L’opposition à l’épreuve après les attaques contre AQMI: Guerre et guéguerre

La guerre contre Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), porte-flamme du terrorisme dans la sous-région saharo-sahélienne,  a été marquée, entre le 22 juillet et le 20 septembre, par deux violents affrontements et une prise d’otages. Ces événements impliquant l’armée nationale  ont eu, pour théâtre, surtout le territoire de la République du Mali, embarquée dans la même «coalition» antiterroriste et forcément partenaire de la Mauritanie, dans un combat contre un adversaire invisible.
La configuration du  paysage politique mauritanien, notamment au sein de sa partie estampillée opposition, subit le contrecoup de cette trouble réalité sécuritaire. Réagissant aux combats du 19 août, entre armée mauritanienne et AQMI, la  Coordination de l’Opposition Démocratique (COD), collectif d’une dizaine de partis, a dénoncé une politique sécuritaire aventuriste dont le résultat est une guerre par procuration, sans consultation du Parlement et, donc, en «violation» de la Constitution.
Solidaire de l’armée, le  Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD), principale formation de l’opposition, s’est, alors, retrouvé dans l’obligation d’exprimer sa propre position, pour éviter toute «confusion». Doux euphémisme pour montrer le grand parti de l’opposition historique en train de tracer sa propre voie.

Et ce n’est pas tout: en plus du parti d’Ahmed Ould Daddah, jusque là chef de file institutionnel de la mouvance, de larges courants, au sein de la COD, ont mis une bonne dose d’eau dans leur zrig. A titre d’exemple, le  Pacte National pour la Démocratie et le Développement (PNDD-ADIL), de l’ancien Premier ministre, Yahya Ould Ahmed El Waghf, et El Wiam, de Boydiel Ould Houmeid, composés de cadres rompus à l’exercice des affaires publiques et qui n’arrêtent pas de lorgner du côté des lambris dorés et autres postures douillettes  attachées au pouvoir.
La suite de ce nouveau feuilleton politique, dont l’épilogue, attendu, devrait être un divorce – définitif? – est tombée le 3 octobre dernier, avec la publication, dans «Le Quotidien de Nouakchott», d’une interview du leader de l’Alliance Populaire Progressiste (APP), Messaoud Ould Boulkheir, par ailleurs président de l’Assemblée nationale. Dans un passage relatif aux divergences au sein de la coalition de  l’opposition, celui-ci remarque:  « c’est vrai que la COD n’est pas un parti, qu’elle est composée de sensibilités diverses qu’en définitive, nous n’avons pas encore choisi de séparer,  ce qui ne saurait tarder, à mon humble  avis… Chacun est libre de choisir sa voie. Quand il n’est pas en harmonie avec les autres, il doit pousser sa liberté plus loin et les quitter… Sinon, ce sera à ceux-ci de l’exclure».
Des propos qui  agacent, au RFD. Face à ce début de crise entre deux éminents partis membres, l’APP et le RFD, la COD tient une réunion, pour arrondir les angles. Une rencontre qui finit en queue de poisson, sur constat de total désaccord. Les amis d’Ahmed Ould Daddah nient toute idée de gel de leur participation aux activités de la coalition de l’opposition, en dépit de la cacophonie des déclarations sur le dossier de la guerre contre le terrorisme à visage islamiste.

Fortes personnalités incompatibles
Cette nouvelle brouille, dans les relations entre Ahmed Ould Daddah et Messaoud Ould Boulkheir, deux opposants historiques ayant acquis une incontestable légitimité, dans la lutte, commune, contre le régime de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, est, en réalité, la marque d’une interminable rivalité, très présente tout au long des vingt dernières années. On a affaire à de fortes personnalités, d’humeur incompatible, dans un rapport qui renvoie à la célèbre formule du «je t’aime, moi non plus». Une dimension récurrente qui n’exclut pas, cependant, quelques retrouvailles de circonstance, au gré des nécessités politiques, mais normalement  éphémères, en l’attente, voire l’espoir, de l’accroc suivant.
En 1992, la  candidature, unique, d’Ahmed Ould Daddah, dans la foulée des années de braise du régime d’exception, n’avait été acceptée qu’à contre cœur, par les partisans de l’actuel président de l’Assemblée. Pire, la perception de cette option comme une véritable trahison entraîna, par la suite, une scission au sein de l’Union des Forces Démocratiques (UFD/Ere Nouvelle) et la naissance d’Action pour le Changement (AC).
Avec le deuxième tour de l’historique élection présidentielle de mars 2007, la suite est tout aussi moche. Attendu dans le camp naturel de l’opposition historique, celui du candidat Ahmed Ould Daddah, l’Alliance Populaire Progressiste (APP) de Messaoud Ould Boulkheir réussit le contre-pied parfait, en  jetant son dévolu sur Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, candidat et bientôt victime de militaires encore accros au putsch permanent. Puis, croyant, enfin, prendre sa revanche, Daddah s’embarque, après celle d’août 2005, dans la fièvre du soutien à un nouveau coup d’Etat – pardon d’une rectification – le 6 août 2008, avant de se rendre compte qu’il était, encore une fois, roulé dans la farine, lors des Etats Généraux de la Démocratie dont l’unique objectif était d’organiser le plébiscite d’un homme, qui détenait, déjà, le pouvoir dans toutes manifestations basiques.
Ahmed et Messaoud ou comment diviser l’opposition pour mieux régner…  Les militaires semblent avoir parfaitement bien géré, jusqu’à présent, certaines antinomies, peut-être moins de personnalités, en fait, que de projet de société, antinomie qui plonge ses racines loin dans le passé sociologique de la Mauritanie. Jusqu’à présent, dis-je.  Mais demain? Si l’on ne peut pas tout à fait exclure que les deux leaders prennent, enfin, conscience de ce que sert, en réalité, leur rivalité bidécadaire, une chose est bien certaine : ils sont périssables, l’un et l’autre, et chaque jour que Dieu nous rapproche de cette inéluctable issue.

Amadou Seck

Source: Le Calame
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