Le cadre :
Yacine mint Jaavar, une mineure hartania[i], âgée de 14 ans et née à M’bout, département du Sud de la Mauritanie, a échappé, de justesse, sur la plage, de Nouakchott, au plan meurtrier de sa patronne Madame Fatou Mint Ahmed.
Le mari de la susdite, alors en voyage, devrait rentrer, à son domicile de la capitale, durant la soirée du mardi 11 mai 2010. Or, ce jour, à 17 heures, Fatou isola la petite Yacine dans l’une des chambres de sa luxueuse villa sise au quartier chic de Nouakchott, Tevragh Zeina.
Elle fait savoir, à sa domestique mineure, l’arrivée de son mari, de l’intérieur du pays au cours de la soirée ; en conséquence, la maitresse a besoin de sa jeune domestique pour témoigner en sa faveur contre ce que pourrait dire sa belle fille, Lemina ; cette dernière habite sous le même toit mais menace sa marâtre de rendre compte, au père et mari, de la vie que mène son épouse à son insu et absence.
La mineure répond qu’elle ne mentira pas ; Mme Fatou Mint Ahmed revient à la charge et argue son statut de « patronne » en charge du salaire mensuel de 20.000 Ouiguiyas soit (58 Euros), toutes qualités, selon elle, qui méritent la contrepartie d’un faux témoignage, en sa faveur sans oublier d’accabler sa belle-fille et rivale, la demoiselle Lemina. Yacine refuse catégoriquement la proposition de Fatou et lui demande de la tenir à l’écart de ces querelles de famille.
Furieuse de la désobéissance, Mme Fatou Mint Ahmed ordonne à la petite domestique de préparer ses effets car elle est licenciée et doit se tenir prête à rejoindre sa tente et tutrice, au quartier populaire Arafat, dans la banlieue de Nouakchott.
En cours de route, la petite Yacine remarque, curieusement, que Mint Ahmed est en train de la conduire vers la destination opposée au lieu où se trouve sa tente; elle le lui fait remarquer. Mme Fatou répond alors : « Je t’emmène au bord de la mer pour te tuer en punition à ton ingratitude et je dirai à tes parents que tu as décidé de partir de ton propre gré avec le salaire de ta paie; c’est pourquoi je vais jeter tes effets et ton argent à coté de ton cadavre pour dégager toute responsabilité. »
Déclenchement
La fillette prend peur; elle voit un cortège de voitures militaires en direction de la ville; elle ouvre la portière et saute du véhicule pensant que les soldats vont apercevoir son geste et s’arrêter pour s’enquérir. Le convoi continue, peut être n’ayant pas remarqué l’acte de détresse de la fillette, mais deux passants qui effectuaient leur sport de course accourent, immédiatement, au chevet de la petite. Fatou Mint Ahmed fait demi-tour, au volant de sa voiture que les deux hommes n’avaient aucune difficulté à pouvoir identifier. Elle demande aux deux témoins de lui faire monter sa domestique dans le véhicule pour la conduire à l’hôpital; Yacine, blessée à la joue et au coude droit, refuse énergiquement de monter ; elle déclare que sa patronne à l’intention de l’assassiner d’où son saut périlleux.
Les deux hommes, convaincus par les allégations de Yacine, refusent, à leur tour, de céder la fillette à Mint Ahmed qui leur a paru très confuse dans ses propos. Ils s’occupèrent de Yacine qui les guidait jusqu’à chez sa tente. Celle-ci l’emmène toute de suite à la police, brigade des mineurs et porte plainte, pour tentative de meurtre.
Policiers et juges
Informé par ses auxiliaires, le procureur de la république près du tribunal de Nouakchott, Ly Mamadou Ciré, refuse, à l’inspectrice de police Aichetou Mint Ethmane, d’arrêter ou même d’interroger Fatou Mint Ahmed.
Désemparés et impuissants face à tant d’injustice, les proches de Yacine prennent attache avec le président de IRA-Mauritanie Biram Dah ABEID qui arrive à la brigade des mineurs le mercredi 12 mai 2010 à 20 heures. Dès l’irruption d’ABEID dans le bâtiment, le sous-officier de police Khalifa Ould El Gharachi chargé de la police judiciaire, entre dans une colère noire et demande, au président de IRA-Mauritanie, de quitter le commissariat. ABEID dit accepter mais à condition d’emmener avec lui la petite Yacine à ce moment-là gardée à vue; bien que victime et plaignante, elle est retenue en prison suivant l’usage chez la police et la gendarmerie quand elles soumettent les justiciables hratin et négro-africains, aux pressions et intimidations pour les amener à retirer leurs plaintes. Or, ici, la présumée coupable, comme presque dans tous les cas d’espèce, n’a même pas été interrogée.
Après plusieurs séries de discussion, au téléphone avec le procureur de la république, l’inspectrice Aichetou Mint Ethmane obtient, de ce dernier, l’autorisation d’interroger la présumée responsable de la tentative de meurtre, aux alentours de 23 heures. Mais, en parallèle, le brigadier chef Khalifa Ould Gharachi, lui, n’a pas besoin d’ordre pour priver, de sa liberté, la plaignante et victime.
L’interrogatoire de la fillette plaignante et de sa patronne s’est déroulé, devant les présidents des ongs IRA-Mauritanie (Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste en Mauritanie) et AFCF (Association des Femmes Chefs de Familles) et en présence des assistants sociaux accrédités par leurs associations aux brigades des mineurs à Nouakchott. Les auditions sont conduites par l’inspectrice Mint Ethmane et le Brigadier Ould Gharachi. L’avocat de la victime, maitre Ahmed Bezeid est aussi présent.
Yacine Mint Jaafar maintient sa plainte et sa version des faits; la patronne Fatou mint Ahmed, nie avoir projeté d’assassiner la fillette et prétend que cette dernière voulait tenter de fuir pour vivre à Nouadhibou, une ville au nord-ouest de la Mauritanie ; ainsi, a-t-elle voulu accabler sa maitresse parce qu’elle l’empêchait de mener cette aventure à l’insu de sa tente.
Après les auditions, le ministère public ordonne, à la police, de relâcher Mint Ahmed et rendez-vous est donné, à tout le monde, le lendemain devant le parquet du tribunal de Nouakchott.
La connivence tribale
Le lendemain, jeudi 13 mai, les services d’ordre du palais de justice de Nouakchott prennent le soin de filtrer les entrées ; ils empêchent, soigneusement, les militants de IRA-Mauritanie qui accompagnaient et assistaient la victime et sa tente, de pénétrer dans l’enceinte du bâtiment. En revanche, Mint Ahmed vint accompagnée de dignitaires de sa tribu ainsi que des notables et hauts fonctionnaires de l’État mauritaniens, tous du clan tribal des Chorfa de Mbout, propriétaires de la famille de Yacine Mint Jaafar; le chef de ce groupe est Malaïnine Ould Chrif, cadre au ministère de l’hydraulique ; il prétend, fort de son statut d’ancien maitre, parler au nom de toute la famille de la victime. Reconnaissant le rang social et la stature ces hommes, venus en groupe et dans des véhicules de l’État, les services d’ordre du palais de justice ouvrent promptement les portes du Palais. Avant de s’engouffrer à l’intérieur, le chef tribal et cadre supérieur, s’adresse aux militants des droits humains qui tiennent station debout devant le tribunal pour soutenir la victime et protester contre l’obstruction et la discrimination dont font l’objet leur tentatives d’entrer ; Ould Chrif leur objecte: «vous n’avez rien à voir avec cette fillette qui est de notre tribu; notre tribu a un pacte ancestral avec la tribu Ideycheli (dont est issu de Fatou Mint Ahmed) et ce pacte nous interdit de porter plainte les uns contre les autres; vous faites de ce genre de problème votre fonds de commerce mais nous ne vous laisseront pas gagner quoi que ce soit avec l’affaire de cette petite; nous allons retirer la plainte au nom de la tribu et régler le problème à l’amiable. » !!!
Après des conciliabules avec les membres des deux délégations tribales, le procureur de république décide de renvoyer tout le monde, sans prendre aucun acte, en attendant un arrangement que les deux entités tribales doivent concocter en dehors du cadre compétent des tribunaux ; la justice ratifiera l’entente, comme c’est la coutume.
Le vendredi matin, le substitut du procureur de la république près du tribunal de Nouakchott, Moustafa Ould Said, signe un communiqué de presse au nom du ministère public ou il accuse le président de IRA-Mauritanie, Biram Dah ABEID, d’être un menteur professionnel, un marchand de prétendus cas de violations des droits humains; selon ses termes, l’affaire de Yacine Mint Jaafar n’a rien avoir avec la tentative de meurtre que Biram Dah ABEID veut lui imprimer ; il s’est avéré, poursuit-i-il, au niveau du Parquet qu’entre elle et sa patronne, il s’agit tout simplement d’un différend de salaires impayés.
Dimanche 16 mai, la voiture de Malaïnine arrive devant le commissariat de police des mineurs avec, à son bord, des envoyés du chef tribal et un homme du nom de Bouh Ould Mbagh, frère du père de Yacine, donc seul tuteur légitime de la fillette en l’absence de ses géniteurs; la police et le Parquet dessaisissent immédiatement la tante Halima Mint Sid Ahmed (45 ans) et la sœur de Yacine (18 ans ) au motif qu’elles sont mineures car femmes, selon la version en vigueur dans les tribunaux de Mauritanie, du code musulman malékite.
Les seigneurs tribaux arabo-berbères, c’est à dire les parents de Fatou Mint Ahmed et les anciens maitres des parents de la fillette, se réunirent à partir de 12 heures dans la maison de Melaïnine et décident que le hartani ou ancien esclave Bouh Oul Mbagh, oncle de la fillette, retire toute plainte en place et lieux de Yacine et au nom de la solidarité entre la tribu de ses anciens maitres, les Chorfa, et celle de Fatou mint Ahmed, les Ideycheli.
La tante de la fillette et sa tutrice effective, Halima mint Sid’Ahmed affirme son intention de s’adresser à l’ong IRA-Mauritanie pour les assister, davantage, dans la recherche du droit de sa nièce en tant que victime et partie civile dans cette affaire, un aspect dont le pacte tribal n’a pas daigné s’occuper. L’assemblée tribale lui demande alors de surseoir à tout recours au tribunaux et ongs en contrepartie d’un montant de 100 mille ouguiya ( trois cent euros à peu près) ; Halima rejette la proposition et les notables engagent, avec elle, des négociations qui aboutirent, trente minutes après, à un accord par lequel Halima, au nom de la fillette, reçoit 300 mille ouguiya ( huit cent euros) en contrepartie de son éloignement ponctuel des défenseurs des droits de l’Homme, le retrait de la plainte étant du seul ressort de l’ascendance masculine de lignée paternelle de la fillette.
L’épilogue prévisible
Dès lors, le ministère public prononce le non-lieu à Fatou Mint Ahmed, malgré les preuves graves et concordantes de pratiques avérées de travail et de domesticité sur mineure et tortures psychologiques sur un enfant, ayant entrainé des blessures et danger de mort.
IRA-Mauritanie attire l’attention de l’opinion sur la récurrence de ces arrangements tribaux qui étouffent la vérité, dénaturent les faits, lèsent les victimes les plus humbles, font obstruction à la marche de la justice et transfèrent les compétences des tribunaux aux institutions féodales, en dehors des prétoires. Ici, il importe de noter, avec insistance, la complicité des autorités judiciaires et sécuritaires, à tous les échelons des enquêtes, avec et en faveur de certaines catégories de mauritaniens, toujours au-dessus de la loi, au nom de critères de race et ou de naissance.
En l’occurrence, nous constations la non observance, par la Mauritanie, le droit sur la protection pénale de l’enfance laquelle accorde la faculté, aux organisations de droits humains, d’ester en justice dans l’intérêt des mineurs, possibilité contrainte en l’espèce, par une entente occulte, une connivence en travers de la loi, connue et permise par le sommet de l’Etat.
Il est évidemment qu’un équilibre politique et social, autant fauteur de frustration populaire et de violence, ne doit pas survivre à la revendication légitime de réparation et d’égalité.
Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA) en Mauritanie
Nouakchott, le 19 mai 2010
[i] Féminin singulier de Hratin, nom générique des populations d’esclaves et esclaves affranchis en Mauritanie.