Parmi eux, Fatou Kiné Camara, docteure en droit et défenseur des droits des femmes en Sénégal, et son collègue mauritanien, Boubacar Ould Messaoud, qui est haut fonctionnaire de son pays engagé dans la lutte contre l’esclavage. La Sénégalaise dénonce le sexisme qui plombe les droits humains au Sénégal alors que le Mauritanien point un index accusateur sur l’esclavage et les inégalités sociales dans son pays.
Wal Fadjri : Quel bilan tirez-vous de la pratique des droits de l’homme en Afrique ?
Fatou Kiné Camara : Il faut être clair quand on parle des droits de l’homme en disant que les droits de la femme en font partie intégrante. Si je parle des droits de la femme et de ceux de l’enfant, il y a de grands progrès à faire. Il y a quelque chose de très grave qui se fait en Afrique et dans beaucoup de pays, y compris dans mon pays le Sénégal, c’est la hiérarchie des sexes. Le sexisme est aussi grave que le racisme. Le racisme, c’est la domination d’une race sur les autres. On sait ce que cela a entraîné. Cela a amené l’esclavage, les génocides et toutes les autres horreurs. La hiérarchie des sexes considère les femmes comme des sous-êtres humains. Elle considère que l’homme est supérieur. Si l’homme est supérieur, c’est que la femme est inférieure. Cela veut dire qu’elle n’est pas tout à fait un être humain. Vous voyez tout ce qui se passe au Sénégal : tous les jours, ce sont des viols, la violence qui s’exerce sur les femmes. Vous voyez le sort que l’on réserve aux enfants. Ils sont dans la rue. Sur la question des droits de la femme et de l’enfant, nous sommes très loin de ce qu’il faudrait faire.
Et en Mauritanie, quel est aujourd’hui l’état des droits de l’homme ?
Boubacar Ould Messaoud: L’état des droits de l’homme est relativement difficile à décrire parce que nous en sommes demandeurs, très affamés et nous attendons beaucoup des droits de l’homme, de ceux qui nous gouvernent pour l’application des lois pour que les droits de l’homme soient respectés et que le progrès économique du pays profite à tout le monde. Tant que les droits de l’homme ne sont pas respectés, le progrès ne profite qu’à une infime partie de nos populations. Mais nous pensons que, d’une manière générale, par rapport aux indépendances, nous avons fait du chemin. Et ce chemin, c’est celui de la lutte qui a pu nous permettre d’exister en tant qu’organisation, comme contre-pouvoir. Ce contre-pouvoir est à considérer comme un aspect positif généré par nous-mêmes. La société civile mauritanienne, comme la société civile africaine, ce sont des sociétés qui sont créées par la lutte sur le terrain. Je pense qu’il faut lutter pour l’égalité entre tous les citoyens.
Considérez-vous que rien n’a été fait au Sénégal depuis les indépendances ?
Fatou Kiné Camara : Depuis l’adoption du code de la famille en 1973, nous nous battons pour qu’il y ait égalité entre l’homme et la femme. Il y a toujours, malgré toute la bataille menée, la puissance maritale. Cela veut dire que c’est le mari qui est le chef de la famille. La femme, elle, a moins de droits que l’homme pour diriger le ménage. Elle doit habiter là où le mari demande d’habiter. Il y a la puissance paternelle. Depuis 1973, on se bat pour dire que l’autorité parentale doit être accordée autant au père qu’à la mère. C’est la mère qui a porté l’enfant. On voit au Sénégal le ravage de la mortalité maternelle et elle n’a aucun droit sur son enfant. Vous pensez que ça c’est juste ?
Mais dans les faits, la femme sénégalaise n’exerce-t-elle pas ses droits ?
Fatou Kiné Camara : C’est d’abord le droit qui compte. Quand on parle d’avancée, c’est le plan du droit. Les lois sont faites par les Etats. Ça prouve qu’on nous considère, nous les femmes, comme citoyennes de seconde zone. Si dans notre propre pays, l’on ne peut pas avoir tous nos droits, c’est que ça ne va pas.
Que faut-il faire pour changer cela ?
Fatou Kiné Camara : Il y a un grand pas qui a été fait au Sénégal avec la loi sur la parité dans les assemblées électives, comme les communes, les communautés rurales, les conseils régionaux, l’Assemblée nationale. Nous espérons qu’aux prochaines élections législatives et locales, le visage du Sénégal va changer quand les femmes seront dans les instances de décision.
Vous avez parlé plus haut de la dictature du sexe au Sénégal. Comment faire pour lutter contre ?
Fatou Kiné Camara : Nous faisons des séminaires de vulgarisation, d’information. Nous sensibilisons les magistrats pour leur demander d’appliquer les conventions qui nous donnent tous les droits. Il faut appliquer la Constitution parce que dans cette constitution, il y a l’égalité en droit entre l’homme et la femme. Nous leur demandons d’appliquer l’Etat des droits humains.
Et l’arsenal juridique existe-t-il au Sénégal…
Fatou Kiné Camara : Il existe. Nous voulons que le pouvoir judiciaire prenne son rôle à bras-le-corps et ose appliquer la Constitution et ne se mette pas en dessous du pouvoir législatif en disant que tant qu’on n’a pas de lois qui harmonisent, on n’applique pas. Non, il doit appliquer la Constitution et les conventions qui nous donnent tous les droits.
On sait que la question des droits de l’homme se pose à travers l’esclavage en Mauritanie. Des progrès ont-ils été réalisés dans ce domaine ?
Boubacar Ould Messaoud : C’est une question difficile en Mauritanie. Elle est inexistante ailleurs parce qu’elle n’y a pas été posée alors qu’elle y existe aussi. Toujours est-il qu’en Mauritanie, c’est une question difficile parce que le problème, c’est l’application des lois et l’accompagnement des victimes pour leur insertion dans la mesure où nous avons voté en 1981 une loi abolissant esclavage. Nous avons obtenu en 2003 une loi criminalisant la traite des personnes. Et en 2007, nous avons obtenu une loi sur l’esclavage par ascendance qui est l’esclavage traditionnel qui sévit en Mauritanie depuis des siècles et que l’on trouve aussi dans d’autres pays. Sur ce plan, nous estimons qu’il y a un progrès parce que la Mauritanie a toujours nié l’existence de l’esclavage. Et elle continue à le nier en ne se référant qu’aux séquelles de l’esclavage. Nous estimons que ces concessions qui sont faites par les dirigeants du pays ont apporté du crédit à la lutte que nous avons menée. En faisant des lois contre l’esclavage, c’est une reconnaissance de fait de son existence. Mais nous avons du travail à faire. Nous avons à faire de la sensibilisation et du plaidoyer auprès des parlementaires et auprès des autorités judiciaires pour que la loi soit appliquée.
Comment faire pour lutter contre l’esclavage par ascendance quand on sait qu’il s’agit d’un problème plutôt de conscience ?
Boubacar Ould Messaoud : On doit sensibiliser les gens, déconstruire l’idéologie sur laquelle repose l’esclavage. L’esclavage est mis dans la tête des gens par l’instrumentalisation de la religion musulmane. Alors que la religion n’a rien avec l’esclavage, même s’il y a des esclavagistes musulmans. Ils ont voulu asseoir leur autorité en faisant croire aux esclavages que leur paradis dépend de leur soumission à leur maître. Aujourd’hui, nous travaillons pour faire comprendre aux gens que ceci est faux. Nous faisons comprendre aux imams, aux gens de bonne foi, de faire des prêches pour déconstruire cette idéologie sur laquelle repose l’esclavage et les inégalités sur lesquelles repose la société africaine. Ces inégalités sont souvent justifiées dans la société musulmane africaine par une pseudo-référence à la religion. Une référence qui n’est pas juste parce que l’Islam est une religion égalitaire et prêche l’égalité des hommes et le bonheur pour tous.
Vous avez dit durant la conférence de presse qu’il était inimaginable, il y a quelques années, qu’un descendant d’esclavage soit président de l’Assemblée nationale, comme c’est le cas aujourd’hui. Pourquoi ?
Boubacar Ould Messaoud : Nous avons pris conscience. Il y a une remontée des descendants d’esclaves et des personnalités mauritaniennes appartenant à d’autres couches, comme la couche dite noble, qui sont contre l’esclavage et qui ont lutté en créant des associations, qui ont créé des partis et réclament le pouvoir au nom de la liberté et de l’égalité pour tous. Le président de l’Assemblée nationale est le président d’un parti. Tout ça s’est créé avec la lutte qui nous a amenés à ces lois-là. En 1980, nous avons été mis en prison. C’est à la suite de cet emprisonnement, de ces procès, que nous avons obtenu la loi abrogeant l’esclavage. En 1990, on a aussi arrêté pour avoir créé Fr3 dans un Paris-Dakar. Il y a quelques progrès, même s’ils sont minimes.
Et la répression militaire qui a envoyé en exil beaucoup Mauritaniens ?
Boubacar Ould Messaoud : C’est un aspect très important que nous avons dénoncé et que nous continuons de dénoncer. En Mauritanie, il n’y a pas que l’esclavage. Il y a aussi la discrimination raciale et l’exclusion. Et cette exclusion des Négro-Mauritaniens, nous la dénonçons. Le problème n’est pas totalement résolu. Les rapatriés ne sont pas dans des conditions idéales. Le passif humanitaire n’est pas encore résolu.
Moustapha BARRY
Source : Walf Fadjri le 07/12/2010