Féminisme musulman : contre une lecture machiste de l’islam

Les féministes musulmanes souhaitent avant tout réinterpréter le Coran et la sounna dans une visée égalitaire et ne sont pas pour une interdiction du voile. Souvent ignoré en Europe, le mouvement milite pour la reconnaissance du droit des femmes en islam. Il rappelle par la même occasion le rôle intellectuel que les musulmanes ont à jouer.

Comme en témoignent les conclusions du IVe Congrès International du féminisme islamique, qui s’est tenu à Madrid du 21 au 24 octobre, les féministes musulmanes veulent faire entendre leur voix. Elles s’opposent à une lecture exclusivement masculine de l’islam, et le disent. Au congrès, les cinq cent cinquante participants, venues d’une vingtaine de pays, se refusent à voir la pratique religieuse comme opposée aux droits des femmes. Selon l’universitaire iranienne Ziba Mir Hosseini, présente au congrès, « en prônant un retour à la charia, les islamistes imposent en fait des interprétations anciennes et patriarcales de la jurisprudence musulmane ». Ces dernières justifient les mesures discriminatoires à l’encontre des femmes, d’où le besoin pour ces féministes de réinterpréter les textes religieux. Toute la difficulté pour ces femmes est de faire accepter l’idée que féminisme et islam ne sont pas antinomiques. Comme l’explique la coorganisatrice du congrès Laure Rodriguez Quiroga : « Aux yeux des féministes européennes […] le féminisme est par essence laïque et donc fondamentalement incompatible avec l’islam ». Les féministes musulmanes approchent la question de la laïcité et du voile d’une façon qui diffère beaucoup de l’Occident, comme en témoigne Ziba Mir Hosseini : « Le voile, perçu par les Occidentaux comme un instrument de soumission et d’oppression, est en fait vécu par les femmes musulmanes comme un signe de libération ». Il leur permet en effet d’avoir un rôle actif dans la société. De plus, ces féministes musulmanes ne défendent pas une égalité des sexes stricte et appellent plutôt à une « égalité islamique ». Cette dernière reconnaît la valeur égale des rôles masculins et féminins, et se refuse à confondre l’identité et l’égalité.

Un mouvement qui se développe depuis les années 90

Le mouvement féministe musulman, encore appelé féminisme islamique, est assez méconnu en Europe. Il s’est développé depuis les années 90, en particulier en Iran, sous la tutelle du magazine féminin Zanan (Les femmes), mais aussi en Afrique du Sud, en Egypte ou encore en Turquie. Depuis sa création, il s’est affirmé lors de la conférence mondiale sur les femmes en 1995 à Pékin et s’est réuni à quatre reprises, en 2005, 2006 ,2008 et 2010 à l’occasion du congrès international du féminisme islamique.  En France, en 2006, la ligue des droits de l’homme avait organisé un colloque sur le sujet, la journaliste française Caroline Fourest voyant dans le mouvement un islamisme extrémiste déguisé. Une accusation aux antipodes des revendications du mouvement qui appelle à un « gender jihad », c’est-à-dire un jihad pour la reconnaissance du droit des femmes dans l’islam. A cet effet, l’universitaire turque Hidayet Tuksa a effectué un travail d’analyse sur les hadiths, en partenariat avec le Diyanet (Ministère des cultes).

Le droit d’interpréter le Coran dans une visée féministe

Ces féministes qui comparent leur démarche à celles des féministes chrétiennes ou encore juives, revendiquent le droit à l’ijtihad, c’est-à-dire l’interprétation du fiqh, la jurisprudence musulmane. Ceci leur permet, comme le souligne Abdennur Prado, un des organisateurs de la conférence de 2006 : « de repenser des sujets fondamentaux comme la charia qui impose des codes de la famille discriminatoires, la polygamie, les droits sexuels ». Il s’agit aussi de mettre en avant le « rôle intellectuel des femmes » ajoute-t-il. En 2004, la réforme du code de la famille au Maroc s’est par exemple basée sur les revendications de ces féministes pour limiter le droit à la polygamie. Certaines femmes du mouvement, comme l’universitaire afro américaine Amina Wadud, revendiquent même le droit à la mixité dans les lieux de prières, ainsi que l’accès aux fonctions religieuses.

 

Pauline Hammé

Source  :  Zaman France ( Turquie) le 11/11/2010

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