Ahmed Ould Daddah président du RFD :

‘’C’est un aveu d’impuissance et d’échec que d’accuser l’opposition de connivence avec les terroristes’’…

 

 

Le Calame : A l’heure où l’opinion nationale, voire internationale, s’attendait à l’ouverture d’un dialogue entre le pouvoir et l’opposition, conformément aux accords de Dakar, le président de la République déclare, lors d’un meeting dans la banlieue, qu’il est hors de question de partager le pouvoir avec l’opposition. Que lui répondez-vous?

Ahmed Ould Daddah : Un dicton hassaniya dit qu’il n’est pas bon de refuser une demande, avant qu’elle ne soit formulée. A ma connaissance, l’opposition n’a jamais demandé à partager le pouvoir avec le général Mohamed Ould Abdel Aziz. L’opposition a toujours été et demeure pour un dialogue franc et constructif, pour une concertation, sincère, sur les questions nationales de l’heure. Nous avons dit que pour les questions cruciales, comme, entre autres, les grandes orientations nationales, les relations avec nos voisins, la sécurité, les problèmes économiques et sociaux marqués, en la circonstance, par la famine annoncée dans certaines zones du pays, la hausse des prix, le chômage qui frappe notre jeunesse y compris les diplômés, les problèmes culturels, etc. Il aurait été souhaitable que le pouvoir informe l’opposition et entende son point de vue. Cela ne veut pas dire, d’ailleurs, que le pouvoir soit obligé de prendre tels quels les avis de celle-ci. Mais il est évident qu’il y’a un manque de dialogue et d’écoute ce qui entraîne immanquablement des malentendus et des conflits inutiles,voire nuisibles. La concertation et les consultations sont les marques distinctives des pays démocratiques. Certes, je sais que notre démocratie n’est pas une référence, c’est plutôt un faux semblant. De là viennent les malentendus et les dérives.

Que pensez-vous des déclarations récentes du SG de l’UPR menaçant de traduire en justice les responsables de l’opposition, parce que, tout simplement, leurs déclarations sortent du cadre de l’opposition traditionnelle? Il fait peut-être référence aux 50 millions de dollars donnés par l’Arabie Saoudite sur lesquels vous insistez ?

Je n’ai aucun commentaire à faire sur le premier volet de votre question. Quant à sa deuxième partie, je dois dire que nous persistons et signons pour demander le sort réservé à tout montant destiné à l’Etat mauritanien, parce que, tout simplement, il n’existe pas, selon les usages et coutumes de la République, des montants ou des aides qui ne doivent pas être inscrits dans le budget. Tout montant doit être budgétisé. Il existe, bien entendu, quelques dépenses de type particulier, susceptibles d’usages particuliers et confidentiels. De telles situations sont connues et provisionnées et les commissions parlementaire en charge des problèmes de défense et de sécurité sont tout à fait capables de les gérer et les dites commissions ne peuvent en aucun cas être exclues du champ de ces questions. Mais il semble que, jusqu’à présent, on ne comprenne pas que notre réaction relève de la démocratie, des règles et principes qui la régissent. Manifestement, le pouvoir actuel se révèle allergique aux procédures budgétaires qui constituent des gardes fou indispensables contre les dérives totalitaires et contre les mauvais usages des ressources publiques. Je dois, enfin, ajouter que dès lors qu’on peut utiliser des fonds publics sans respect des procédures et sans contrôle, il y a risque de corruption.

Lors de son dernier meeting à Arafat, le président de la République a accusé l’opposition d’être en connivence avec les terroristes. Que répondez-vous à ces graves accusations ?

En fait, ça ne mérite pas de réponse. C’est, tout simplement, un aveu d’impuissance et d’échec.

Récemment, certains hauts responsables de partis politiques, aussi bien de la majorité que de l’opposition, ont, lors d’un voyage à Tripoli, prêté allégeance au guide de la Jemahiriya libyenne. Comment qualifiez-vous cet acte inédit? A votre avis, pourquoi le président de la République n’a pas rappelé ces responsables à l’ordre, face à ce qui ressemble fort à de «l’intelligence avec une puissance étrangère», un vocable qui servit, par le passé, à envoyer au bagne les leaders de l’opposition?

Vous savez, dans ce pays on enregistre, depuis quelques années, une perte progressive des notions d’Etat, de patriotisme et de civisme et ça vient, malheureusement, du sommet de l’Etat. A partir du moment où ces notions s’évanouissent progressivement, que ceux qui sont censés les incarner les négligent, évidemment, ils ne peuvent pas demander aux autres d’être plus royalistes que le roi.

Voilà huit mois que le président Ould Abdel Aziz a été élu à la tête du pays. Pouvez-vous vous hasarder à en faire le bilan ?

Est-ce que lui-même peut se targuer d’un quelconque bilan? Demandez-le-lui. En tout état de cause, à notre niveau, nous n’avons rien vu qui puissent être qualifié de nouvelles réalisations en ligne avec un programme gouvernemental. Si c’était une dissertation, je serais tenté de rendre une feuille blanche.

Aujourd’hui, le pouvoir reste sourd au dialogue. Qu’entend faire la COD, pour faire bouger les lignes? La reconnaissance de l’élection du président posée comme préalable est-elle envisageable par la COD?

Je parle à titre personnel. Vous savez que la dernière présidentielle comme, d’ailleurs, les précédentes a été truquée, c’est une donnée que je ne peux pas changer. Ceci étant, il y a la reconnaissance de jure et la reconnaissance de facto. Dans tous les cas de figure, la sortie de crise passe, forcément, par un dialogue franc entre le pouvoir et l’opposition. La balle est dans le camp du pouvoir

Y a-t-il des conditions ou des préalables à ce dialogue que chacun réclame mais pour lequel personne ne franchit le pas?

Il ne peut pas y avoir de conditions pour le dialogue que nous réclamons, nous n’acceptons pas les préalables que pose le pouvoir qui ne semble pas disposé à ce dialogue. Mais il existe des précédents et des usages, plutôt que des préalables dont il convient de nous servir pour établir les conditions nécessaires au démarrage et au bon déroulement du dialogue.

Dans son dernier communiqué, le parti au pouvoir, l’UPR en l’occurrence, déclare qu’il est disposé au dialogue mais que c’est l’opposition qui refuse. On a du mal à savoir qui veut et qui ne veut pas le dialogue.

De toute façon, comme vous le savez, nous nous adressons au chef de l’Etat : le dialogue doit s’établir entre le pouvoir et l’opposition. Et le pouvoir peut proposer la voie par laquelle il souhaite que ce dialogue soit amorcé.

Les propos du Premier ministre relatifs à l’arabisation de l’administration mauritanienne ont suscité une levée de boucliers, non seulement dans le milieu négro-africain mais, aussi, au sein de la communauté maure. Comment avez-vous réagi à ce discours? Partagez-vous l’inquiétude des jeunes étudiants qui ont manifesté pour protester contre de telles déclarations?

Vous savez, ce qui choque, c’est la provocation; ce qui a été dit, par les membres du gouvernement, dont le Premier ministre, avait un caractère provocateur et je crois que c’est ainsi que cela a été perçu par nos compatriotes du Sud, qui ont réagi. Personnellement je pense – d’ailleurs ça a été dit par les étudiants eux-mêmes – que, dans ce pays, personne n’est contre l’enseignement de l’arabe, en même temps, force est de reconnaître que nous sommes dans un pays où il y a des Mauritaniens du Nord, généralement arabophones, et des Mauritaniens du Sud, qui le sont parfois moins, qui ont leurs propres cultures, leurs propres langues ce qui donne, à notre pays, sa richesse et sa force, et qui suppose que chacun prenne en compte cette donnée culturelle et historique. L’enseignement de l’arabe ne pose pas de problème, en soi, mais c’est l’esprit des déclarations gouvernementales qui a été perçu comme une provocation, comme un déni de l’autre. Je pense que la Mauritanie est ce qu’elle est : un pays musulman, arabe et africain, avec tout ce que cela comporte. Je crois qu’il faut savoir profiter de cette symbiose, la mettre en valeur plutôt que chercher à diviser. Le pouvoir, de par les propos de ses responsables, est aujourd’hui le plus grand diviseur commun alors que son rôle devrait être de renforcer l’unité nationale…

Le 25 mars a été déclarée «Journée nationale de la Réconciliation en Mauritanie». Pensez-vous que ce que le pouvoir a fait jusqu’à présent sur ce plan va régler le problème du passif humanitaire ?

Il appartient aux victimes et aux ayant-droits de répondre à cette question. Personnellement, je suis pour toute solution consensuelle susceptible de tirer un trait sur ce passé douloureux et de nous tourner vers un avenir meilleur pour tous, dans un pays où chacun a sa place, où chacun apporte sa pierre à notre édifice en construction, où chacun se sente respecté et utile. Je pense que si nos frères du Sud se sentent satisfaits, ça veut dire qu’on peut, donc, tourner la page et s’atteler à ce que de tels actes ne se reproduisent, plus jamais dans le pays.

Maintenant, si les ayant-droits ne sont pas satisfaits, il faut approfondir davantage le débat, pour cicatriser, une fois pour toutes, ces blessures, éradiquer, à jamais, les frustrations, pour que le pays reparte sur de bonnes bases plus solidaires, plus consensuelles. Donc je le répète, c’est aux ayant-droits de se prononcer. Moi, je ne suis pas un pyromane, je ne jette pas de l’huile sur le feu. Je souhaite que tous les Mauritaniens rebâtissent la confiance entre eux et repartent du bon pied, selon leur sensibilité et selon leur positionnement politique pour construire un pays uni , solidaire et confiant en son avenir.

L’UPR entame son implantation dans le pays. Ne craignez-vous pas que cela soit le prélude à une opération de débauchage des militants et cadres de l’opposition, provoquant une hémorragie dans votre camp, comme on en a vu par le passé ?

Vous savez, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Je vous signale que ce que vous appelez hémorragie n’a jamais affaibli l’opposition; il y a, toujours, des nomades, des gens qui regardent à droite, à gauche, il y a en a même qui regardent en bas ! Il y a des gens qui cherchent à ne rater aucune opportunité, je ne leur jette pas la pierre. Tant que les problèmes fondamentaux ne sont pas réglés, de façon sérieuse et définitive, tant qu’une politique qui prenne en compte les besoins fondamentaux des populations n’est pas en place, il y aura, toujours, une opposition sérieuse qui ne réagit pas au gré du vent mais selon sa philosophie, selon ses objectifs politiques pour mettre le pays sur des trajectoires ascendantes.

Que pensez-vous de la lutte contre la gabegie engagée par Ould Abdel Aziz?

Je constate, quand même, qu’il en parle moins, maintenant, peut-être voit-il des résultats que nous ne voyons pas. Il en parle moins, peut-être parce que, même en ne faisant que semblant de s’attaquer à la gabegie, on s’est attaqué aux proches ou à ceux qui ont soutenu le candidat Ould Abdel Aziz. C’est une hypothèse à laquelle je me hasarde : en fait, nous n’avons vu, jusqu’à présent, aucun effet de cette campagne de lutte contre la gabegie. C’était, peut-être, un slogan de campagne qui a fini par s’évanouir ou peut-être qu’Ould Abdel Aziz nous réserve, encore, des surprises. Franchement, de vous à moi, depuis le temps qu’il possède les pleins pouvoirs, avez-vous vu des résultats, palpables, de cette lutte contre la gabegie? En tout cas, moi, je n’en ai pas vu.

Je voudrais revenir sur les 50 millions de dollars dont nous avions parlé au début de l’entretien. J’ai dit que tout montant non budgétisé peut susciter des interrogations légitimes. Il n’y a aucune loi qui autorise à ne pas budgétiser ce montant. Nous ne sommes pas le seul pays à avoir des services de renseignements, nous ne sommes pas le seul pays à disposer d’une armée mais, encore une fois, il y a des procédures qui permettent de budgétiser des montants destinés à de tels corps. Encore ne faut-il pas utiliser cette confidentialité pour cacher des opérations douteuses. L’argent public doit être utilisé de façon transparente.

A en croire l’équipe économique du pouvoir, le pays fonctionne bien, depuis 2009, sans aucune aide extérieure. Comment, de votre point de vue d’économiste, un tel miracle a-t-il pu se produire?

Il faut se demander pourquoi le pays n’a reçu aucune aide de l’extérieur en 2009. C’est une question qui mérite une réponse. D’ailleurs, je me demande s’il a reçu quelque chose, en 2010. Peut-être pense-t-on aux fonds destinés aux projets SNIM, sinon, moi, je ne suis au courant de rien. Pas en tout cas, au premier trimestre de 2010, et j’attends qu’on nous explique pourquoi on n’a reçu aucune aide de nos partenaires extérieurs ? Quand on sait ce que représente la part de l’aide extérieure, dans les pays les moins avancés… La particularité d’un Etat, c’est qu’il ne fait pas faillite, comme une entreprise, et je crois que c’est la seule justification de l’illusoire satisfaction affichée par le gouvernement.

Le gouvernement construit des routes à Nouakchott mais ne fait rien pour endiguer la hausse vertigineuse des prix qui crève, chaque jour, le panier de la ménagère……….

Vous n’êtes pas sans savoir que nous sommes dans un contexte international libéral, il faut le reconnaître, et, chez nous, nous sommes dans un libéralisme sauvage. Par ignorance, on pense que le libéralisme classique est sauvage. En fait, le libéralisme a ses règles et parmi ses règles fondamentales, il y a la concurrence loyale. Cette concurrence implique que des acteurs économiques de puissances comparables soient mis dans des conditions réelles de concurrence. Mais dès lors qu’il y a des situations, dites ou non dites, de monopole, ou d’oligopoles, c’est-à-dire une entente illicite, passible de sanctions dans les pays les plus libéraux, comme les USA, on n’est plus dans le libéralisme, on est dans le pseudo-libéralisme où les consommateurs sont livrés, pieds et mains liés, aux commerçants. C’est cela le «libéralisme sauvage». Dans ces conditions, l’intervention de l’Etat s’avère légitime mais, à mon avis, il y a une mauvaise compréhension de tout cela par le pouvoir. A vrai dire et pour autant que je puisse analyser ou juger, il n’y a, même pas, la moindre politique économique digne de ce nom.

 

Prpopos recueillis par Ahmed ould CHEIKH et DL

  

Source  :  Le Calame du 13/04/2010

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