Biladi le 12/01/2011

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