«Il est inconcevable de mener des raids conjoints avec la France»

Mohamed Jemil Mansour est le président du Rassemblement national pour la réforme et la démocratie (RNRD) ou Tawassoul. Ouvert et modéré, Ould Mansour doit sa réputation surtout à sa maitrise du verbe en Hassaniya, en Arabe et même en Français. Nourri à la sève de la pensée de réformistes islamistes tels que Hassen Atourabi et Rachid Ghanouchi, depuis son engagement précoce en politique, le président de Tawassoul, malgré son jeune âge a réuusi à s’imposer dans les rangs des Islamistes. Et continue de marquer des points sur la scène politique, naviguant avec souplesse et pragmatisme et évitant à tout prix la confrontation avec le pouvoir. En un seul mot, lui et ses amis, font la politique et ont un objectif clair à atteindre…
Jemil, comme on l’appelle dans l’opinion, a bien voulu répondre aux questions de Biladi, relatives à la situation politique, sécuritaire, économique et sociale du pays… 

Biladi : L’accord de Dakar avait suscité beaucoup d’espoir. Mais une année après sa signature, le pays reste encore à la case départ. Y-a-t-il aujourd’hui espoir de voir la Mauritanie sortir de la crise dans un proche avenir ?

Mohamed Jemil Mansour : À Dakar il y a eu un consensus entre tous les acteurs de la scène politique pour sortir de la crise. Donc nous croyons que c’est important d’organiser un dialogue sur la base de l’accord signé dans la capitale sénégalaise. C’est vrai que comme mauritaniens comme partenaires politiques, nous avons le droit de mettre l’accent sur des  points autres que ceux cités  dans ce document  mais le respect de l’accord cadre de Dakar  est un impératif qui s’impose à tous les acteurs de la scène politique nationale. Il faut organiser un dialogue politique, afin de discuter de grandes questions de l’heure, d’asseoir un climat politique positif, de dégager les voies et les moyens capables d’assurer une politique d’alternance pacifique au pouvoir dans notre pays et de déterminer, de façon définitive, le rôle de l’armée. Cela dit, nous gardons toujours l’espoir de voir le pays sortir de la crise. Le pouvoir tout comme la coalition des partis organisés au sein de la Coordination de l’opposition démocratique a fait part de son ouverture au dialogue. Reste à en nouer le fil. Nous demandons au pouvoir en place, au président de la République qui a été élu par le peuple mauritanien d’initier un dialogue politique avec tous les partis, tous les partenaires politiques, pour que tous participent à l’émergence d’une nouvelle Mauritanie, incha allah.

Biladi : En tant que parti ayant adopté une position médiane, comment Tawassoul compte-t-il s’y prendre pour contribuer à sortir le pays de la crise ?

Mohamed Jemil Mansour : C’est vrai que nous ne sommes pas membres de la Coordination de l’opposition démocratique, mais nous sommes membres de l’Institution de l’opposition démocratique et donc un parti de l’opposition. Mais une opposition qui tient un discours positif et qui essaye de trouver un terrain d’attente entre les acteurs de la scène politique. On a entrepris des contacts en vue de rapprocher les positions. Mais les relations entre la Coordination de l’opposition démocratique et les partis de la majorité étant malheureusement tendues, il semble bien qu’il faut encore du temps pour trouver un terrain d’attente entre les différends acteurs de la scène politique nationale, favorable à la tenue d’un dialogue.

Biladi : Le président Ould Abdel Aziz vient de réaffirmer que la Mauritanie n’est pas en guerre contre Al Qaïda. Que vous inspire cette déclaration ?

Mohamed Jemil Mansour : Nous ne voulons pas rentrer dans une querelle de mots. Ce que nous constatons ce qu’il y a une guerre, qu’il y a une situation sécuritaire difficile pour notre pays, que notre armée est entrée dans le territoire d’un pays frère pour engager des combats avec Al Qaïda.  Nous sommes très attachés à la sécurité du pays, à sa stabilité, et nous sommes pour la lutte contre le terrorisme qui constitue un danger pour la Mauritanie. Nous croyons que nos formes armées ont un rôle à jouer dans la défense de la sécurité nationale, dans la défense de sa stabilité, dans la défense de la sécurité de nos hôtes, mais qu’elles ne doivent pas évoluer en dehors de nos frontières que dans le cadre d’une coordination avec les pays de la sous-région. Nous sommes contre tout aventurisme, et l’utilisation de nos forces armées pour un agenda qui ne sert pas les intérêts du pays. Les déclarations que nous avons publiées étaient claires là-dessus. Ce que nous demandons aujourd’hui c’est une révision de notre stratégie sécuritaire. Il faut coordonner avec les pays de la sous-région en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, et éviter tout aventurisme nuisible aux intérêts du pays.   

Biladi: Tout en affirmant votre soutien à l’armée dans la lutte contre le terrorisme, vous mettez en garde contre un agenda étranger. Derrière les raids menés par l’armée mauritanienne verriez-vous la main de la France, comme les partis réunis sous la bannière de l’opposition démocratique ?

Mohamed Jemil Mansour : Derrière le premier raid mené contre les positions terroristes au Mali, il y a la main de la France, c’est indéniable. Il faut être très clair, nous croyons que la relation avec la France est importante pour la Mauritanie. Que la France est l’un des pays d’Europe qui a des relations privilégiées avec notre pays. Mais pour autant ce n’est pas de notre rôle de libérer ou d’essayer de libérer Germaneau. Il est inconcevable de mener des raids conjoints avec la France, en faisant fi de la coopération des pays limitrophes. Cela nous évitera de nous enfermer dans l’isolement. Nous pensons que la lutte contre le fléau qu’est le terrorisme doit s’inscrire dans le cadre d’une coordination d’avec les pays de la sous-région, le Mali, l’Algérie, le Niger…

Biladi : Vous avez formez des alliances avec l’UPR lors des sénatoriales passées et aucune avec l’opposition. Est-ce là un prélude à une entrée dans la majorité présidentielle ?

Mohamed Jemil Mansour : Premièrement pour votre information, lors des sénatoriales passées il y a eu des alliances avec l’UPR à Nouakchott et à Tintane, mais il y a d’autres coalitions avec les partis de l’opposition surtout à Aleg et autres localités. Ces alliances ont été nouées en fonction de la ligne politique du parti. Cela dit, on ne parle pas d’une rentrée à la majorité présidentielle. Nous sommes un parti représenté au parlement, un parti opposant. C’est vrai qu’après la présidentielle, on a reconnu les résultats, on a reconnu le président de la République actuel, nous travaillons pour un climat politique positif. Nous le disons et répétons que  nous sommes un parti d’opposition avec un discours modéré  choisi par ses instances, qui essaye d’une façon constructive d’aider à créer un climat politique apaisé.   

Biladi : Quelle lecture faites vous aujourd’hui de la situation politique économique et sociale du pays ?

Mohamed Jemil Mansour : Il est indéniable que quelques domaines ont connu des progrès, construction d’infrastructures routiers, lute contre une certaine gabegie. Mais globalement nous ne sommes pas satisfaits de la situation politique, économique et sociale du pays. Nous sommes un pays qui a derrière lui une cinquantaine d’années d’indépendance, possède d’énormes richesses, entretient des relations privilégiées avec des pays donateurs dans le monde. Mais malgré ces énormes atouts nous n’avons pas connu des avancées considérables sur les plans économique, culturel et social. Nous croyons qu’il est temps de changer la manière de gérer les affaires publiques. Il faut donner la chance à tous les acteurs à participer au développement. Nous demandons, et nous le répétons, au président de la République qui gère le pays actuellement d’adopter un esprit d’ouverture, de créer un climat consensuel pour gérer les dossiers importants de ce pays : unité nationale ; développement économique ; social ; culturel ; problème de l’esclavage et ses séquelles… Tout cela demande un climat politique consensuel, un climat d’ouverture, de dialogue. Ce n’est plus le moment d’une gestion unilatérale de la part d’un parti ou d’une coalition, ici on parle de la politique générale et pas d’une question de gouvernement.

Biladi : D’un côté vous appelez à l’abolition de l’esclavage, mais de l’autre vous semblez minimiser la pratique de l’esclave. «L’esclavage existe toujours en tant que pratique d‘une manière limitée dans certaines régions du pays», ce c’est que vous avez écrit dans le document publié récemment et intitulé « La vision de Tawassoul de l’esclavage et ses séquelles en Mauritanie » Finalement n’avez pas le sentiment de faire le jeu du pouvoir qui, aujourd’hui, a tendance à minimiser, voire nier la pratique de l’esclavage sur nos terres?
Mohamed Jemil Mansour : Malheureusement certains acteurs de la société civile ont fait des commentaires dans ce sens. Mais la réalité est tout autre. Nous ne jouons pas le jeu du pouvoir ni des Beydanes. La pratique de l’esclavage a baissé d’intensité. Aujourd’hui elle n’est pas ce qu’elle était il y a 40 ans ou 20 ans, mais le phénomène et ses séquelles existent encore. Cela dit nous avons initié un programme intitulé programme de Tawassoul pour l’élimination du phénomène de l’esclavage et ses séquelles et nous invitons tous les mauritaniens, descendants de couches esclavagistes y compris, à se mobiliser dans ce sens. Nous demandons à nos frères qui s’intéressent à cette question de dépasser les querelles politiques, et d’éviter les commentaires peu amènes sur les positions des uns et des autres. Le combat pour l’élimination de l’esclavage doit dépasser les clivages sociaux et politiques. Il doit être le combat des tous les mauritaniens et cesser d’être considéré comme le combat d’un parti ou d’une couche. Nous allons travailler pour l’élimination de l’esclavage, c’est notre devoir, sans rentrer dans les querelles politiques qui ne servent à rien.  

Propos recueillis par Samba Camara

Source: rmibiladi



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