Le grand oral du Président

C’est un Président combatif que les mauritaniens ont découvert à l’occasion de la première grande intervention télévisée du quinquennat mercredi soir à la Télévision de Mauritanie.

La rencontre se déroulait sous la forme d’un ‘’face à la presse’’, représentée par 7 journalistes dont les correspondantes de Al Jazira et RFI, celui d’Al Arabiya, en plus d’un éditorialiste connu, et de journalistes de la presse écrite. Ce ‘’club de la presse’’ était conduit par notre confrère de Radio Mauritanie Moctar O. Abdallahi.

Celui-ci paraissait à l’image un peu obséquieux, peut-être dépassé par l’importance de l’invité, à qui il adressait sans arrêt des sourires et des hochements de tête sans que celui-ci ait l’air au demeurant de solliciter quoi que ce soit. Qu’importe ! Le Président semblait avoir hâte de se ‘’coltiner’’ les difficultés de ses concitoyens, ce qu’il a d’entrée de jeu fait en soulignant qu’il était venu rendre compte à ceux qui l’avaient placé, par leurs votes, dans la position qu’il occupe, à l’issue d’une année d’exercice de la fonction.

L’émission, qui a couru sur près de trois heures et demi, a permis d’évoquer un certain nombre de questions, malgré la préparation hasardeuse, et les incidents techniques, inévitables, tant la TVM– et la RTM, à un degré moindre- sont peu habituées à un direct de près de quatre heures, avec des duplex de Aioun et Nouadhibou, et des salles accueillant des panels de citoyens prêts à interroger le Chef de l’Etat, en plus des auditeurs qui appelaient au téléphone, exercice qu’affectionne pourtant la RTM, maître d’ouvrage de l’exercice.

Et c’est bien là où le bât blesse ; l’émission était visiblement mal préparée : micros mal réglés , auditrice qui parle de la lutte contre la corruption brutalement interrompue alors que le Président l’écoutait avec intérêt, bref c’est un aperçu en creux de la Mauritanie ancienne auquel a assisté un Président au contraire venu avec des habits neufs, qui n’hésite pas à tailler dans le vif – ‘’la justice ne fonctionne pas, c’est une évidence, certains dossiers traînent 30, 40 ans, ou plus…’’, et à mettre l’opposition devant ses responsabilité – ‘’je suis prêt à discuter avec le chef de l’opposition, avec les partis de l’opposition, où et quand ils veulent’’, tout en élevant le débat – ‘’l’opposition reste elle-même en restant hors du gouvernement’’, ou encore : ‘’les accords signés avant l’élection présidentielle en pays étranger n’ont plus d’objet dès lors que l’avenir institutionnel du pays est assuré’’.

Le Président de la République, à propos du raid conduit en territoire malien contre des éléments ‘’islamistes’’ donnera un exposé très clair sur la question – ‘’ce sont des jeunes perdus’’, ‘’à qui on a promis de combattre pour libérer l’Irak, et qui se retrouvent à enlever des étrangers contre rançon’’.

Le Président, visiblement dans son élément sur cette question, concéde que la Mauritanie, ‘’si elle peut avoir recours à des pays amis pour assurer la sécurité d’un territoire immense », ne laisse  » aucune puissance étrangère établir une présence sur son territoire’’.

Sur une question relative à la déclaration de patrimoine, le Président, moins à l’aise, fournit une réponse alambiquée : ’’si je déclare trois milliards ou plus, personne ne pourra vérifier, et de toute façon l’ancien pouvoir s’était prêté à l’exercice, ce qui n’a pas empêché les détournements’’…

Sur une question de Oumer concernant l’Education, le Président dira : ‘’ce secteur, sinistré, est des plus importants à mes yeux, et j’ai chargé le Premier Ministre de mettre en œuvre une stratégie à discuter lors des futurs ‘’états généraux’’ qui se tiendront sur la question’’.

Quant à la place du français, répondant sur ce point à Laura Martel de RFI, le Président précise que la ‘’constitution est très claire’’, l’arabe étant la langue officielle, et le français ‘’ou l’anglais’’, – ajoute-t-il curieusement,  »peuvent être étudiés à loisir » ; Pourquoi pas l’espagnol ou le portugais ?

Ce sera l’une des rares fois où le Président fera preuve d’une certaine dose de mauvaise foi, balayant d’un revers de main une question qu’il sait empoisonner les rapports entre les communautés depuis plusieurs décennies ; Pourquoi en effet faudrait-il figer ce point dans le marbre d’une Constitution, dont lui-même dira, à plusieurs reprises au cours de l’émission qu’elle est  »susceptible de modification en tant que de besoin » ? Aucun journaliste ne relèvera la contradiction, pas même le très affûté Oumer

Les préoccupations des concitoyens, interrogés par les équipes de la TVM un peu partout, tournaient quant à elles autour des questions de la cherté de la vie, de l’accès à l’emploi, à l’eau, aux services de bases, etc…

Sur tous ces sujets, c’est un Président assez à l’aise pour avoir une vision d’ensembles des grandes questions qui aura essayé de résumer ses vues en hissant le débat vers la position qui est la sienne, mais curieusement, aucun journaliste présent ne rappelle que c’est le Gouvernement, sous la conduite du Premier Ministre qui est chargé de conduire la politique de la Nation, le Président devant en tracer les grandes lignes, et s’occuper davantage de politique étrangères et de sécurité, domaines de réserve.

Quant au reste, tout doit-il remonter au Président, sur chaque point ? Est-ce souhaitable ? Est-ce Possible ? On ne le saura pas ce soir, en tout cas… Au total, c’est un Président alerte, pédagogue, très à l’aise dans un costume présidentiel visiblement taillé à ses mesures qui s’est montré mercredi soir aux mauritaniens.

L’avenir dira si ceux-ci ont été ou non convaincus par le verbe présidentiel, et – c’est l’essentiel- si l’élan qu’’il entend donner à la deuxième année qui commence sera celui d’un second souffle prometteur ou le début des espérances déçues.

Ahmed Baba Ould Hamoud pour cridem

Source  :  cridem le 05/08/2010

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