Otages espagnols : Ce qui s’est réellement passé

Tout commence le 29 novembre 2009, sur la route Nouadhibou-Nouakchott. Un convoi d’humanitaires espagnols de l’ONG catalane Accio Salidario est pris pour cible par des hommes armés. La dernière voiture, restée à la traine, est visée par l’attaque. Abord se trouvent trois humanitaires :

Alicie Games, Roque Pascual et Albert Vilalta. Ils sont amenés par les hommes armés vers le désert malien où ils sont livrés à la katiba des Mulathamine dirigée par Mokhtar Belmokhtar alias Belawar. Sur la route des ravisseurs, on saura plus tard qu’ils ont pénétré deux heures après avoir pris les otages dans la partie du Sahara sous contrôle du Polisario avant, 34 heures après, de retraverser la Mauritanie dans sa partie nord Bir Mogrein, en passant sous Chegat et en regagnant le Mali. On saura aussi que les auteurs de l’opération ne sont que des intermédiaires agissant pour le compte d’AQMI pour laquelle ils revendent les otages.

Les premières exigences des ravisseurs sont excessives pour les autorités mauritaniennes qui venaient de dénoncer la libération par le Mali d’un groupe de terroriste en échange de la vie de l’otage français Pierre Camatte. AQMI demande la libération de 13 de ses membres emprisonnés en Mauritanie en plus du versement d’une rançon de cinq millions de dollars.

Les négociations commencent immédiatement au lendemain du rapt. L’intermédiaire n’est autre que notre compatriote Moustapha Ould Limam Chafii qui se trouve être conseiller du Président du Faso Blaise Compaoré. Habitué aux conciliabules, Moustapha Chafii n’hésite visiblement pas à se rendre sur place, la dernière fois accompagné du colonel Diendéré Gilbert, chef d’Etat Major particulier du président du Burkina. Jusque-là, ce sont les Maliens qui ont servi d’intermédiaires dans les négociations autour des otages. Ce qui a laissé place à une suspicion s’exprimant de plus en plus sur le rôle du Mali officiel et semi-officiel dans une activité qui devenait de plus en plus lucrative.

Tout au long des neuf mois de captivité des otages, les négociations ne s’arrêteront pas selon leur maître d’ouvrage principal, Moustapha Chafii qui s’est déplacé depuis la première semaine, au moins dix fois dans les camps d’AQMI pour discuter directement avec Belawar. Il obtiendra la libération de la seule femme du groupe, Alicia Gomes au terme des deux premiers mois de captivité. Et dans la foulée, il obtiendra la libération de deux Italiens, kidnappés sur la route de Nioro à la mi-décembre 2009. Sur ces deux libérations, on sait peu de chose. Combien de millions ont été versés ? On n’en sait rien. AQMI prétendra avoir libéré Alicia Gomes après son islamisation.

“Je me suis déplacé pas moins de 10 fois dans les camps de l’Aqmi, c’était difficile et long”, raconte Mustapha dans un entretien accordé au journal espagnol ABC. Je leur ai ramené des médicaments pour l’otage Albert Vialta, qui était atteint de trois balles au pied lors de son enlèvement en Mauritanie”, a-t-il précisé dans l’entretien.

Il a déclaré dans cet entretien que le plus difficile pour lui aura été l’effet du raid mauritanien du 22 juillet dernier. “Nous les (les otages) avons considérés presque pour mort. Nous croyions que c’était une cause perdue”, a-t-il dit. Ajoutant qu’il s’est alors efforcé de convaincre Belmokhtar qu’il fallait “dissocier les cas français et espagnols”. “Je leur ai expliqué que non seulement l’Espagne n’a pas participé à l’opération militaire, mais aussi qu’elle la désapprouvait”. Il a tenu à saluer “l’effort considérable” du gouvernement espagnol et des services de renseignements de ce pays pour leur “sagesse et leur compréhension”. L’occasion de s’attaquer aux français en disant qu’«ils n’ont jamais voulu entendre raison». Il a aussi critiqué le gouvernement mauritanien qui a dressé, selon lui, des obstacles devant la libération des otages. Soulignant «la réticence» des Mauritaniens à libérer Oumar Sahraoui au tout début. Préférant, selon lui, vainement convaincre le gouvernement espagnol que “les enlèvements de AQMI dans la région du Sahel sont planifiés par Moustapha Chafii qui a sa part de la rançon”.

Mais comment Belmokhtar a-t-il fini par se contenter de la libération du seul Oumar Sahraoui qui n’est pas membre de son organisation mais un simple intermédiaire ayant servi de guide dans l’enlèvement ? Quel art de conviction a-t-il permis cette «évolution» ? Et d’ailleurs comment Oumar Sahraoui est-il entré dans le jeu pour permettre de décanter la situation ?

Les services mauritaniens ont enlevé Sid’Ahmed Ould Hamma alias Oumar Sahraoui en plein territoire malien, quelque part au nord-est de Tombouctou. Il s’agit d’un personnage type de la zone sahélo-saharienne. Se définissant lui-même comme «un simple homme d’affaires», Oumar Sahraoui appartient aux ensembles qui se sentent chez eux aussi bien en Mauritanie, dans le nord malien que parmi les Sahraouis des camps. D’ailleurs ses complices jugés en même temps que lui présentent les mêmes caractéristiques. Il a fait du trafic de cigarettes, de voitures et probablement d’autre chose son activité principale à côté de l’élevage qu’il exerce en Mauritanie, lui permettant de couvrir ses activités. Jusque l’affaire des otages espagnols, il n’a jamais été mêlé à une activité pareille. D’ailleurs, il ressort de ses déclarations et des recoupements faits, que son rôle dans l’enlèvement des Espagnols s’est limité à jouer le guide au profit du groupe de Rouiji qui est le véritable responsable du rapt.

La volte-face du Parquet lors de son procès à Nouakchott était révélatrice d’un mic-mac en exécution. Le premier de son réquisitoire le Parquet avait requis l’emprisonnement à vie et les travaux forcés et des peines limitées pour les co-accusés. Au deuxième jour il avait redemandé la parole pour rectifier son réquisitoire et demander une peine de quinze ans contre Oumar Sahraoui et la relaxe pour les autres. Sans faire cas des absents, ni Belmokhtar poursuivi pour la première par la justice mauritanienne malgré le crime de Lemghayti, ni Rouiji chef de la bande ayant enlevé les Espagnols ne seront concernés par le jugement.

On parle beaucoup de conciliabules tribaux dont le théâtre était tantôt Nouakchott tantôt le nord malien. Des délégations tribales – cousins et alliés d’Oumar Sahraoui – auraient été dépêchés à Nouakchott pour voir les plus hautes autorités. En repartant au Mali, elles auraient fait pression sur Belmokhtar dont l’insertion sociale dans les milieux tribaux du nord malien est effective. En parallèle les négociations entre ravisseurs et gouvernement espagnol continuaient par l’intermédiaire du Burkina Faso. Le tout a finalement donné l’heureux dénouement.

Tout le monde finit par y trouver son compte. Au Burkina Faso va l’honneur et le prestige diplomatique d’avoir réussi à «sauver des vies» qui plus est occidentales. A AQMI la rançon et le fait d’avoir fait plier une puissance occidentale. A Oumar Sahraoui et aux siens la victoire qui consiste en sa libération. Au gouvernement espagnol le mérite d’avoir sauvé ses ressortissants. A la Mauritanie enfin, le prestige d’avoir eu entre les mains la pièce maitresse du dénouement de l’affaire, à savoir Oumar Sahraoui.

 

MFO

 

Source : La Tribune N°515 du 30 août 2010 via Taqadoumy



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