Comme la plupart de ceux qui ont décidé volontairement de rentrer dans leur pays, Amadou Bâ reste dans le flou en ce qui concerne son avenir. Comme tous les réfugiés, il avait laissé l’ensemble de ses biens (un troupeau d’une centaine de têtes, sans compter les dix hectares qu’il cultivait) en Mauritanie. Vingt-et-un ans après les événements, il ne se fait guère d’illusion. Il sait qu’il ne retrouvera jamais son cheptel. Tout au mieux récupérera-t-il un lopin de terre et lui donnera-t-on une vache pour sa famille, en plus d’une petite aide financière.
Mais on ne peut douter de son désir de retrouver sa patrie. A Mery, un des sites de réfugiés situé dans le département de Dagana (à environ 130 km de Saint-Louis) où nous l’avons rencontré le samedi 16 octobre, comme les autres candidats, Amadou Bâ prépare activement ce grand départ. Les camions de l’Unhcr (Haut commissariat des réfugiés des Nations unies) qui viennent embarquer les bagages et l’équipe de journalistes qui les accompagne, suscitent la curiosité de tous les habitants de ce petit village. Une dame, habillée en couleurs vives, où prédomine le bleu, semblant ne point être concernée par tout ce qui se passe, supervise attentivement le chargement de ses bagages.
Son frais maquillage traditionnel et ses boucles d’oreilles jaunes et rouges semblent avoir déposé une couronne de beauté sur sa grande figure. Quand nous l’avons retrouvée, le lendemain, dimanche, au site de transit de Richard-Toll, la mine toujours en berne, le maquillage défait, telle une fleur fanée, sa remarquable beauté ayant perdu beaucoup de son éclat, elle nous a semblé avoir nettement vieilli en une nuit.
Le souvenir du cheptel et des biens perdus
A l’ombre d’un arbre, Minel et sa bande de copains (de jeunes adolescents), qu’on peut qualifier de sceptiques, pour ne pas dire de révoltés, sont en conversation. « Je ne vois pas pourquoi, après avoir tué nos parents (il fait allusion au conflit de 1989), on nous demande de rentrer. Je pense que nous ne devons pas retourner là-bas », s’indigne Minel. Lui n’envisage nullement de rejoindre un jour le pays de ses ancêtres.
« Après mes études coraniques, je compte aller à Saint-Louis faire du commerce et m’y installer définitivement. L’expérience a montré que ceux qui sont rentrés souffrent là-bas. L’année dernière ils nous ont sollicité pour des vivres. Là-bas il n’y a que du sel. Et puis, c’est quoi un Peulh sans troupeau ? », ironise le jeune homme, pourtant sans avoir jamais mis les pieds en Mauritanie.
Evidemment, les candidats au retour n’ont pas la même opinion. Du reste, le rapatriement est volontaire. Mais, sans doute, beaucoup partagent son inquiétude. Tel un baume, un sentiment étrange de joie, teinté d’angoisse, s’était emparé des rapatriés au moment où ils s’apprêtaient à franchir la frontière. Les regards furtifs et les soupirs étaient autant de muettes questions. Cependant, tous, ou presque, étaient en tenues de fête.
Une fois la frontière franchie par les rapatriés, les représentants du Hcr peuvent pousser un ouf de soulagement ; mais Tamsir – un rapatrié que nous avons suivi depuis le début – et ses camarades sont loin d’avoir les réponses à toutes les questions qu’ils se posaient.
La pluie, qui les a accompagné jusqu’à l’arrivée fut-elle perçue, tout au plus, comme un « bon signe ». Mais, plus fondamental que ce symbole, pour Tamsir et les autres : c’est de trouver du boulot, une fois en Mauritanie. Pour certains, c’est un changement total de perspectives.
« Nous étions de grands éleveurs, par la force des choses, nous sommes devenus de petits agriculteurs, n’ayant plus de cheptel », explique Amadou Bâ.
Tamsir, lui, avait réussi à se refaire une petite santé matérielle : il avait construit une maison et acheté un cheval. Tout cela, il l’a laissé à son frère ayant choisi de rester au Sénégal.
Où trouver du boulot de l’autre coté ?
Certains esprits sceptiques ne manquent pas d’interpréter ce « subterfuge » des familles comme une volonté de garder un pied sur chaque rive du fleuve.
Officiellement, des retours d’ex-réfugiés n’ont pas été constatés, indique Rufin Gilbert Lubaki, représentant général adjoint pour l’Afrique de l’Ouest du Hcr.
« La réintégration (des rapatriés) prend du temps, mais les conditions de ceux qui sont déjà rentrés se passent normalement. L’indicateur, c’est que les gens continuent de s’enregistrer pour rentrer volontairement », dit-il. Et selon Souleymane Ould Brehim, directeur régional de l’Agence d’accueil et d’insertion des rapatriés (Anair) pour le Trarza, zone d’accueil de l’essentiel des ex-réfugiés, l’insertion de ces derniers « se passe dans des conditions acceptables ».
« Après la première phase d’urgence, nous sommes mieux préparés pour que l’actuelle phase se passe dans de meilleures conditions. Il y a déjà 600 hectares cultivables qui sont préparés pour ceux qui sont en train de revenir. Ils auront les mêmes droits que tous les autres citoyens mauritaniens », informe-t-il, soulignant que le retour des ex-réfugiés entraîne « très rarement » de conflits, compte tenu qu’« ils sont réinstallés dans leurs villages d’origine ».
Pour les fonctionnaires, Souleymane Ould Brehim soutient que la majorité de ceux qui sont revenus ont été réintégrés, les autres ont reçu « des compensations ». Mais d’autres interrogations subsistent encore, notamment en matière d’éducation et de santé. Là aussi, le fonctionnaire mauritanien cherche à dissiper les inquiétudes : « les systèmes éducatifs sénégalais et mauritanien se valent.
Les enfants qui avaient commencé leur scolarité au Sénégal pourront la continuer sans problème, nous avons même mis en place un programme de remise à niveau (en langue) pour eux, avec l’appui de l’Unesco », explique ce fonctionnaire mauritanien.
Nous n’avons pu vérifier tout cela sur le terrain. Ce qui est sûr, dans l’option aussi bien des autorités mauritaniennes que du Hcr, c’est que l’assistanat ne peut pas durer éternellement.
Les rapatriés doivent donc s’intégrer progressivement : construire leurs maisons eux-mêmes, etc.
Source : Seneweb via GPS le 31/10/2010