Ould Dadde, les dessous d’un limogeage!

Jeudi 26 Août 2010 : «  Il est mis fin aux fonctions » du Commissaire aux Droits de l’Homme, Mohamed Lémine ould Dadde. Le décret est lapidaire. Il est lu à la TVM aux informations du soir.

Et, comme d’habitude dans notre pays, la machine à rumeurs s’emballe.

« L’innovation » n’est pas dans « la nouvelle ». Les mois précédents nous ont fourni d’autres noms de « limogés de la journée », le plus célèbre d’entre eux étant Mr Ousmane KANE alors Ministre des Finances. Le style est toujours le même : un décret sec, sans explication aucune quant aux motifs du « licenciement ». « L’innovation » est dans la formulation qui glisse du « relevé de ses fonctions » à « a été mis fin aux fonctions de … ». Peut être une subtilité des conseillers en communication… Motif supposé –à défaut de toute explication officielle- de la sanction : le rapport de l’Inspection Générale d’Etat (IGE).

Ce rapport justement parlons-en. Selon les informations recueillies par KASSATAYA, il est reproché au Ministre des surfacturations et des dossiers fictifs.

Remontons un peu dans le temps : il y a maintenant quasiment trois mois le Commissaire aux Droits de l’Homme reçoit, comme c’est de coutume, le rapport sanctionnant l’enquête menée par l’Inspection Générale de l’Etat dans son département, le but étant de donner au service inspecté l’occasion de réagir. Le Commissaire aux Comptes mène alors sa propre enquête dont KASSATAYA a lu les conclusions fin juin 2010. Il y est écrit que l’enquête ne révèle ni irrégularité ni détournement mais seulement des erreurs minimes ne pouvant conclure à des manoeuvres frauduleuses.

Que trouve t’on dans le rapport de l’IGE ? N’étant pas parvenu à y accéder KASSATAYA s’est rapproché d’une source proche du dossier qui confie qu’il y est fait mention de paiements indus comme, par exemple, un achat de grillage que le Commissariat aux Droits de l’Homme aurait payé 231UM alors que, selon l’inspecteur, le mètre de grillage ne valait que 230UM.  Un peu plus loin, l’inspecteur aurait épinglé ould Dadde au sujet du prix réel ou supposé de tentes ayant servi à abriter des familles nécessiteuses. Il est reproché au commissaire d’avoir acheté des tentes à 120 000UM alors qu’après enquête le prix d’une tente ne serait que de 20 000UM. Dans sa réponse ould Dadde aurait spécifié qu’il avait fait le choix d’acheter des tentes d’une superficie de 64 m² à 120 000UM et non celles de 20 m² à 20 000. Et ainsi de suite.

Qui ment? Qui dit la vérité?

Entre le moment où l’inspection est lancée et celui où la commission de lecture du rapport se penche sur les deux argumentaires, la nature ayant horreur du vide, les supputations vont bon train. Et quand l’inspecteur chargé du dossier « Commissariat aux Droits de l’Homme » y va par le menu détail, tout s’emballe. Car, dans ce dossier, tout est pesé, soupesé, examiné à la loupe : depuis les tapis du bureau -selon des proches de ould Dadde joints par KASSATAYA-, mesurés au double mètre, les crayons comptés, les verres de thé recomptés (et les questions sur les verres cassés), les dossiers d’attribution de marchés, les facturations, les achats, les dépenses de réception, etc…

Et tout un chacun d’ergoter sans fin sur les motifs de la colère présidentielle. Les journalistes sérieux et les autres (peshmergas et affidés des divers partis politiques) en sont réduits à des « affirmations » ponctuées de très bavardes « sources dignes de foi ».

Comme si la politique n’était plus qu’une question de « sources » bien informées ou pas.

Au crédit des ces « sources » et des rumeurs colportées, il faut reconnaître que le style présidentiel depuis plusieurs mois, à savoir la non explication des disgrâces, permet tous les fantasmes et toutes les supputations. La lutte contre la gabegie étant devenu un programme en lui même, « l’opinion » juge au rythme de « tous pourris, pendons les ».

Ca s’appelle de la politique.

Le condamné du jour s’appelle Mohamed Lémine ould Dadde. Et c’est la fin d’un feuilleton qui dure depuis plusieurs mois. Rien n’a manqué au film : des soupçons, des accusations de détournements de fonds, des accusations de perversions… Un certain site électronique s’en était même fait une spécialité, au nom d’une prétendue croisade de vertu. Le tout saupoudré de chiffres effarants sur des détournements présumés. Tellement effarants que, pour une population traumatisée par 20 ans de tayisme et de vol éhonté des biens publics, la tentation du lynchage public fait l’impasse sur la prudence, la présomption d’innocence, la charge de la preuve…

Le Ministre a t’il volé, détourné, pillé? S’est il enrichi personnellement?

Pas de réponses vu que le rapport de l’IGE n’est toujours pas sorti. Toujours pas sorti mais déjà les fameuses « sources bien informées » ont lancé la rumeur. Les chiffres les plus fous circulent : un trou de 3 milliards d’UM ; une mise en demeure de restituer 271 Millions d’UM adressée à Ould Dadde. Pour faire bonne mesure, le budget du Commissariat aux Droits de l’Homme n’excèderait pas 2 milliards d’UM.

La solitude du supplicié est amplifiée par les circonstances mêmes du lâchage : Ses proches nous apprennent qu’à l’instar des autres « limogés », l’ex commissaire aurait appris la nouvelle en regardant les infos du soir. Sans avoir été contacté par téléphone avant.

La lutte contre la gabegie serait à ce prix-là. Et si le fond est sain, de plus en plus de voix s’interrogent sur la méthode : jeter des noms en pâture, euthanasier sans la moindre explication. Parmi les limogés de la République certains ont probablement des choses à se reprocher. On ne sait toujours pas lesquelles. Et le silence des limogés ne fait qu’accentuer cette sensation que quelque chose ne va pas dans notre Royaume.

Et c’est à ce silence des autorités, à cette omnipotence du premier d’entre nous, à cette main de fer, à cette menace larvée, à ces exécutions publiques symboliques sans jugement préalable que nous voyons le chemin qui nous reste à accomplir. Si le pouvoir ne se conçoit que comme punitif quel pouvoir aurons nous demain?

Mariam Mint Derwich

 

 

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