Ladji Traoré est le secrétaire général de l’Alliance populaire progressiste, il répond aux questions du Rénovateur Quotidien.
Le Rénovateur Quotidien : Selon Samory , monsieur Messaoud Ould Boulkheïr a laissé entendre qu’il a «une nouvelle vision qui est celle de jouer un autre rôle de dimension nationale tel que la lutte contre le terrorisme, les anti-arabismes et les antiesclavagistes qu’il considère comme des extrémistes et des sectaires. Info ou intox?
L .T : Pour tous ceux qui sont sur le champ de la lutte pour la démocratie et contre l’esclavage, monsieur Messaoud Ould Boulkheïr n’a pas varié de vision et l’affaire du cas d’esclavage avéré découvert et dénoncé par les militants de l’APP, de l’IRA, de S.O.S esclaves et du Flère est d’une actualité brûlante et dans laquelle le président Messaoud ne ménage aucun effort pour couper court aux tentatives d’amalgames et faire libérer les militants anti-esclavagistes emprisonnés est suffisamment éloquent pour couper court à toutes les balivernes à ce sujet. Depuis la crise ouverte par le coup d’Etat du 8 août 2008 et la lutte acharnée qui est menée pour l’instauration d’une véritable démocratie dans notre pays, aux yeux de ses amis et même ses adversaires Messaoud Ould Boulkheïr a pris la dimension d’un grand patriote dont la vision ne cesse de s’affirmer. Il s’est porté de même aux premiers rangs des manifestations populaires historiques contre l’AQMI dès 2007, à travers les rues de Nouakchott. Il est possible que pour certains esprits sectaires, la lutte contre l’esclavage est antinomique d’un combat global pour la démocratie, la justice pour tous, l’unité et la sécurité nationales.
Le Rénovateur Quotidien : Certains militants de l’A.P.P soutiennent qu’une main invisible cherche à déstabiliser le parti de l’intérieur. La direction de l’Alliance populaire progressiste a-t-elle le sentiment que Samory agit sous l’influence du pouvoir?
L .T : Devant la persistance et même l’acharnement de monsieur Samory Ould Beye dans ce qu’il convient d’appeler sa campagne de sape du parti et de dénigrement de son président monsieur Messaoud Ould Boulkheïr combattant patriote, rassembleur et intransigeant, farouchement attaché à la paix et à l’unité nationale, les mouvements des femmes et des jeunes ont rendu public des communiqués de presse pour dénoncer les conceptions erronées de monsieur Samory Ould Beye, des responsables de haut rang dont un secrétaire général adjoint ont donné des interviews dans des journaux en ligne et en langue arabe, en ma qualité de secrétaire général du parti j’ai demandé à monsieur Samory Ould Beye de venir s’entretenir avec moi en présence de membres du bureau exécutif. Je lui ai dit combien ses idées étaient erronées et en contradiction avec le programme politique du parti et sa stratégie pour sortir notre pays de la crise consécutive au coup d’Etat. Je lui disais ma disponibilité d’écouter des suggestions éventuelles pour une meilleure conduite de l’action du parti. Devant son entêtement le parti a choisi un large débat interne et une campagne de pédagogie politique plutôt qu’une mesure disciplinaire et administrative toujours plus faciles et peut-être pas toujours efficaces.
L’avenir dira en définitive est-ce pour des raisons de limitation politique et idéologique que monsieur Samory agit ou pour une volonté de positionnement à des fins de recherche de leadership politique ou pour d’autres motivations ou instigations inavouées ou la connivence de toutes ces motivations.
Le Rénovateur Quotidien : Que va-t-il se passer? Samory va-t-il être exclu du parti après les déclarations publiées sur les colonnes du Quotidien de Nouakchott?
L.T : Il n’appartient pas à ce stade du large débat interne qui est mené dans les instances de base du parti de répondre à cette question. Seules les instances supérieures compétentes du parti tireront les conclusions de ce débat, et le moment venu, prendront des décisions ultimes en conformité avec l’intérêt supérieur du parti, ses orientations fondamentales et ses dispositions statutaires.
Le Rénovateur Quotidien : On a vu monsieur Mohamed Jemil Mansour se lever contre la commission mise en place pour la réforme de l’état civil, parce que celle-ci dans sa composition ne reflète pas le multiculturalisme mauritanien. Que vous inspire de cette reforme?
L.T : La révision de l’état civil telle qu’envisagée par le régime en place suscite partout inquiétude et soulève même un tollé général tant au niveau de la classe politique que dans la société civile. En effet en raison de ces incidences économiques sociales, politiques, électorales, et vu les antécédents négatifs de notre état civil actuel, APP accorde la plus haute importance à la question. Par le passé nous avons souligné le caractère incomplet et bâclé des recensements qui excluaient beaucoup de citoyens, avec peu d’importance accordée à l’orthographe des patronymes des différentes communautés notamment des négro-africains, le bas niveau culturel et technique des personnels impliqués dans le travail, leur méconnaissance notoire des noms et prénoms les plus usuels autant de problèmes qui suscitent à nouveau de graves inquiétudes. En outre la démarche purement sécuritaire avancée est loin d’être convaincante et cache peut-être des velléités de négation de la nationalité de certaines composantes. Il y a lieu de se prémunir davantage d’ouverture en associant des cadres de toutes les composantes nationales à ce travail particulièrement sensible si l’on veut aboutir à des résultats transparents pouvant servir de base de données à toutes les utilisations ultérieures concernant les populations tant citadines que rurales, et servirent de base pour des listes électorales ouvertes à tous.
Le Rénovateur Quotidien : Le foncier est au cœur du débat politique depuis quelques temps. Que pensez-vous de «concessions» attribuées aux hommes d’affaires dans certaines zones rurales du pays?
L.T : La question foncière est un problème fondamental dans n’importe quel pays et régime socio-économique. Elle est essentielle dans notre pays compte tenu du contexte environnemental de désertisation, de raréfaction des ressources naturelles : sols, espèces animales, couvert végétal, ressources en eaux de surface et de nappes phréatiques et surtout en raison de son incidence sociale par rapport à toute véritable politique de développement durable de justice sociale. En effet l’ordonnance 83 127 du 5 juin 1983 portant organisation foncière visait avant d’être détournée de ses objectifs au détriment de ceux qui tirent leurs ressources de la terre, au profit de certains hommes d’affaires et officiers supérieurs absentéistes du secteur rural, à la libération des éléments dépourvus et opprimés des collectivités tribales et villageoises. Le nouveau danger qui menace le monde rural actuellement en Afrique et singulièrement les paysans mauritaniens c’est la ruée de fonds vautours étrangers qui cherchent à s’investir à des fins spéculatives dans les terres agricoles, c’est l’opération «Land grabbling» sans la recherche d’une quelconque autosuffisance alimentaire. La seule politique nationale qui vaille c’est l’accès des paysans à la terre, et l’appui de l’Etat pour les moyens de sa mise en valeur, financière, matérielle et technique, seule condition pour éradiquer la misère de la campagne, et mettre fin à l’exode rural vers les centres urbains, assurer l’autosuffisance et la sécurité alimentaires durables et préserver des superficies pour les générations futures. Tout le reste illustre l’absence totale de vision à long terme du régime actuel et sa politique d’improvisation dans tous les domaines.
Le Rénovateur Quotidien : Alors qu’il portait plainte contre un cas présumé d’esclavage, Birane est allé en prison, si bien que d’aucuns soutiennent que la Mauritanie sous la présidence issue de la «rectification du 6 août 2008» a fait un pas en arrière en matière des droits de l’homme. Partagez-vous cet avis?
L.T : Les péripéties aux allures surréalistes du cas d’esclavage révélé et dénoncé à Fellouja, quartier périphérique de la commune d’Arafat, par des militants anti-esclavagiste de d’APP, d’IRA, de S.O.S esclaves et du Flère, ne surprennent en définitive que ceux qui sont étrangers au combat complexe contre le phénomène bien enraciné et pernicieux de l’esclavage dans notre pays dans ses différentes composantes nationales et des complicités qu’il trouve au sein des forces de police, de l’administration jusqu’y compris la justice. Les militants de APP eux y sont bien habitués pour avoir été emprisonnés déjà en 2005, dans un cas similaire révélé à Mederdra. Il est donc temps de marquer une rupture radicale avec toutes les formes d’hypocrisie et de manipulation relatives à l’esclavage et aux pratiques qui lui sont liées. Ce rôle essentiel incombe à cet égard à l’Etat et à ses différents organes pour une application ferme de la loi n° 2007-048 du 3 septembre 2007 portant incrimination de l’esclavage et réprimant toutes les pratiques esclavagistes et il est temps de prendre des arrêtés subséquents pour donner toute l’effectivité à cette loi et prendre des mesures spécifiques plus concrètes au-delà du discours général ambiant de lutte contre la pauvreté et l’esclavage.
Le Rénovateur Quotidien : Selon des indiscrétions le leader de l’APP, monsieur Messaoud Ould Boulkheïr aurait été reçu en audience, récemment, par le président Ould Abdel Aziz , quels sont les sujets qu’ils ont aborde ? Est-ce que le président de l’A.P.P en a profité pour plaider en faveur de Birane Ould Dah Abeïd et ses compagnons de l’IRA?
L.T : Dès le début de cette affaire, le président Messaoud Ould Boulkheïr s’est impliqué personnellement allant jusqu’à contacter les plus hautes autorités du pays pour demander d’éclaicir totalement cette affaire d’esclavage, dépasser les effets collatéraux et libérer immédiatement les militants anti-esclavagistes,du reste tout le monde se souvient deux jours après cette audience de son discours de clôture de la première session parlementaire dans lequel il est revenu sur ce sujet. Pour le reste de votre question monsieur Messaoud à ce niveau a dû certainement débattre avec le président Mohamed Ould Abdel Aziz d’autres sujets d’intérêt national dont je n’ai aucune idée.
Propos recueillis par Samba Camara
Source : Le rénovateur le 12/01/2011