Esclavage en Mauritanie

Interview avec Florent Geel, responsable-adjoint du bureau Afrique de la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme. 

D’où vient cette tradition d’esclavage en Mauritanie ?
Ce n’est pas une tradition mais bien la conséquence de l’histoire et notamment de l’histoire de la traite des esclaves d’Afrique. Si la traite transatlantique a été d’une ampleur et d’une brutalité rarement égalée, celle qui était destinée au Proche et Moyen-Orient a été plus tardive mais a duré plus longtemps. Les peuples d’origine arabo-berbère ont capturé des hommes, des femmes et des enfants issus des sociétés négro-africaines comme les peuls et les soninkés et en ont fait des esclaves. Lorsque la France a tardivement mis en place une autre forme de colonisation en Afrique occidentale, elle a tenté d’endiguer le fléau auquel elle avait elle même contribué par un décret colonial en 1905 abolissant l’esclavage. Puis en 1960, l’esclavage est proscrit par la 1ère constitution d’indépendance du pays. Le phénomène persistant et suite à une mobilisation, les autorités ont de nouveau pris une ordonnance d’abolition en novembre 1981. Enfin en 2003, une Loi a été publiée contre la traite des personnes, contre le trafic d’organes dans laquelle le mot d’esclavage n’apparaît pas. A chaque fois, il n’y a eu ni procédure, ni décret d’application, ni condamnation. L’esclavage est toujours une réalité cruelle en Mauritanie pour plusieurs centaines de milliers de personnes que l’on appelle les Haratines (esclaves et anciens esclaves).

Avec l’arrivée au pouvoir du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi en 2007, n’y a-t-il pas eu une ouverture ?
Le pays a vécu une période noire pendant les années 1990 pendant laquelle certains membres des populations négro-mauritaniennes ont été torturés, notamment dans l’armée et ont été forcées d’émigrer vers le Mali, le Sénégal que l’on appelle « le passif humanitaire »… Le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi a été le premier président civil depuis plus de trente ans et a été élu dans un processus démocratique. Il a tenté de régler le passif humanitaire et de panser les plaies du passé afin de remettre de l’unité entre les Mauritaniens. Il avait même constitué une commission vérité et réconciliation. Mais il a été destitué en août 2008 par un coup d’Etat. C’est un retour en arrière significatif en matière des droits de l’Homme pour la Mauritanie. La lutte contre l’esclavage en ressort évidemment affaiblie.

Le combat en faveur des droits de l’homme est-il difficile à mener dans un tel pays ?
Oui, nous travaillons avec des associations sur place, comme l’association SOS-Esclave Mauritanie et l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme dont la présidente Fatimata M’Baye est également vice-présidente de la FIDH. Les défenseurs des droits de l’Homme sont régulièrement inquiétés en Mauritanie. Par exemple, la FIDH soutient Biram Ould Dah Ould Abeid qui lutte au sein de SOS Esclave, association qui milite sans relâche en faveur de l’abolition de l’esclavage et qui agit tous les jours en libérant des esclaves. Une des difficultés reste que le pouvoir est essentiellement détenu par les descendants des maîtres qui poursuivent ces pratiques esclavagistes. La lutte contre l’esclavage et le combat en faveur des droits de l’homme en Mauritanie passera forcément par un changement profond de la société et en particulier de la gouvernance démocratique. Peut-être que celui de 2007 a été trop démocratiquement brutal…en tout cas pour l’armée.

Propos recueillis.

 

Source: La Réforme via Al-Moultaqa

Quitter la version mobile