Journée internationale de la liberté de la presse : Notre presse est au fond de l’abîme.

L’occasion fait le larron. La célébration de la journée internationale de la liberté de la presse ce lundi 3 mai 2010, nous donne l’opportunité de faire encore une fois un état des lieux
La liberté de la presse en Mauritanie est consacrée dans la constitution de juillet 1991.

 

 

Pour rappel, l’émergence de la presse privée est intervenue à la suite des graves violations des droits de l’Homme commises à l’endroit de militaires appartenant à la communauté négro-africaine (entre 1990 et 1991) et après les vives tensions qui opposaient différentes composantes du pays consécutives à la déportation de dizaines de milliers de Mauritaniens au Sénégal et au Mali.

Ainsi donc avec cette libéralisation, une nouvelle ère s’était ouverte dans un contexte né du discours de la Baule de feu François Mitterrand militant pour une démocratisation de l’Afrique. Par négligence ou par calcul cynique, les autorités distribuaient à la pelle, des récépissés. Ce qui a permis l’éclosion et le développement de titres à une vitesse fulgurante. Conséquence, professionnels de l’information, enseignants, hommes d’affaires, commerçants, diplômés à la recherche d’un emploi, agents infiltrés des services de renseignement, investissent le secteur. C’est à cette époque que des journaux comme Mauritanie Demain, Le Temps, l’Eveil Hebdo, l’Indépendant, Mauritanie Nouvelles, l’Unité, El Bayane et bien d’autres voyaient le jour. Le ton était libre et les critiques acerbes contre le Gouvernement et les turpitudes du régime d’acier de Taya.

La carotte et le bâton
Cependant, malgré cette liberté relative de ton, beaucoup de titres vont mettre la clé sous le paillasson faute de publicité restée embryonnaire et en l’absence d’une aide conséquente de l’Etat. Plus grave encore, censures, interdictions, intimidations et menaces étaient le lot quotidien des journaux qui se voulaient indépendants du pouvoir (Mauritanie Nouvelles, Le Calame, etc.).
Seuls les journaux ayant une bonne assise financière ou la bienveillance des autorités se maintenaient. Dans le même temps des éditions très favorables au régime de Taya voyaient le jour : La Vérité, Le Point, Nouakchott Info, Le Citoyen et de nombreux titres arabophones. Les récépissés continuaient d’être octroyés et un nouveau type de journalistes apparaissait : les « peshmergas » (allusion aux rebelles kurdes irakiens). Ces détenteurs de titres avaient une singulière manière de se faire des entrées financières : racket, chantage, intimidation, « griotisme » etc., à défaut de sortir des éditions, si celles-ci n’étaient pas à la gloire de certaines personnalités ayant consenti à mettre la main à la poche. Face à une impitoyable répression et aux mirobolants avantages que le pouvoir concédait à « sa presse », la presse privée en général se ramollissait après l’élection présidentielle de 1997. Bien que dénonçant la mauvaise gouvernance, généralisée durant le règne de Ould Taya, la presse privée voyait mal que certains avantages qui lui étaient anormalement accordés, lui soient retirés (abonnements de soutien faramineux de grandes institutions de l’Etat, contrats mirobolants accordés à certains journaux, distribution d’argent liquide ou de tickets de carburant etc.).

Réforme de la loi sur la presse
Compte tenu de la situation déplorable dans laquelle elle se morfond, le secteur de la presse privée demandait un sérieux lifting. Et c’est le pouvoir de transition du CMJD, après avoir créé la HAPA (Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel), instance chargée de réguler la presse, mettait en place une commission en charge de la réforme de la presse. Une nouvelle ordonnance régissant la presse voyait le jour. Ainsi le régime d’autorisation laissait place au régime de déclaration. Plus de tracasseries du Ministère de l’Intérieur et ses censures. Mieux, les journaux avaient désormais pour seul interlocuteur le Procureur. L’arrivée au pouvoir de Sidi Ould Cheikh Abdellahi, permettra à la HAPA et au ministère de culture ainsi que celui de la Communication de prendre la décision de mener une vaste enquête sur la situation de la presse. Signalons que la cellule de communication de la Présidence ne supportait plus la présence de la presse dite « peshmerga » qui, selon elle, contribuait à ternir l’image de la profession et celle du pays en général. En vérité, la mort de ces journaux était souhaitée, voire programmée. A l’issue de cette enquête le Ministère retenait 35 journaux paraissant régulièrement (sur quelques 200 journaux parus en 2007) et pour certains organisés sous forme d’entreprise de presse (local, des employés à charge, des contrats de travail, une écriture comptable etc.). Une vive contestation ébranlait la HAPA, le Ministère de la Communication et même la Primature après la publication de cette liste. Une situation qui souleva une vive polémique au sein d’une presse plus que jamais divisée en entités qui ne partagent rien en commun. S’il est vrai que la presse libre a souffert de l’absence de moyens et de l’interventionnisme de l’Etat, elle a également pêché par manque de professionnalisme. En effet, très peu de journalistes animent les rédactions des journaux mauritaniens. Ce sont souvent des instituteurs, des professeurs, des étudiants, des chercheurs et autres diplômés en quête d’emploi qui peuplent ces rédactions. Dérapages et excès de langage n’ont pas manqué, surtout dans la presse arabophone mais inversement aussi dans quelques quotidiens et hebdomadaires de la presse francophone.
Dès lors, l’espoir était permis. Mais chassé, le naturel est revenu au galop tant et si bien aujourd’hui plus qu’hier, la presse indépendante est au fond de l’abîme.
Moussa Diop

Entretien avec Ahmed Ould Cheikh, Directeur de l’hebdomadaire Le Calame et président du Rassemblement de la Presse Mauritanienne (RPM)

Dans cet entretien, Ahmed Ould Cheikh, parle de cette journée internationale mais évoque aussi d’autres questions touchant la presse indépendante mauritanienne.

Quotidien de Nouakchott : A l’instar de la communauté internationale, nous célébrons ce lundi 3 mai, la journée internationale de la liberté de la presse. Que vous inspire t-elle ?

Ahmed Ould Cheikh : On peut dire que cette journée est célébrée cette année comme pour les années précédentes, malheureusement dans un contexte extrêmement difficile pour la presse et particulièrement la presse indépendante. On remarque depuis quelques années, malgré toutes nos doléances, nos appels répétés à l’Etat, aux pouvoirs publics pour la venir en aide, tout cela est resté jusqu’à présent vains. Donc la situation de la presse ne peut connaître un autre sort que d’empirer de plus en plus. Chaque année comme les précédentes apporte sont lot d’obstacle à son émancipation. Et ce, comme je l’ai dit tantôt, malgré nos appels répétés et aussi notre désir sincère de collaborer avec les pouvoirs publics pour venir à bout de ces difficultés.

Où est en ait aujourd’hui l’aide à la presse ?

Ahmed Ould Cheikh : Elle est encore à ses premiers pas. Nous avons été convoqués il y a quelques mois par le ministère de la communication, à l’effet de plancher sur un projet de loi sur l’aide publique à la presse. Ce qui a été fait. Il a été transmis au gouvernement pour être déposé aux deux chambres du parlement. Pour l’heure il est encore au niveau du gouvernement. Promesse a été faite qu’il sera soumis à la prochaine assemblée parlementaire pour être approuvé.

L’impression des journaux pose problème en ce sens que le papier journal est de très mauvaise qualité. La conséquence en est que les lecteurs ont du mal à lire les articles, les illustrations sont illisibles et plus grave encore, les annonceurs rechignent de plus en plus à utiliser les espaces des journaux pour passer quoi que ce soit. Avez-vous traité ce problème avec l’imprimerie nationale ?

Ahmed Ould Cheikh : Il n’y pas seulement que le problème de l’imprimerie. Beaucoup d’autres difficultés jalonnent le parcours de la presse indépendante.
Parmi les principaux problèmes on peut évoquer le problème des abonnements, de l’aide publique à la presse, la publicité, la distribution, et pour couronner tout ceci, voilà que l’imprimerie se rabat sur nous en nous imprimant sur du papier journal de très mauvaise qualité, sous prétexte qu’elle ne reçoit pas de subvention de l’Etat pour pouvoir faire face à ses charges, et qu’elle est obligée d’acheter dès lors, du papier de mauvaise qualité. Mais en ce qui nous concerne, la presse n’a absolument rien à voir dans cette affaire là. Pour tout vous dire, nous avons mis en garde le directeur de l’imprimerie nationale contre cette situation déplorable mais il s’entête à vouloir continuer de nous imprimer sur du papier de très mauvaise qualité à notre grand détriment et au grand dame de nos annonceurs. Vous savez, la presse ne vit que grâce aux annonces publicitaires, et si ces annonces ne sortent pas dans des conditions acceptables, cette source va se tarir et donc la presse va être obligée de mettre la clé sous la porte.

Le président de la République avait annoncé récemment la libéralisation de l’audiovisuelle. Qu’en savez-vous?

Ahmed Ould Cheikh : Il y a promesse et promesse. Vous savez, il y a longtemps que ce projet de loi existe. Elle a été cogitée par les professionnels du secteur. Le président a promis qu’il sera adopté à la prochaine session de l’assemblée mais pour l’instant le projet est bloqué au niveau du sérail. Donc pour le moment on attend.

Quel appel lancez-vous aux autorités à l’occasion de cette journée internationale de la liberté de la presse ?

Ahmed Ould Cheikh : L’appel qu’on a toujours lancé, celui de la concertation, de la collaboration pour que les pouvoirs publics et les professionnels du secteur de la presse viennent à bout de toutes les difficultés qui entravent malheureusement encore, la progression de cette presse et l’empêche véritablement de jouer son rôle de pilier de cette démocratie.

Propos recueillis par Moussa Diop

 

Source  :  www.quotidien-nouakchott.com  le 04/05/2010

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