M. MOHAMED SAID OULD HAMODY À L’OCCASION DU CINQUANTENAIRE DE L’INDÉPENDANCE: «L’obstacle majeur au moment de l’indépendance, c’était le manque d’infrastructures de base»

Quelle était la situation dans le pays au moment des indépendances? Quels étaient les partis politiques en présence? De quoi était composé le paysage urbain à Nouakchott?
Autant de questions qui ont été évoquées dans l’entretien suivant que nous avons eu avec l’un des pionniers de la presse dans le pays, M. Mohamed Said Ould Hamody.

 

Dans cet entretien, réalisé à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance nationale, le collègue.
Hamody convoque quelques uns de ses souvenirs de la période qui a vu naître l’Etat mauritanien.
Lisez ses réponses.

QUESTION: Vous étiez étudiant en France avant l’indépendance, quelle était l’attitude qui régnait parmi les étudiants?
M. Mohamed Said Ould Hamody: En réalité, la situation qui prévalait avant l’indépendance a connu quelques évènements particuliers et a été marquée par l’optimisme et la crainte. Optimisme, car la majorité des Mauritaniens considérait que la colonisation était transitoire malgré les divergences d’opinions au sein de cette majorité dont une partie considère que la pénétration coloniale a atténué le climat de pagaille et du laisser-aller qui sévissait dans le pays. Pour nous, en tant qu’étudiants et future élite optimiste, nous pensions que le pays devrait assurer sa propre autonomie malgré des difficultés internes et externes.
Sur le plan interne, des dissidences et des querelles opposaient les politiciens de tous bords, des manifestations étaient organisées dans certaines villes de l’intérieur, plusieurs leaders des partis de l’opposition (Nahda, UNM et USMM) étaient assignés à résidence surveillée et à cela s’ajoutaient des actes terroristes
qui avaient eu lieu juste avant l’indépendance, comme l’attentat qui a
coûté la vie au député-maire d’Atar, M. Abdallahi Ould Oubeïd à
Nouakchott.
Sur le plan extérieur, parmi nos voisins limitrophes, le Sénégal était le seul allié du pays, l’Algérie limitrophes, le Sénégal était le seul allié du pays, l’Algérie
n’ayant pas encore obtenu son indépendance.
Avec le reste des voisins, les relations n’étaient pas à leur meilleur niveau.
Dans le monde arabe, à part la Tunisie, tous les autres pays étaient opposés à notre indépendance.
Et malgré cela, l’optimisme régnait chez les Mauritaniens.

Q U E S T I O N :
Entreteniez vous des relations avec les autres étudiants africains?
M. Mohamed Said Ould Hamody: En fait, j’étais au Collège en ce temps, mais l’Union Nationale des Etudiants Mauritaniens (UNEM) entretenait des relations
avec les associations des étudiants et des jeunes d’Algérie, de Tunisie et du
Maroc et avec l’UGEAO (Union générale des Etudiants de l’Afrique
de l’Ouest) à Dakar et, en France, avec la FEANF (fédération des étudiants
de l’Afrique Noire en France).

QUESTION: Vos discussions portaient-elles sur la fatalité de l’indépendance?
M. Mohamed Said Ould Hamody: En réalité, la doléance première
chez les étudiants et les jeunes de tous les pays du monde et en particulier
de ceux de l’Afrique était le départ des colons et l’accession de leurs pays à l’indépendance. Cette situation était favorisée par le sommet de Bandoeng en 1954 où, Nasser, Tito et Nehru se sont imposés en leaders des pays du Tiers monde, par la guerre anti-coloniale en Indochine française qui fût une catastrophe pour la colonisation française, par l’évacuation coloniale britannique de plusieurs pays, l’insurrection qui régnait au Sud du Yémen et
en Algérie, les affrontements entre les Marocains et les Tunisiens avec les
colonisateurs, puis la libération des deux pays, l’indépendance du Ghana
de NKrumah, puis de la Guinée de Sékou Touré. Tout ceci constituait les
prémisses et l’espoir d’une libération prochaine que nourrissaient les mémorables émissions de « Sawt el Arab » à partir du Caire; Radio-Tanger et Radio Rabat avec des émissions qui ciblaient la Mauritanie.

QUESTION: La Mauritanie pouvait-elle assurer son autonomie?
M. Mohamed Said Ould Hamody: Les Mauritaniens possédaient des atouts incontestables. Ainsi, les populations des cheptels (ovins, caprins, bovins et camélidés) se suffisaient pour leur auto-consommation et leurs échanges; de même, les agriculteurs: dattes, blé, orge, mil, etc.
Et le pays n’avait pas encore connu la terrible sécheresse des années soixante-dix. Aussi, l’autosuffisance alimentaire était quasi assurée. Le seul déficit concernait certains produits d’importation (cotonnades, éclairage et de menus fretins). Et les appétits et exigences étaient si réduits !…C’est pourquoi les citoyens, intellectuels et autres s’intéressaient plutôt à la politique et ceux qui s’opposaient à l’indépendance avançaient l’hypothèse de la difficulté de mettre en place un Etat fiable et indépendant. Mais peu de gens s’occupaient
de l’aspect économique, peu préoccupant en réalité et bien frugal. Les
têtes étaient surtout politiques… et religieuses…

QUESTION: Quels étaient les obstacles majeurs pour l’administration
à l’indépendance?
M. Mohamed Said Ould Hamody: Parmi les obstacles auxquels faisait face l’administration à l’indépendance, nous pouvons citer l’absence d’infrastructures de base, car les Français n’ont rien laissé, pas de routes, pas d’aéroports (sauf un petit aéroport à Nouakchott et deux autres à Atar et Nouadhibou) et
quelques « terrains d’aviation éparpillés », et un unique port de pêche (à Nouadhibou).
L’administration a, certes, profité de l’expérience au cours de la période
coloniale, mais il existait de réels problèmes politiques comme l’absence
de libertés, l’existence d’un seul parti politique, d’un seuil président, d’un seul gouvernement, d’un seul courant de pensée…

QUESTION: Avec votre arrivée à Nouakchott en 1968, qu’est-ce qui
existait comme bâtiments?
M. Mohamed Said Ould Hamody : A cette époque, seuls les quartiers du Ksar et de la « Capitale » (c’est-à-dire une partie de Tevragh Zeina et de la médina 3) existaient avec un seul Hôpital en plus des dispensaires » El Hadj » et « Monzie », le
Lycée national, le collège des jeunes filles, l’école justice, l’école du marché, l’école du Ksar et l’école d’application. La population de Nouakchott était estimée à 15.000 habitants. L’eau courante disponible de 7 heures à 8 heures et de 18 heures à 20 heures.

QUESTION: Quelle appréciation faites-vous de l’information en cette époque là et quels sont les obstacles qui se dressaient devant les médias ?
M. Mohamed Said Ould Hamody : En ce temps, il n’existait que la Radio qui émettait en ondes courtes et moyennes et ses effectifs ne dépassaient guère les 30 employés (avec chauffeurs et plantons). La section « rédaction » comptait, si j’ai bonne mémoire, 6 personnes qui réalisaient un travail gigantesque dont la
finalité pour eux était un succès pour la Radio mais aussi pour eux-mêmes.
Il existait également un journal dont la rédaction était assurée par un nombre très limité de rédacteurs (moins de 5) et qui était ronéoté au début à Nouakchott, puis imprimé à Dakar et qui paraissait quand il pouvait. Leur qualité et leur passion de servir abattaient les obstacles sans nombre. On les oubliait dans le feu de l’action… et de la passion !!!
Malgré ses moyens modestes, l’information jouait son rôle, surtout la Radio et je ne peux que citer des collègues qui ont joué un rôle de premier plan en son sein: Mohamedden Ould Sid’Brahim, Mohamed Lemine Ould Agatt, Mohamed Lemine Cheïkh, El Hadj N’Gaïdé, Cheikh Mohamed Mahfoudh, Amadou Tidjane Bal, Bilal Ould Yamar, Dahoud Ould Ahmed Salem, Abdou Ould Mohamed Lemine, Naha Mint Seyidi, Soukeïna Fall, Isselmou
Ould Nevrou, etc..
Des journalistes ou animateurs comme Khattry O. Jiddou, Abderahmane Ould Brahim Khlil, Yedaly Ould Cheïkh, Mohamed Yehdih Ould El Agheb, N’Gaïdé
Alassane, Sidi Ould Cheïkh, Khayi Baba Cheyakh, etc.
Et je fais une mention particulière pour Mohamed Mahmoud Ould Weddady qui, reporter depuis la proclamation de l’indépendance, a révolutionné
l’établissement en tant que directeur de 1970 à 1975.
Et les journalistes de l’écrit: Ahmed Ould Abdellah, Mohamed Yehdih Ould Breïdeleïl, Mohameden Ould Mokhtar Ould Hamidoun, Ahmedou Ould H’Meyen qui anima, en plus, la rubrique radiophonique avec deux enseignants hors pairs et excellents journalistes- amateurs: les regrettés Mohamed Ould Sidi Ali et
Coulibaly Bakari…
Et une génération plus jeune: Mohamed Ould Babetta, Mokhtar Ould Haye, Isselmou Ould Mounir, El Khalil Ould Nahoui. J’ajoute la liste des directeurs des organes de presse :Abed El Wahab Ould Cheïguer, Yacoub Ould Boumediana,
Ahmed Baba Miské, Mohamed Baba Fall, Didi Ould Sweïdi, Ebnou Ould Ebnou Abdem, etc.

QUESTION: Quel était le caractère principal du mouvement de la jeunesse auquel vous avez pris part?
M. Mohamed Said Ould Hamody: L’action de la jeunesse était partagée entre les différents âges, il y avait le scoutisme au niveau des écoles primaires mais aussi la jeunesse militante dans le domaine politique à travers l’Association de la
Jeunesse Mauritanienne (AJM) entre 1956 et 1965 dont l’action était culturelle
avec comme soubassement la lutte contre la colonisation ( politiquement
et culturellement) et qui entretenait d’excellentes relations avec les organisations de jeunesse, en Afrique de l’Ouest (conseil de la jeunesse) et au niveau mondial avec deux organisations rivales: l’occidentale
« Woy » (World Organisation of Youth) et la socialiste « FMJD » (Fédération Mondiale de la Jeunesse Démocratique) .
L’AJM a participé à plusieurs festivals panafricains mondiaux, notamment, à Vienne (1958) et Helsinki (1962). J’ai été simple membre du dernier bureau de
l’Association de 1958 à 1964 et membre du dernier bureau qui comprenait
notamment Mohamed Yehdih Ould Breïdeleïl, l’ambassadeur Mohamedou Ould Mohamed Mahmoud, le regretté professeur Cheïkh Ould Abdel Aziz Ould Hamoni.

QUESTION: Quelle est votre appréciation de l’action de la diplomatie
mauritanienne juste après l’indépendance et comment elle a pu
jouer un rôle remarquable sur la scène internationale, malgré la situation
démographique et économique peu propice ?
M. Mohamed Said Ould Hamody: Ce succès est dû à plusieurs facteurs, notamment le choix proclamé de la Mauritanie « …comme lien entre le monde Arabe et l’Afrique », l’existence de cadres compétents et engagés ainsi que le
choix de représentants parmi les plus compétents pour les missions diplomatiques, les conférences et forums internationaux.

QUESTION: Quel était le premier ambassadeur nommé et où étaient ouvertes les premières ambassades?
M. Mohamed Said Ould Hamody: Il me semble que la première
ambassade était à Paris et l’ambassadeur était SEM. Touré Mamoudou, suivie de celle de Tunis avec SEM. Bakar Ould Ahmedou comme premier ambassadeur mauritanien dans ce pays puis l’ambassade de Washington où était nommé SEM. Souleymane Ould Cheikh Sidiya, ces trois ambassades ont été ouvertes en 1961.
Biographie de M. Mohamed Said Ould Hamody:
M. Mohamed Said Ould Hamody est né le 23 mai 1942, à Atar.
Après des études coraniques (1947 – 1949) et primaires à la Medersa franco-arabe d’Atar
(1949 – 1955), Ould Hamody fit ses études secondaires (1955 –1962) au Lycée Faidherbe (Saint Louis du Sénégal) et au Collège Michelet de Nice (France)
– Lycée National de Nouakchott puis supérieures: 1962 – 1968: Economie du
développement à l’IEDES à Paris, Journalisme au CFJ, à Paris. Il fût
chargé des relations extérieures de l’Association de la Jeunesse de
Mauritanie (AJM) (1964) puis président de la Section de Paris de l’Union
Nationale des Etudiants Mauritaniens (UNERIM) (1964 – 1966)
De 1968 – 1972, Mohamed Saïd devint Secrétaire fédéral des Jeunes de Nouakchott et membre du Conseil Supérieur National de la jeunesse du Parti du Peuple Mauritanien, Secrétaire aux relations extérieures du Parti du Rassemblement pour la Démocratie et l’Unité (RDU)
d’août 1991 à décembre 2005. M. Mohamed Said Ould Hamody fut également:
-1968 – 1972: Rédacteur en chef de Radio Mauritanie, – Directeur des Journaux hebdomadaires « Chaab » et « le Peuple »;
– 1972 – 1973 : Secrétaire d’Ambassade au Caire;
– 1973-1975 : Conseiller d’Ambassade au Caire;
-1975 – 1978 : Premier Conseiller et Chargé d’Affaires à l’Ambassade de Mauritanie à Washington;
– 6 Juillet – 4 août 1978: Premier Conseiller d’Ambassade à Rabat;
– 4 Août 1978 – mai 1979: Secrétaire Général de la Présidence de la République;
– Avril 1980 – juillet 1984: Représentant Permanent auprès de l’ONU à New York et ambassadeur non résident auprès du Canada et de Cuba;
– Août 2000 – octobre 2001: Ambassadeur auprès des Etats-Unis d’Amérique, et ambassadeur non résident auprès du Mexique ;
– Janvier 2002, admis à faire valoir ses droits à la retraite.
– Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme
du 22 mars 2007 au 21 mars 2010.

(Traduit, réécrit et mis en forme par Yacoub Ould El Ghassem)

Source  :  AMI le 01/11/2010

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