Mauritanie : à la frontière du Maroc et du cafard

Je ne comprends plus rien. Trois espagnols ont été enlevés près de la frontière entre la Maroc et la Mauritanie. C’est une zone dangereuse. Et moi, on dirait que l’on veut m’empêcher de la quitter. Alors que les Mauritaniens devraient être contents de nous voir repartir vers le Nord, sains et saufs.

C’est à ni rien comprendre. Mais il ne faut pas céder à la paranoïa. En fait, si nous sommes bloqués à la frontière, c’est tout simplement parce que l’enlèvement des trois espagnols a créé le chaos. Ils ont été enlevés sur la route qui relie Nouakchott à Nouhadibou, celle qui est sensée être la plus sûre du pays. Ou plutôt la moins dangereuse. Tout le monde m’avait dit « Là, rien ne peut t’arriver. Al Qaïda sévit dans l’est du pays. Mais ils n’oseront jamais s’aventurer sur cet axe. Il y a des militaires partout. » Et c’est vrai qu’il y a des hommes en kaki partout. Des barrages à tout bout de champ. Et autour de la route il n’y a rien.

D’un côté l’océan atlantique. Et de l’autre le désert et ses dunes. Comment les ravisseurs ont-ils pu disparaître sans laisser de traces. Etonnant non ?

Je suis debout devant le poste de douane mauritanien. Le dernier avant le  « no man’s land » qui mène au Maroc… En plein soleil. Un Mauritanien m’annonce qu’il faut faire preuve de patience. De beaucoup de patience. « Les douaniers ont l’intention d’examiner mon passeport pendant plusieurs heures » m’annonce-t-il. Je commence à me dire que je ne vais jamais réussir à quitter ce pays.

Pendant que j’attends, un homme d’affaires mauritanien me demande « si je sais qui a enlevé les Espagnols ? » Tout le monde pense que c’est Al Qaïda, mais comme je n’ai aucune certitude, je préfère m’abstenir de tout commentaire.

Il me dit : « Eh bien, ce sont les Américains. Car Al Qaïda travaille pour les Américains. Les Américains utilisent Al Qaïda pour justifier leur intervention militaire en Afrique de l’ouest. Et pour mettre la main sur la région. » Comme je n’ai pas l’air très convaincu, il insiste : « N’oubliez pas qu’il n’y avait pas de juifs dans les Twin towers au moment du 11 septembre 2001. Cela prouve bien qu’Al Qaïda travaille pour les Américains…D’ailleurs, ajoute-t-il, un musulman ne peut pas tuer. C’est interdit par notre religion. Même les chrétiens n’ont pas le droit de les tuer sans raison ». Bonne nouvelle…Je suis très fatigué. Et il fait très chaud.

Voyant que je commence à perdre patience, un Mauritanien me propose d’aller attendre dans un bureau. Une porte s’ouvre. Il m’invite à attendre dans la chambre …d’un policier mauritanien. Elle jouxte le bureau où les passeports sont examinés. J’imagine que j’aurai plus ma place là-bas. Mais je n’essaie plus de comprendre.

Je fais une tentative pour rentrer dans le bureau, mais l’un des policiers me demande : « Qu’est ce que vous faites là ? » D’un ton poli, mais sans appel. Personne ne trouve anormal que je sois dans la chambre d’un policier. Mais dans le bureau des douanes cela pose problème. Ok parfait.

Je retourne dans la chambre. J’essaie de voir le bon côté des choses. Je peux me livrer à une analyse « sociologique » sur la police mauritanienne. Dans la chambre, je note la présence d’une vareuse, de tongs, d’une télévision et d’un matelas, posés à même le sol. C’est à peu près tout.

Que faut-il en déduire ? Que les policiers ont des goûts spartiates ou qu’ils sont mal payés. Je penche pour la seconde hypothèse. Mais comme je n’ai plus rien à observer et que mon dossier n’avance guère, voire pas du tout, je n’ai plus qu’un sujet d’étude. Un cafard qui se retrouve sur le dos. Et n’arrive pas à se remettre sur pattes. Ah ! La dure condition du cafard qui vit dans un poste de douane.

Je m’aventure dans la cuisine. J’y trouve un gros poussin ou un jeune poulet. Je ne sais trop. Il profite de mon incursion dans la cuisine pour s’échapper. Il fonce en direction de la chambre du policier. Et avale d’un seul coup, d’un seul, le cafard. L’espace d’un instant, je me sens un peu coupable. N’ai-je provoqué le trépas éclair de la blatte ? En même temps, comme dirait Thierry Henry « c’était sans doute la main de Dieu ». A bien y réfléchir, si Al Qaïda n’avait pas enlevé les Espagnols, je ne me serais pas retrouvé bloqué dans la chambre des flics. Le poussin ne serait jamais sorti. Et le cafard aurait eu la vie sauve.

Encore un coup des Américains.

 

Pierre Cherruau

 

Source  :  http://dakarparis.blog.lemonde.fr/  le 29/05/2010

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