Nouakchott, première capitale née africaine

Ville symbole de la décolonisation, Nouakchott a émergé de la  » brousse  » en 1960.C’est dans cette métropole d’1 million d’habitants que la Mauritanie vient de fêter discrètement les 50 ans de son indépendance.

Le goudron – ainsi parle-t-on des routes en Mauritanie – situé juste en face de la vieille mosquée a été élargi, les charrettes tirées par des ânes et les pousse-pousse confisqués.Un arrêté municipal leur a interdit l’accès au coeur de la ville, afin de préserver l’image urbaine.

La circulation des ânes  » au voisinage des institutions publiques, avait annoncé la mairie dans un communiqué, représente un handicap majeur pour toute organisation sérieuse dans le périmètre « . Nouakchott a récemment célébré le cinquantième anniversaire de l’indépendance du pays. Mais la capitale mauritanienne avait dû revoir à la baisse ses ambitions : pas de faste, pas de délégations étrangères invitées ni même de défilé militaire, le 28 novembre. Par souci d’économies, mais aussi de sécurité. La Mauritanie, entrée depuis plusieurs mois dans un face-à-face armé avec Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), ne souhaitait pas dégarnir ses frontières. Le cinquantenaire de la petite république islamique s’est donc fait  » à la mauritanienne, dans la simplicité, a prévenu Sy Adema, le secrétaire général de la présidence, parce que nous sommes en refondation de l’Etat « . Tant pis pour Nouakchott, première capitale africaine. Car si l’impulsion a été française, Nouakchott, à peine sortie des sables et aussitôt émancipée, est bien née mauritanienne – un statut unique sur le continent, qui en fait tout un symbole de la décolonisation. Accédant à l’indépendance la même année, en 1960, quatorze autres pays ont pris pour capitale une ville coloniale, comme Niamey au Niger, ou bien ont bâti leur propre cité bien après, à l’image de Yamoussoukro, promue capitale de la Côte d’Ivoire, en 1983. Ce qui n’était, à l’origine, qu’un  » petit poste de Mauritanie, aussi isolé de toute vie qu’un îlot perdu en mer « , selon l’expression de Saint-Exupéry, est devenu, en cinquante ans, un ensemble de neuf communes, sur une surface deux fois plus étendue que Marseille, quatre fois plus que Paris intra-muros. Près d’un tiers des 3,3 millions de Mauritaniens y vit, selon le maire, Ahmed Hamza, qui explique avec simplicité l’attraction de sa métropole :  » Là où il y a l’Etat, tout le monde vient.  » Après la grande sécheresse des années 1970, la population a été multipliée par cent en quatre décennies. Du jamais vu. Des quartiers résidentiels ou populaires poussent encore, jetés de guingois en bord de mer. Auteur de Nouakchott, carrefour de la Mauritanie et du monde (Karthala, 2009), la géographe Armelle Choplin, enseignante à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée, découvrit, par hasard, en 2008, à 10 kilomètres du centre vers le sud, dans le prolongement de Dar El-Beïda, une  » extension  » qui ne figurait sur aucune carte, baptisée par ses habitants  » le quartier des sans-fiche-sans-photo « . Un kébbé, un bidonville, né avec le transfert forcé de personnes, aux dossiers incomplets, mal enregistrés par les services municipaux. Mais, à Nouakchott, les riches sont les premiers squatteurs. Spéculant sur le développement de la cité, ils s’emparent de terrains et y construisent des habitats simples avant de les revendre au prix fort. Cette pratique qui perdure a même un nom, gazra. L’adressage des rues, commencé en 2000, ne sert que pour les impôts, et encore. Ici, on donne rendez-vous au  » carrefour Mauritel  » (du nom de l’immeuble qui abrite l’opérateur télécoms) et on tourne à droite  » en sortant du goudron, après la station « .  » Nous sommes une ville neuve, plaide Ahmed Hamza, les Mauritaniens ne sont pas encore sensibles à l’impôt, mais nous commençons à fonctionner comme une ville normale.  » Et puis, ajoute cet élu du parti principal parti d’opposition, le Rassemblement des forces démocratiques (RFD),  » 20 % des citadins ont une culture de la ville, les autres viennent d’ailleurs et ont gardé leurs réflexes de la brousse « , un terme qui, ici, désigne le désert. Au départ, il n’y avait rien non plus à Nouakchott, rien que du sable et des  » arbustes rabougris  » pour décor. Jean Sahuc était présent lors de la pose symbolique de la première pierre, le 5 mars 1958, à l’emplacement actuel du palais présidentiel. Il est toujours là. A 82 ans, cet ancien ingénieur des Ponts et Chaussées, venu imaginer Nouakchott la française, est resté pour bâtir Nouakchott la mauritanienne. Il réside toujours dans sa petite maison près de l’aéroport où se posait autrefois l’avion postal de Saint-Exupéry.  » Je suis arrivé le 9 mai 1954, il y a cinquante-six ans « , précise-t-il gaiement. Décision avait été prise par Paris de créer une ville pour ne plus dépendre de Saint-Louis du Sénégal, la puissante capitale régionale coloniale. Le choix des architectes et urbanistes s’était porté sur un petit point sur la carte, le long de la route impériale no 1, à l’emplacement d’un minuscule fortin érigé en 1903. Dans son récit de voyage Vent de sable, écrit en 1923, Joseph Kessel parle de ce campement comme  » le pire endroit de la côte  » tenu par  » quinze tirailleurs sénégalais et un sergent corse  » où l’on finit par perdre le fil des jours.  » Nous avions choisi l’endroit à cause de la proximité de la nappe phréatique d’Idini, qui devait, selon nos calculs, permettre de desservir une ville de 200 000 habitants pendant cinquante ans et parce que sa situation centrale permettait de faire l’unité entre les Maures blancs du Nord et les Négro-Mauritaniens du Sud « , témoigne Jean Sahuc. Le Français conçoit alors l’aéroport, l’hôpital et l’avenue de la Dune, l’artère principale,  » une simple voie de 6 mètres « . Puis les premiers bâtiments apparaissent dans le quartier du Ksar l’année de l’indépendance, la première mosquée, les premiers ministères, le wharf (la zone portuaire) et enfin les  » blocs manivelles « , constructions cubiques destinées à loger les fonctionnaires. On utilise le banco (l’argile) mais surtout le  » béton coquillage « , un aggloméré de sable et de coquillage, toujours d’actualité. A Nouakchott, ces mollusques, qui proviennent d’un gigantesque gisement fossile, crissent partout sous les pieds. La légende, rapportée dans le beau livre sur Nouakchott produit par le Centre culturel français en 2006, veut que le premier litige autour du point d’eau du site, disputé par deux tribus maraboutiques, se soit réglé au profit de celle qui avait pu énumérer le nom des quarante coquillages du cru. Premier président de la Mauritanie, Moktar Ould Daddah a eu à coeur de forger l’identité de son pays sur cette  » dune nue, où seul, le soir, le cri des chacals venait ponctuer le ressac de l’océan « .  » Ni eau, ni source d’énergie, ni matériaux, ni main-d’oeuvre, écrit-il dans ses Mémoires. Tel était le champ où devait se livrer la bataille.  » Tel a été le décor du premier conseil des ministres, qui se tint sous la tente. Cinquante ans plus tard, Nouakchott est bien le centre politique du pays, où s’est jouée, depuis les années 1980, une série de coups d’Etat militaires.
Devenue l’une des villes les plus importantes du Sahara, la métropole a fait son entrée, comme le rapporte joliment la géographe Armelle Choplin,  » dans le bal des débutantes de la mondialisation « . Bâtisseurs, entre autres, du siège de la nouvelle primature qui devrait être inaugurée avant la fin de l’année, les Chinois ont investi les lieux. Mais la croissance époustouflante et anarchique de la ville n’est pas sans poser de sérieux problèmes. Jardins et espaces verts ont quasiment disparu. Inondations et avancée du désert menacent Nouakchott, du fait de l’exploitation abusive du cordon dunaire qui la protège. Pour limiter les dégâts, une  » ceinture verte  » a été inaugurée par le président Mohamed Ould Abdel Aziz, le 21 août : 200 000 arbres devraient ainsi être plantés aux alentours. L’approvisionnement en eau reste également très délicat, et les quartiers les plus pauvres en sont dépourvus. Chaque jour, autour de la fontaine-citerne du marché 5e, des dizaines de petites charrettes à âne, chargées de bidons d’eau, s’agglutinent. Assise par terre devant son étal de melahfas, ces voiles de couleur dans lesquels s’enveloppent les femmes, Fatou, 25 ans, s’indigne :  » C’est sale, et en plus, c’est très cher !  » Vrai. Les Nouakchottois contraints de venir chercher l’eau la paient en moyenne trois fois plus que ceux raccordés au réseau de la ville, selon une étude réalisée, en 2008, pour la communauté urbaine de Nouakchott. Dans la série des inaugurations pour le cinquantenaire, menées tambour battant par le chef de l’Etat, sans doute celle de l’Aftout Es-Sahali signe-t-elle la réalisation d’un vieux rêve : l’alimentation en eau potable de Nouakchott à partir du fleuve Sénégal, distant de 170 kilomètres. Le projet, démarré en 2004, devrait permettre de fournir 170 000 m3 par jour avant d’atteindre 226 000 m3 d’ici à 2030. Mais si Nouakchott compte un nombre toujours plus important de banques, la cité s’est appauvrie sur le plan culturel. Il ne reste ni cinéma ni théâtre.  » Tout va revenir, promet le maire. Nous avions juste perdu la joie à un certain moment avec tous ces coups d’Etat par-ci par-là…  » Déjà, le pays caresse le projet d’un nouvel espace, sur le rivage nord de Nouakchott, avec hôtel cinq étoiles, centre commercial, quartiers résidentiels. Un petit Dubaï incertain baptisé Ribat El-Bahr.

Isabelle Mandraud

Source  :  Le rénovateur le 03/01/2011

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