Du haut du perchoir de l’assemblée Ould Boulkheir demeure sensible aux causes des pauvres. Fidèle à ses principes, il trouve toujours les mots mobilisateurs pour faire bouger ses troupes. Pourtant cet homme, nourri à la sève de l’administration, reste ouvert à comprendre toutes les questions qui touchent à la cohésion du pays. C’est certainement ce souci qui explique ses positions qui paraissent parfois contradictoires. Il a accepté de s’ouvrir à notre journal, nous vous livrons ses réponses sur les questions de l’heure.
Biladi : Dans le discours prononcé lors de l’ouverture de la session ordinaire du parlement, vous avez rappelé l’accord cadre de Dakar, mais au fond ne pensez-vous pas qu’un dialogue national sur la base de ce document est totalement compromis ?
Messaoud Ould Boulkheïr (M.O.B) : Je ne pense pas du tout que le dialogue entre l’opposition et le président de la République soit totalement compromis s’agissant du document de Dakar … ou plus précisément de Nouakchott puisque je l’ai rappelé dans mon discours, cet accord a été scellé à Nouakchott. Je le pense d’autant plus que selon des sources dignes de foi, le chef de l’Etat aurait affirmé sa totale disposition à discuter de tous les points contenus dans l’accord en question. Je considère donc que c’est une banale affaire de terminologie, les parties n’ont pas le droit de rester figées et ont par contre le devoir d’évoluer l’une vers les deux autres et vice-versa.
Biladi : Le jeu de certains partis de la Coordination de l’opposition démocratique (C.O.D) qui tout en réclamant un dialogue national inclusif sur la base de l’accord de Dakar, négocient en solo avec le pouvoir, ne doit-il pas inciter au pessimisme ?
M.O.B : Les parties ont toute liberté de discuter de ce qu’ils veulent avec qui ils veulent et ce dans les limites de l’acceptable et du politiquement correct, c’est-à-dire compréhensible pour tout le monde et net et sans ambiguïté. La nuance est parfois difficile à faire, mais facile dans certains cas, comme celui que vous évoquez. Un parti d’opposition qui s’affiche dans cette position et ne fait rien pour compromettre l’action de cette opposition, puisqu’il accepte ses décisions et en est totalement solidaire peut, à mon avis, discuter avec qui il veut. Il reste entendu qu’en cas d’aboutissement de ses discussions avec le pouvoir, il cessera automatiquement d’appartenir à l’opposition dont il ne serait plus…
Biladi : La C.O.D n’est pas parvenue à dégager un communiqué commun pour dénoncer les attaques de la majorité contre monsieur Mohamed Ould Maouloud. Qui au non de la Coordination avait laissé entendre et répéter que le pouvoir manque de vision. N’est-ce pas là encore une mésentente qui vient annoncer que la C.O.D va vers une implosion ?
M.O.B : C’est justement ce genre de situations qui est gênant, parce qu’indécent et immoral. Je reconnais que de telles situations ne sont pas appelées à perdurer.
Biladi : A.P.P non plus n’a pas formulé un communiqué pour défendre Ould Maouloud. Faudrait-il en conclure que vous avez décidé de tourner le dos à la C.O.D ?
M.O.B : A.P.P prend ses décisions par lui-même, quand il le décide et à sa manière. Nous agissons selon notre conscience et les voix de notre conscience et les voix de la conscience sont généralement inaudibles pour les autres. S’agissant du 2e volet de votre question, j’avoue que nous hésitons et nous prenons le temps d’y voir plus clair…
Biladi : Selon une rumeur persistante, vous avez récemment rencontré un émissaire du pouvoir en la personne de Khalil Ould Tayib. Info ou intox ?
M.O.B : L’intox à mon sujet n’a jamais cessé et je souhaite d’ailleurs que cela continue pour encore très longtemps, mais cette rumeur est dénuée de tout fondement si ce n’est que Khalil continue de me voir comme par le passé, le positionnement politique n’étant pas tout dans la vie et dans les rapports entre humains.
Biladi : Que vous inspire les attaques contre la personne de Mohamed Ould Maouloud ?
M.O.B : Je trouve qu’elles sont incorrectes et indécentes et ne sont pas de nature à apaiser un climat politique déjà à la limite de la saturation. Si nous voulons un système réellement démocratique, il faut en accepter les contraintes… et les attaques réciproques des formations politiques se faire toujours à propos des idées et des actes et jamais avoir une connotation personnelle…
Biladi : Dans le discours prononcé à l’Assemblée, vous avez appelé à l’union sacrée contre le terrorisme mais en refusant de participer au «Débat national sur le terrorisme» organisé par le pouvoir n’avez-vous pas le sentiment que vous cherchez à saper les efforts qui visent à dégager une stratégie visant à faire face au terrorisme ?
M.O.B : Je pense que votre compréhension de mon discours et très réductrice. Mon appel à l’union sacrée est pour garantir la pérennité de la République Islamique de Mauritanie dans ses frontières géographiques, dans son organisation politique en tant qu’Etat indépendant et souverain, dans l’unité de son peuplement arabe et négro-africain, toutes choses qui ne sont pas menacées que par le terrorisme uniquement… Je n’ai pas assisté au «Débat national sur le terrorisme», parce que le débat n’est pas national, vu que des non-nationaux y participent et vu que les conclaves nationaux sont censés se décider avec les partenaires nationaux et particulièrement ceux en charge d’une opinion politique, surtout quand celle-ci appartient à un courant opposé à celui de la majorité qui gouverne. La politique du fait accompli est dépassée…surtout en termes de stratégie de lutte contre le terrorisme…
Donc plus que saper les efforts dans ce sens, je pense plutôt avoir eu le bon réflexe … en disant par mon absence que la méthodologie choisie n’est pas la plus appropriée en terme d’efficacité… il reste à espérer que je sois entendu.
Biladi : Pour lutter contre le terrorisme, l’armée vient d’installer trois unités dans le nord Mali, que vous inspire cela?
M.O.B : J’aurais suggéré une approche différente.
Biladi : Vous répondez à certaines invitations du président Ould Abdel Aziz, et non à d’autres. Quelles sont les raisons ?
M.O.B : En général, j’essaye de distinguer entre les devoirs et les charges de ma fonction de président de l’Assemblée Nationale, logiquement présent à toutes les cérémonies officielles, et celles de président d’A.P.P, un parti d’opposition qui ne voudrait pas cautionner par une présence mal ou peu réfléchie une manifestation dont l’aspect institutionnel ne serait qu’un prétexte pour cacher un objectif essentiellement politique. Le hasard et un manque de coordination n’avaient pas permis ma présence à l’accueil de l’Emir du Koweït pour lequel je m’étais préparé.
Biladi : Quelle appréciation faites-vous de la situation politique, économique et sociale du pays ?
M.O.B : Très honnêtement je considère que ce triptyque n’est pas au mieux de sa forme.
La situation politique est, comme chacun le constate, bloquée et les imperceptibles frémissements qui nous parviennent suscitent plus d’interrogations qu’ils n’apportent de solutions aux problèmes de l’heure et à ceux du futur, l’option de rassembler tous les acteurs politiques autour de soi, non comme partenaires mais comme obligés ne contribuant ni à favoriser l’émergence d’une véritable démocratie dans le pays, ni à baisser les tensions qui existent.
La situation économique suscite quant à elle des commentaires peu flatteurs : cherté des produits de grande nécessité, immobilisme de l’administration en charge du développement, aggravation de la mauvaise répartition des richesses existantes, retards dans le paiement des salaires qui restent modiques, absence de financement de vrais grands projets de développement, la confiance des investisseurs qui ne revient toujours pas, baisse rapide de la valeur de la monnaie nationale, sont, parmi d’autres, des signes qui ne trompent pas.
Sur le plan social, les problèmes d’éducation, de santé, d’eau et d’électricité restent des préoccupations de premier plan et de tous les jours des populations. La précarité et la pauvreté dans lesquelles baigne leur écrasante majorité ne semblent pas tendre vers l’amélioration dans la mesure où des problèmes de société structurels et /ou conjoncturels comme l’esclavage et ses séquelles, le passif humanitaire et le retour des réfugiés continuent de faire parler d’eux.
Quand tout ceci se passe dans un environnement sécuritaire des plus aléatoires, il faut admettre que c’est autant de raisons de s’inquiéter et d’appeler sans relâche les uns et les autres à davantage de perspicacité et de responsabilité.
Propos recueillis par Samba Camara
Source : Biladi le 25/11/2010