Lundi 22 novembre s’ouvrait à La Haye le procès de Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la République démocratique du Congo (RDC). L’ex chef militaire, qui plaide non coupable, est accusé par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) d’avoir sciemment permis aux 1 500 hommes de son Mouvement de libération du Congo (MLC) de commettre de nombreux viols, pillages et meurtres entre octobre 2002 et mars 2003 en Centrafrique où il soutenait les troupes du président Ange-Félix Patassé, victime d’un coup d’État du général François Bozizé. Jean-Pierre Bemba encourt la réclusion à perpétuité.
Signal fort contre l’impunité
Ce procès est un signal fort contre l’impunité et un soulagement pour les victimes mais aussi pour les associations qui dénoncent l’usage du viol comme arme de guerre. Parmi lesquelles le Secours Catholique qui organisait, au lendemain de l’ouverture de ce procès, un colloque sur le viol en situation de guerre à l’Unesco, le 23 novembre.
« La CPI a ouvert pour la première fois une enquête qui relève quasi exclusivement de violences sexuelles. M. Bemba est accusé de s’être servi du viol comme d’une arme de guerre afin de terroriser la population et de la rendre malléable », a précisé Pascal Turlan, conseiller en coopération internationale à la CPI, et intervenant au colloque. Cette technique barbare a également été employée en Bosnie-Herzégovine, lors de la guerre de 1992-95, et reste d’actualité en République démocratique du Congo, où plus de 200 000 viols ont été recensés depuis 1996, en Birmanie, en Colombie et dans bien d’autres pays.
Terroriser les populations
Selon les intervenants, le viol est utilisé par des groupes armés pour avoir accès aux richesses comme la terre. « L’effet recherché est de terroriser les populations locales afin de les pousser à quitter leurs villages », a assuré Hseng Noung Lintner, militante birmane et membre du réseau de femmes SWAN.
« Par le viol, les hommes armés humilient, dominent et intimident les communauté. Ils aliènent ainsi toute forme de résistance », a affirmé Marie-Bernard Alima, secrétaire générale de la Commission Justice et Paix RD Congo.
« Lorsqu’un village est attaqué et ses habitants tués, les survivants peuvent par la suite entamer un processus de deuil. Or lorsqu’il s’agit de viol, ce travail de deuil ne peut se faire et le village ne se relève pas de ces violences », a commenté Boris Cyrulnik, le célèbre neuropsychiatre à l’origine du terme de résilience.
« Il suffit de violer une femme pour détruire une famille, a-t-il poursuivi. Le sentiment d’appartenance est déchiré. Le père, qui dans la plupart des cas a assisté, sans pourvoir s’interposer, au viol de sa femme par les groupes armés, est déchu. Il n’a plus de pouvoir et n’a plus la parole. La niche sensorielle affective est déstructurée, l’enfant perd sa base de sécurité, au risque même de développer une atrophie cérébrale. »
Difficile résilience
Pour autant, le célèbre psychiatre et les associations de prise en charge des victimes restent persuadés qu’une résilience est possible pour ces enfants et ces femmes violées. Boris Cyrulnik en a eu la preuve en se rendant en mission avec l’Unicef en RDC à la rencontre des victimes. À l’hôpital de Panzi, à Bukavu dans le Kivu, il a rencontré des femmes qui avaient choisi de chanter pour raconter leur histoire.
« Ces chansons donnent l’opportunité aux victimes de dire dans une chanson, ou encore par le théâtre, ce qui leur est arrivé. Ce processus de resocialisation par la culture est un facteur important de résilience », commente Boris Cyrulnik.
« La sensibilisation au viol comme arme de guerre ne pourra fonctionner que si elle s’accompagne d’une lutte ferme contre l’impunité », estime Catherine Soublin, vice-présidente du Secours Catholique. « Blanca, Marie-Bernard, Hseng Noung, et toutes les autres personnes concernées par ce sujet, nous nous engageons auprès de vous pour vous soutenir dans votre combat. »
L’Onu condamne les violences à l’égard du genre
Malgré les progrès accomplis en matière de lutte contre la violence à l’égard des femmes et des jeunes filles, « il reste encore beaucoup à faire », a prévenu Mme Michelle Bachelet, Secrétaire générale adjointe et Directrice exécutive d’ONU-Femmes, lors d’une conférence de presse à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, au Siège de l’ONU, à New York.
Le thème de cette année souligne le rôle que peuvent jouer les entreprises pour mettre fin aux violences faites aux femmes, ainsi que pour protéger les femmes et les filles et promouvoir leur autonomisation et leurs droits, a-t-elle souligné.
« Jusqu’à 70% des femmes sont victimes de la violence au cours de leur vie », a déclaré la Directrice exécutive d’ONU-Femmes. Elle a rappelé, que dans le monde entier, une femme sur cinq est victime de viol ou de tentative de viol au cours de sa vie. En Afrique, plus de trois millions de femmes subissent chaque année des mutilations génitales. La violence à l’égard des femmes constitue une violation des droits de l’homme et une menace contre le principe de l’égalité des sexes. Il s’agit aussi d’une entrave à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), a-t-elle prévenu.
Mme Bachelet a insisté sur l’importance du Fonds d’affectation spéciale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, précisant qu’il était alimenté par des contributions versées par des gouvernements, le secteur privé, des organisations à but non lucratif et des individus sensibilisés à ce problème. La campagne menée par le Secrétaire général des Nations Unies, « Tous UNIS pour mettre fin à la violence à l’encontre des femmes », s’est fixée pour objectif d’obtenir pour le Fonds, d’ici à 2015, 100 millions de dollars par an.
Présente également à la Conférence de presse, Mme Sharon D’Agostino, Vice- Présidente pour les contributions des entreprises, de l’entreprise américaine « Johnson & Johnson », a évoqué la contribution du secteur privé dans l’élimination de la violence à l’égard des femmes. « Notre entreprise veut aider chaque année plus 120 millions de femmes et d’enfants dans les pays en développement grâce à une collaboration de cinq ans avec l’ONU », a-t-elle expliqué. L’initiative prévoit des traitements contre plusieurs maladies, des campagnes d’information sur la santé pour les femmes enceintes, ainsi que la recherche et le développement de nouveaux médicaments pour le VIH/sida et la tuberculose.
La représentante de l’Organisation zambienne « Equality Now (Égalité maintenant) », Mme Shupe Makashinyi, a estimé que le travail de son organisation serait « impossible » sans le Fonds d’affectation spéciale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Equality Now, qui travaille avec plusieurs organisations de la société civile en Zambie, vient notamment en aide aux femmes et aux jeunes filles victimes de violence.
Mme Makashinyi a évoqué le cas de la famille d’une adolescente de 13 ans, victime d’abus sexuel, qui a poursuivi son professeur, son école et le Ministère zambien de l’éducation. Pour la première fois, s’est-elle félicitée, la justice zambienne a accordé réparation à la jeune victime.
Répondant à la question d’un journaliste au sujet de la présence de l’Arabie saoudite au sein du Conseil d’administration d’ONU-Femmes au titre de pays membre bailleur de fonds, Mme Bachelet a assuré qu’elle allait travailler avec tous les États Membres afin de faire avancer l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes. Nommée le 14 septembre dernier à la tête d’ONU-Femmes, l’ancienne Présidente du Chili dirigera cette nouvelle entité à partir de janvier 2011, date à laquelle elle sera opérationnelle. Avant cette date, elle s’attachera à la préparation des dossiers prioritaires, a-t-elle précisé.
En 1999, l’Assemblée générale des Nations Unies a fixé au 25 novembre la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Depuis 1981, les défenseurs des droits des femmes célèbrent une journée contre la violence sexiste le 25 novembre. En effet, c’est le 25 novembre 1960, en République dominicaine, que furent sauvagement assassinées les trois sœurs Mirabal, opposantes politiques, sur les ordres du dictateur Rafael Trujillo (1930-1961).
Les gouvernements, les organisations internationales et les ONG sont invités à organiser des activités durant cette journée pour sensibiliser le grand public au problème de la violence à l’égard des femmes. La Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes marque également le début des 16 journées de mobilisation contre la violence sexiste, jusqu’au 10 décembre, date à laquelle est célébrée la Journée des droits de l’homme.
Source : La Nation le 24/11/2010