Grandes manœuvres au sujet des otages et des condamnés à mort: Le temps des tractations

L’enlèvement des employés des entreprises AREVA et SATOM – dont 5 français – au Nord-Niger, le 16 septembre dernier, qui seraient entre  les mains d’Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), dans l’extrême Nord-Est du Mali, et la condamnation, à mort, de jeunes mauritaniens reconnus coupables de l’assassinat de quatre touristes français, en 2007, donnent lieu à une intense activité diplomatique, depuis quelques jours.

 

Une espèce de «troc», entre les captifs de la nébuleuse terroriste et les condamnés à mort de Nouakchott?

Les autorités mauritaniennes et françaises, deux pays alliés dans la lutte contre le terrorisme au Sahara/Sahel, seraient en pleine discussion. Dans un timing relevant de l’urgence car, parmi les otages, figure une dame, très malade, qui souffrirait d’un cancer. Secrète et loin des regards indiscrets, pour éviter les commentaires de langues trop pendues, cette diplomatie souterraine est, cependant,  trahie par quelques signaux impossibles à masquer. Ainsi, les présidents Nicolas Sarkozy et Mohamed Ould Abdel Aziz ont eu un entretien téléphonique, il y a quelques jours. Une conversation dont la teneur n’a pas été publiquement révélée. Dans la foulée, c’est l’ambassadeur de France à Nouakchott, Michel Vandepooter, qui remet un message spécial du président français à son homologue mauritanien, mercredi dernier, à la faveur d’une audience au palais de la République. Une  correspondance dont le contenu  porte sur «les voies et moyens de renforcement des relations» entre les deux pays, selon l’agence gouvernementale de presse. Une formule-bateau-langue-de-bois pour éviter les questions de fond.
Au même moment, la voix du chef suprême d’Al Qaïda canal historique, Oussama Ben Laden, est sortie de l’ombre – sinon de l’Au-delà – après plusieurs années de silence. Elle a justifié l’enlèvement des otages français, en invoquant «les injustices» commises par ce pays: «tout comme vous tuez, vous êtes tués. Tout comme vous prenez des prisonniers, vous êtes pris en otage». L’icône emblématique du djihad islamique y est allée de son réquisitoire, pour une justice sommaire, assorti de grosses  menaces, avant d’adouber la filiale maghrébine qui aurait, ainsi, accompli un bon boulot.

Emissaires officiels  chez les ravisseurs?
Parmi les revendications des ravisseurs des otages enlevés au Niger figure la libération de «combattants» condamnés en Mauritanie. Tout en évitant de le laisser paraître, Paris serait favorable à un tel dénouement, pour sauver la vie de ses ressortissants. La France, ancienne puissance coloniale, alliée de la Mauritanie  dans la lutte contre le terrorisme à visage islamiste,  et dont la «compréhension bienveillante» a, fortement, contribué à faire avaler la «rectification» de 2008, à la communauté dite internationale, tient, absolument, à sauver la vie des otages enlevés au Niger.
Cette détermination serait-elle le moteur des derniers développements, dans les rapports entre Paris et Nouakchott: entretien téléphonique Sarko-Aziz, message transmis par l’ambassadeur ? Pas de certitude formelle mais une forte présomption. De même, quelques émissaires – des officiels  de haut niveau – auraient fait un petit tour du côté de l’ancienne maison d’arrêt principale de Nouakchott, pour rencontrer Khadim, Maarouf et Sidi Ould Sidina, au cours des derniers jours. Des noms sont avancés, notamment celui de l’érudit Mohamed Moctar Ould M’Balle, un  conseiller du président de la République. D’autres sources parlent du ministre de l’Orientation Islamique et de l’Enseignement Originel. En fait, celui-là même qui avait, officiellement, lancé le dialogue avec les «barbus», en janvier dernier. Ou, tout au moins, une de ces personnalités, pour rencontrer, individuellement, les condamnés et leur proposer une renonciation, formelle et publique, à la folie meurtrière que représente l’idéologie terroriste, contre une possible grâce présidentielle, suivie d’une libération.
Quant à la réponse de ces «durs», il faut donner sa langue au chat. Les condamnés à mort refuseraient-ils une telle «opportunité»? Accepteraient-ils un repentir du bout des lèvres, pour reprendre, par la suite, les insondables chemins du vaste désert? Ou une renonciation, définitive, à l’idéologie de la «génération du chaos»? Trop d’interrogations hasardeuses. Prétendre y répondre, à l’heure actuelle, ne peut relever que d’une partie de poker.

Sauver la face 
Cependant, il semble bien qu’un éventuel «arrangement», avec une formule permettant la libération des otages et des terroristes, «arrangerait» tout le monde, permettant, à tous les acteurs, de sauver la face. La France, opposée, par principe, à la peine capitale, qui sauverait, de surcroît «ses» otages. La Mauritanie qui, même si elle maintient «le monstre» dans sa législation, ne l’appliquerait pour rien au monde, au risque de souiller, par le sang, fût-il celui de terroristes confirmés, l’image de candidate aux réformes démocratiques qu’elle tente de faire accréditer, depuis la fin de la dictature Taya. Sans parler de l’AQMI, qui pourrait récupérer de précieux, et rares, combattants, tout en faisant figure de généreux libérateurs…
Il faut également ajouter, aux facteurs propres aux deux pays,  le constat d’une  réalité géopolitique: l’équation du terrorisme à visage islamiste, dans le Sahara/Sahel comme un peu partout ailleurs, n’est pas totalement soluble dans le tout-sécuritaire. Quelle que soit leur aversion, au demeurant tout à fait légitime, contre le bébé infâme, Mohamed Ould Abdel Aziz  et Nicolas Sarkozy sont parfaitement conscients de cette réalité. Ainsi, le raid du 22 juillet n’a pas plus sauvé la vie de Michel Germaneau qu’il n’a empêché le rapt de nouveaux otages, au  Nord-Niger.
Quant aux combats du mois de septembre, au Nord-Mali, ils restent, encore, entourés d’un épais brouillard, sous forme de bilans contradictoires: pendant que la Mauritanie crie au triomphe, l’Algérie dont les services de renseignements militaires écument le désert, annonce notre «défaite». Au-delà de ces brumes liées aux derniers développements sécuritaires, quelques signaux probants, notés, ça et là,  esquissent les contours d’un réajustement, dans l’option stratégique de lutte contre le phénomène, même si le discours officiel prétend ne pas avoir varié.
Le contingent militaire mauritanien a quitté le Nord-Mali, «auréolé de victoire», selon la version, très officielle, de notre agence gouvernementale de presse. Il a reçu un «accueil chaleureux des populations», sur son parcours, le long de la route de l’Espoir. Il y a, également, le lancement, presque précipité, du dialogue, en vue d’engager une  réflexion pour l’élaboration d’une Stratégie Nationale de Lutte contre le Terrorisme (SNLT). Un forum qui apparaît comme la suite de l’acte posé par le gouvernement, en janvier 2010. De plus, ce que la Mauritanie a accepté, pour l’Espagne, dans le cas d’Omar Sahraoui, peut-elle le refuser, pour la France, aujourd’hui, malgré le net  décalage entre les peines prononcées, à l’encontre des accusés des deux affaires?

Amadou Seck

Source  :  Le Calame le 03/11/2010

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