Investissements agricoles au Brakna : Les saoudiens à la recherche de l’or vert

C’est par voie d’affichage de deux « avis publics » distincts daté du 7 juillet 2010, signé du tout nouveau hakem de la moughataa de Boghé, M Ahmedna Ould Mohamed Lemine, au nom du ministre de l’intérieur et de la décentralisation, que l’Etat a informé le public de sa décision de mettre à la disposition des investisseurs saoudiens de la société « Tabouk Eziraiya » du groupe saoudien « Al-Rajhi », des terrains à usage agricole dans la commune de Boghé et celle de Dar El Barka.

Les faits
L’avis public numéro 001 concernant le terrain à usage agricole dans la commune de Boghé que l’Etat entend céder aux investisseurs saoudiens est délimité au Nord par l’affluent de l’Oued et le village de Elb Jmel, à l’Est par le village de El Goss, au Sud par Elb El Azlat et à l’Ouest par l’ancienne piste Rosso-Boghé et à 4 km de l’actuelle route bitumée. Quant à l’avis public numéro 002 concernant un terrain à usage agricole dans la commune de Dar El Barka, il est scindé en quatre blocs. Le premier bloc d’une superficie de 3200 ha est délimité à l’Est par la route goudronnée menant à Dar El Barka entre le carrefour et le village chef lieu de la commune ; à l’Ouest par les villages de Boubou Diana et Bour Walo ; au Sud par le Walo de Dar El Barka et au Nord par le Koundi. Le second bloc d’une superficie de 1200 ha est délimité à l’est par le Koundi ; à l’Ouest par une dépression ; au Sud par le Koundi encore et au Nord par la route goudronnée Rosso-Boghé. Le troisième bloc d’une superficie de 2600 ha est délimité au Nord par la route goudronnée Rosso-Boghé ; à l’Est par la cuvette de Maï-Maï ; au Sud par le Koundi ; à l’Ouest par le Koundi également. Le quatrième bloc d’une superficie de 3500 ha est délimité au Nord par le Koundi ; à l’Est par la réserve de Leup Phère et le Koundi ; au Sud par des terres de cultures et à l’Ouest par la route goudronnée menant à Dar El Barka entre le carrefour et le village. Un délai de 60 jours est accordé pour permettre aux personnes physiques ou morales qui ont des prétentions sur les dits terrains délimités, d’apporter des documents administratifs pouvant justifier ces prétentions. Par ailleurs, si l’avis public numéro 1 donne les superficies des zones délimitées pour l’arrondissement de Dar El Barka, il n’en est pas de même s’agissant de la commune de Boghé dont on ignore la superficie en jeu.

On cherche à savoir

Les premières réactions ne se sont pas faites attendre. Tant à Dar El Barka que dans la commune de Boghé éleveurs et agriculteurs sont à l’assaut des services administratifs, qui pour fournir des justificatifs sur des prétentions dans les zones délimitées, qui pour se renseigner sur les véritables intentions des pouvoirs publics. Pour sûr avec l’aggravation de la crise alimentaire, un pays comme l’Arabie Saoudite cherche à assurer son approvisionnement alimentaire. Espérant des retombées économiques, un pays très pauvre comme le nôtre, est prêt à accorder des concessions à un investisseur étranger pour des terres qui seraient si nécessaires pour nourrir sa propre population. Cependant des interrogations demeurent quant au flou qui entoure cette affaire. Hormis les avis publics, rien d’autre n’a filtré sur les conditions de concession, si d’avance concession y avait. Dans l’hypothèse où le groupe Al Rajhi a bénéficié d’une licence d’exploitation d’un vaste domaine de plus 50.000 ha, est-ce un bail a été signé entre les deux parties ? Pour combien de temps dure ce bail ? Autrement dit, un accord a-t-il été signé avec le gouvernement de Moulaye Ould Mohamed Laghdaf dans ce sens ? Combien le groupe Al Rajhi a payé pour obtenir ce privilège ? S’ils n’ont rien payé pour cela, quelle est alors la contrepartie concédée à la partie mauritanienne ? Serait-ce qu’elle se contente des opportunités d’emplois que ne manqueront pas de créer l’exploitation des terres ainsi que des investissements réalisés dans les routes, l’irrigation et les infrastructures de stockage des récoltes ? On le sait, plus de 56 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. De plus, où l’investisseur saoudien prévoit-il d’envoyer la récolte brute ? Dans son pays ou ailleurs ? Ces questions s’invitent dans le débat car on ne sait pas si la moindre production va rester en Mauritanie, un pays très pauvre où le Programme Alimentaire Mondial (PAM) fournit une importante aide alimentaire aux populations démunies particulièrement à l’Est et au Centre du pays. Faut-il d’ailleurs rappeler que la Mauritanie n’assure que 30 % de ses besoins alimentaires !
A ces questions sans réponses pour le moment, d’autres aussi sont là qui interpellent les autorités quant aux soucis de nos agriculteurs et éleveurs. En effet, la culture sous pluie est très présente dans ces zones en période d’hivernage. Quelle alternative offre t-on aux agriculteurs si leurs espaces de cultures habituels venait à être engloutis par cet ambitieux projet ? Et les aires de pâturage des animaux, l’environnement aussi quand on sait tous les méfaits des pesticides qui vont être déversés sur d’immenses étendues de terres agricoles ?

Que sait-on de l’investisseur saoudien ?
C’est une famille de quatre frères très fortunés dont l’aîné, Sulaiman Bin Abdul Aziz Al Rajhi –classé par le célèbre magazine Forbes au 37ème rang des fortunes arabes- est assis sur une fortune nette de 11 milliards de dollars. Il a quatre frères, tous hommes d’affaires notamment : Saleh Bin Abdul Aziz Al Rajhi, Abdullah Abdul Aziz Al Rajhi et Mohammed Abdul Aziz Al Rajhi. Sulaiman possède la plus grande part dans le capital de la banque familiale, Al Rajhi Bank, qui opère selon les principes islamiques, c’est-à-dire ne payant pas d’intérêt pour les sommes en dépôt. A noter que Abdullah Al Rajhi, dont la fortune s’élève à 3,8 milliards de dollars, est actionnaire de Al Rajhi Bank, qu’il possède avec ses trois frères. Il possède aussi Al Rajhi Factories qui fabrique divers produits en PVC (polychlorure de vinyle), comme les tuyaux ou les bouteilles d’eau minérale. Entre autres secteurs d’activités, le groupe familial Al-Rajhi est engagé dans l’agriculture, le commerce, la consultation et les technologies de l’information (TI). Le groupe opère dans la presque quasi-totalité des pays arabes.
Sans doute les intentions des autorités mauritaniennes sont louables, mais le silence observé dans le traitement de la question n’aide pas à la compréhension. Surtout que le président de la République fait de la bonne gouvernance économique son cheval de bataille. A moins que cette affaire ne soit inspirée de celle de Madagascar avec la société sud coréenne Daewoo qui devait exploiter 1,3 millions d’hectares de terres cultivables. Il avait obtenu un bail de 99 ans et n’avait rien payé à l’Etat malgache contrairement aux allégations officielles. Le tollé que l’affaire a suscité, a fait échouer le projet de Daewoo. Ce n’est certainement pas une telle expérience qui intéresse le pays. D’où la nécessité de communiquer avec les partis politiques, le parlement et la société civile pour garantir le succès d’une telle entreprise agricole dans notre pays.

Moussa Diop

Source  :  www.quotidien-nouakchott.com le 08/08/2010

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