Défilé du 14 juillet : les armées africaines sont les héritières des tirailleurs, explique Eric Deroo

Eric Deroo, cinéaste et historien, est un infatigable militant de la cause des tirailleurs africains. Il nous livre son analyse et son expérience à l’occasion de la participation de treize armées africaines au Défilé du 14 juillet pour le cinquantenaire des indépendances.

 

Que pensez-vous de la participation des armées africaines à ce défilé ?

L’anniversaire des indépendances, c’est aussi celui de la création des armées nationales, qui jouent un grand rôle dans l’histoire de ces pays. Or, ces armées se revendiquent aujourd’hui très clairement comme les héritières des tirailleurs africains. D’ailleurs, elles vont défiler devant leurs anciens : chacun des treize pays est représenté par deux anciens combattants. Certains ont participé à la seconde guerre mondiale – deux d’entre eux étaient à Bir Hakeim et l’un a été grièvement blessé en débarquant à l’île d’Elbe. Les autres ont servi en Indochine et en Algérie. Les Africains regardent aujourd’hui leur histoire d’une manière apaisée : ils sont très décomplexés. Nous avons à faire à des pays désormais indépendants, qui choissisent leurs partenaires : les Chinois, les Canadiens, les Brésiliens, etc. Avec la France, il y a un « plus » : une histoire et une langue communes.

Mais que viennent-ils célébrer sur les Champs-Elysées?

Le président du Congo Sassou N’Guesso a donné la bonne réponse : une fraternité d’armes. Les Africains ont participé à nos côtés aux deux guerres mondiales et cette participation a aidé à la prise du conscience du fait colonial.

Certains y voient une exaltation de ce fait colonial…

Ce fait colonial est d’une complexité extrême. Il était basé sur un rapport inégalitaire, mais dans le même temps, il a joué un rôle de « passeur de modernité » en Afrique. J’ai en mémoire le récit d’un ancien tirailleur qui avait été le premier à rapporter une radio dans son village. Et donc à ouvrir les esprits à d’autres horizons. Remettons nous dans le contexte de l’époque, celui d’une République qui voulait apporter le progrès.

Vous êtes très actif sur le continent africain. Quel est votre rôle ?

Depuis plusieurs années, j’ai entrepris, avec le lieutenant-colonel Champeaux, ancien conservateur du musée des Troupes de marine, d’aider ces pays à se doter de musées militaires ou plus modestement de centres de documentation. Nous avons le soutien d’associations du monde combattant et du ministère de la défense, en particulier la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) et l’ECPAD. Nous leur donnons des documents, des photos, des films, des souvenirs, des objets historiques. J’ai fait rebroder les fanions des unités de tirailleurs.

Les responsables africains veulent inscrire la mémoire des tirailleurs dans une plus longue histoire militaire, qui commence avant la colonisation et se poursuit aujourd’hui avec les interventions de maintien de la paix. Nous l’avons déja fait au Sénégal, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad et Madagscar. Et les rendez-vous sont pris au Congo, Bénin, Togo, Centrafrique, Gabon et Cameroun.

Il est essentiel que les Africains puissent dire, comme nous le faisons nous: j’avais un arrière-grand père à Verdun et voilà sa photo. L’Afrique n’est pas en dehors de l’histoire, des archives. Elle n’est pas, comme on le dit trop, cantonnée à l’oralité. Des sites internet, en particulier grâce à RFI ou à Mémoires des hommes permettent aux Africains de se réapproprier leur passé.

Par ailleurs, nous avons publié aux Editions du Seuil un manuel d’histoire sur les Tirailleurs, co-écrit par des Français et des Africains et qui raconte, pour les scolaires, cette histoire commune.

Source  :  http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/  le 13/07/2010

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