La table-ronde de Bruxelles n’aura pas lieu

Le Premier ministre en a fait un cheval de bataille. Un comité interministériel a été mis sur pied pour la préparer. Elle a été fixée d’abord en février, puis reculée pour mars, avril, mai et maintenant juin… et si la table-ronde de Bruxelles n’avait pas lieu ?

 

 

 

Au début était «une idée espagnole». L’Espagne accédait à la présidence tournante de l’Union Européenne le 1er janvier 2010. Premier alliée du nouveau pouvoir en Mauritanie, elle manifestait sa volonté de lui apporter le soutien nécessaire pour relancer les promesses du Groupe Consultatif de décembre 2007, lesquelles avaient atteint le niveau record pour des engagements de plus de trois milliards dollars. Le terrorisme, l’instabilité politique et la crise internationale étaient passés par là. Remettant en cause les résultats de Paris et, chose plus grave, la fiabilité du pays.

Après le 18 juillet et l’élection bénie par la communauté internationale, l’objectif premier devait être de renverser la tendance. Signe favorable : l’Espagne préside l’UE pour les six mois à venir. Elle propose une relance des partenaires à travers une réunion à Madrid. L’idée est très bonne. Mais elle est tout de suite «détournée» : ce sera à Bruxelles et non à Madrid. Premier couac.

Pour réunir les partenaires à Bruxelles, il faut avoir la bénédiction de… Bruxelles. Même si les instances de l’UE avaient, après l’élection présidentielle, décidé de reprendre sa coopération avec la Mauritanie, un processus de normalisation de ces relations devait être engagé d’un commun accord. Point essentiel de ce processus : les engagements consignés du nouveau pouvoir vis-à-vis de l’UE et sur des questions allant de la consolidation de la démocratie par le dialogue entre les acteurs, la libéralisation du système d’information… à l’assainissement de la gestion par l’introduction d’outils performants en matière de transparence. Avec un échéancier clair et précis. Le passage de l’article 96 de la convention de Cotonou, article qui gérait la période de crise et de désengagement sur le terrain, à l’article 8 qui gère lui la phase de normalisation et de retour, ce passage nécessite des discussions soutenues entre les instances de l’UE et le pays concerné.

Dans le cas de la Mauritanie, cela devait se traduire, immédiatement après la prise de fonction par le gouvernement de Ould Mohamed Laghdhaf (version III), par la formalisation des engagements communs. C’est seulement au début du mois d’avril que le gouvernement a signifié à la partie européenne sa disponibilité à remplir les conditions de l’article 8. Il y a moins de trois semaines ! Alors comment envisager – et même décider – la tenue d’une table-ronde des bailleurs à Bruxelles alors que les relations avec l’UE n’étaient pas encore normalisées ?

D’autant plus difficile que les autres bailleurs multilatéraux n’avaient pas été sollicités ou même avertis. Le Fonds monétaire international et la Banque Mondiale, maîtres d’œuvre des réunions du genre notamment des Groupes consultatifs, n’ont pas non plus été avertis. On imagine aisément les appréhensions qui seront nées ici et là.

Aussi faut-il ajouter à ces éléments de blocage, les effets du contexte international. Le monde se relève difficilement de la crise financière et économique qui l’a sérieusement secoué en 2008 et 2009. La reprise de la croissance est rendue difficile par la raréfaction des ressources. La plupart des pays sont encore à la recherche de nouvelles formules pour éviter de pareilles secousses. Les instances financières internationales et multilatérales comme la BM, la BAD… sont à la recherche d’un nouveau souffle pour pouvoir répondre aux besoins pressants des Etats touchés par la crise. Cela se traduit par des opérations de recapitalisation qui, on l’espère, permettront de mobiliser de nouvelles ressources en vue de financer les déficits de l’économie mondiale et de venir en aide aux plus faibles.

Dans cette phase transitoire – une transition qui peut durer -, le monde est en phase d’évaluation des Objectifs de développement du Millénaire (OMD). En septembre prochain, le système des Nations Unies procèdera à cette évaluation qui intervient tous les cinq ans depuis le lancement du programme. Ce sera l’occasion non seulement de constater les avancées, mais aussi de réévaluer les besoins et d’essayer d’augmenter les ressources. Tout est en attente donc en matière de mobilisation des ressources financières jusqu’à septembre.

Ajoutons à cela la conjoncture et… l’actualité. Haïti a absorbé le peu de ressources existantes. L’Afghanistan, le Darfour et maintenant la Grèce… la pauvreté et la faillite des Etats ont renversé l’ordre des priorités pour les bailleurs mondiaux.

Alors pourquoi la Mauritanie tient-elle tant à cette réunion ? Pourquoi le Premier ministre Dr Moulaye Ould Mohamed Laghdhaf tient-il à aller à Bruxelles plaider une cause au mauvais moment et dans le mauvais lieu ? Pourquoi, d’autant plus que le défi sera énorme pour les autorités qui devront obligatoirement mieux faire qu’en 2007 ?

La crise politique ouverte par la fronde des parlementaires en 2008 aboutira naturellement au coup d’Etat du 6 août 2008. Par chance, le nouveau pouvoir profite de la chute des prix des matières de première nécessité (pétrole, sucre, blé, riz…). Ce qui lui permet de faire baisser les prix se donnant un répit social au moment d’une effervescence politique sans précédent. Le gouvernement de l’époque devait tenir compte de cette donne conjoncturelle en préparant le reflux. Surtout que la Mauritanie venait de bénéficier d’une annulation de la dette d’une part, et d’un engagement des bailleurs à l’accompagner. L’annulation lui permettait de ne pas rester liée par la contrainte de la soutenabilité de la dette. Ce qui lui ouvrait la voie de l’endettement intérieur pour éviter le manque de liquidité et afin de subvenir aux dépenses budgétaires. Le souci étant de ne pas donner l’impression que les finances publiques sont incapables de respecter leurs engagements. On pourrait, à défaut, altérer la confiance dans le système financier. Quoi dire d’une loi financière adoptée et qui n’est pas exécutée ?

Un indicateur qui ne trompe pas : quand il y a inadéquation entre prévisions budgétaires et exécutions budgétaires. Comme c’est le cas actuellement. Comment comprendre que la mise en place du budget 2010 le 1er mars dernier n’a pas eu d’effets. Car nous en sommes encore au stade où les paiements se font selon le bon désir du ministre ou du Premier ministre. C’est bien ce qui fonde la rumeur concernant le manque de liquidité au Trésor.

Alors qu’il fallait parer au plus pressé en procédant aux recadrages macro-économiques – comme disent les spécialistes -, le gouvernement de Ould Mohamed Laghdhaf a simplement laissé les événements «agir». Peut-être faudra-t-il que le Président de la République lui-même demande à son PM et son ministre des finances de lui présenter des plans d’exécution budgétaires clairs. Pour empêcher la perte de confiance mais aussi l’image d’un système financier en panne. Et au plus vite.

C’est sous le sceau de l’urgence qu’il faut réparer la panne actuelle. On peut toujours invoquer le tarissement des ressources extérieures à la suite de la crise politique et pendant toute une année, pour expliquer les contreperformances du gouvernement qui est là depuis deux ans. Il faut y ajouter un manque avéré de compétences, ce qui explique l’absence d’initiatives et d’anticipation sur les événements. Avec comme circonstance aggravante la crise économique et financière mondiale qui s’est finalement traduite pour nous par la baisse des recettes des exportations et le tarissement des ressources de financement venant de l’extérieur.

Autre impératif pour l’équipe gouvernementale, l’élaboration d’une stratégie nationale de développement économique et social du pays. Il y a eu le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) qui est resté une sorte de document copié-collé reprenant une logomachie peu convaincante. C’est dans le cadre de cette stratégie, une fois définie, qu’il faut élaborer une panoplie de projets fiables. Mais avant tout savoir ce qu’on veut et l’expliquer à nos partenaires pour les convaincre de nous accompagner.

Toutes ces conditions sont-elles remplies pour aller faire l’exercice de la table-ronde ? Au gouvernement mauritanien de répondre pour se décider. Tout en tenant compte de l’avis des partenaires les plus concernés. Qu’en pensent le FMI et la Banque Mondiale ? On sait que l’UE a exprimé ses réserves, estimant que c’est un risque politique inutile pour le pouvoir actuel. Le gouvernement peut toujours compenser les «réticences occidentales» par les engagements arabes et islamiques, mais jusqu’à quel niveau peuvent aller les partenaires de cet espace ? et quelles implications politiques et diplomatiques pour la Mauritanie ?

Dans ce contexte il y a vraiment lieu de se demander si la table-ronde Bruxelles aura lieu. Tout indique que non. Et même si elle a lieu, qu’est-ce qu’elle peut rapporter ?

 

MFO

La Tribune N°499 du 03 mai 2010

 

 

 

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