Wikileaks : quand la France négociait avec les Etats-Unis le sort de détenus de Guantanamo

« Une partie des calculs de la France sur la question des détenus [de Guantanamo] est de voir comment ils peuvent aider l’administration Obama, dans l’espoir d’améliorer les relations franco-américaines », écrit un diplomate américain à Paris, en janvier 2009, selon un document obtenu par WikiLeaks et révélé par Le Monde.

 

 

En mai 2009, la France accueille l’Algérien Lakhmar Boumediene, innocenté par la justice américaine après avoir passé huit années dans le centre de détention sur l’île de Cuba.

L’Elysée veut faire plus, mais évoque aussi des difficultés, demandant notamment que les renseignements américains livrent plus d’informations sur les détenus. En juin 2009, Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique de M.Sarkozy, décrit l’accueil de Lakhmar Boumediene comme « le début d’un processus », ajoutant que Paris veut « évaluer également d’autres candidats », écrit un diplomate américain.

Les responsables français s’inquiètent de la réaction du public en France. M.Levitte parle d’un « manque de marge de manœuvre des autorités françaises, dû au fait que l’opinion française se demande pourquoi la France devrait accueillir des détenus considérés trop dangereux pour être acceptés aux Etats-Unis », note un télégramme. Le Congrès américain s’opposera en effet à ce que des détenus soient transférés vers les Etats-Unis.

PROPOS RASSURANTS

Un autre document américain, le 9 juillet 2009, souligne cette préoccupation française d’image. Eric Chevallier, le conseiller spécial de M. Kouchner, annonce à Dan Fried, l’émissaire américain chargé du dossier Guantanamo, que la France est prête à étudier « favorablement six nouveaux dossiers de détenus ». Mais il ajoute qu’une décision positive du Congrès sur le transfèrement de détenus vers les Etats-Unis « n’est pas loin d’être une pré-condition ». M. Chevallier semble aussi vouloir rassurer son interlocuteur : « la France n’interviendra pas négativement dans les discussions menées entre les Etats-Unis et d’autres pays, par exemple l’Espagne, l’Italie et le Portugal » pour l’accueil de détenus.

Lors de la même réunion, un autre diplomate français s’enquiert auprès de M. Fried des « versements financiers accordés par les Etats-Unis » à certains pays comme « l’île de Palau ou l’archipel des Bermudes, après leur accueil de prisonniers ouïghours ». Paris semble ainsi s’intéresser à un accompagnement en argent. « Fried a clarifié que ces fonds ne visent qu’à couvrir des dépenses remboursables, et qu’ils sont minimaux », indique le document américain. Le diplomate français répond que « les autorités françaises ont procédé à un suivi de l’opinion publique à propos de l’accueil de Boumediene, et que l’utilisation d’argent du contribuable pour les transfèrement de détenus constitue une des préoccupations majeures ».

En décembre 2009, la France accueille un deuxième ex-détenu algérien de Guantanamo, Saber Lahmar. Il est à ce jour le dernier. En septembre 2010, l’Algérien Nabil Hadjarad, emprisonné à Guantanamo depuis huit ans, s’est vu opposé un refus des autorités françaises.

Natalie Nougayrède

Source  :  Le Monde le 29/11/2010

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