Langue officielle, langue sacrée

Dans sa khoutba du vendredi 02 avril 2010, un imam de Nouakchott est revenu sur la question de la langue et de l’identité arabes. Etant intervenu sur la question  une semaine plus tôt, l’imam avait été abordé, juste après l’office, par un responsable de parti politique qui avait prié dans les rangs ce jour-là : « Imam, il fallait axer votre discours sur la nécessité de respecter les musulmans non arabes et spécialement les communautés négro-africaines de Mauritanie aux ascendants de qui, heureusement, vos ancêtres ont présenté d’abord l’islam. Figurez-vous, imam, si les premiers missionnaires de l’islam avaient tenté d’imposer la langue arabe à nos grands-parents, ils auraient échoué. »

Pareille interpellation a dû convaincre cet imam à introduire sa khoutba suivante en ces termes : « Notre khoutba du vendredi passé est loin d’être un discours pour l’arabité. C’était plutôt un discours sur la langue arabe. » Et l’imam de se livrer à un exposé d’exemples. Premier exemple : Oumar Ibn Khattab aurait conseillé à ses compagnons d’apprendre l’arabe et de l’enseigner à leurs enfants. Moralité : les familiariser avec les textes de leur religion et leur permettre d’en comprendre les contenus. Second exemple : l’imam Ghazali aurait déclaré qu’il n’est pas permis à quiconque qui sait s’exprimer en arabe de parler une autre langue. Leçon : apprendre l’arabe est un devoir religieux.

Mais le même imam a pris le soin de déconstruire l’argument de ceux qu’il a taxé de chauvins et d’extrémistes et selon lequel  le prophète Mouhammad (PSL) aurait commandé à sa communauté d’aimer  les arabes parce que lui-même est arabe, que le coran est en arabe et que la langue du paradis est arabe. «Le hadith auquel ces personnes malintentionnées se réfèrent est inauthentique.» a martelé l’imam qui a tenu à insister la nécessité d’apprendre l’arabe qui reste selon lui le seul moyen d’accéder au sens, à la quintessence du coran.

Voilà  donc un imam réajustant son discours hebdomadaire sur une question dont la prise en compte n’aurait pas dû aller au-delà de son utilité matérielle.

Si tant est qu’en Islam, la meilleure voie à suivre est celle de la sunna, inspirée des faits, paroles et gestes du prophète (PSL) ou des usages introduits par l’un de ses quatre successeurs (khalifes), l’argument de l’Imam Ghazali n’est d’aucune autorité. En tout cas pas spirituelle. Car l’homme est un savant qui a ses propres contradictions épistémologiques et ne saurait servir de référence dans ce cas précis.

N’en déplaise à ceux qui préfèrent avoir un rapport mystique et métaphysique avec la langue, chercher à convaincre que l’arabe est la clé  du paradis est la pire des absurdités. Et pour cause : dans le coran on trouve une sourate où Allah dit : « le jour où nous dirons à la Géhenne : es-tu remplie ; elle rétorque : y en a-t-il encore à ajouter ? » (sourate 50 ;verset 30).

Ceux qui veulent nous faire croire que la langue, officielle peut-être, du paradis est l’arabe sont-ils capables de nous dire en quelle langue l’enfer a parlé pour demander s’il y a encore à ajouter au nombre des ses pensionnaires ?

Revenons sur terre et voyons en quelles langues les élus d’Allah Lui ont demandé  de leur accorder qui un héritier, qui le pouvoir, qui la prospérité pour leur descendance, qui absolution et protection…

Dans la sourate de Marie, Dieu nous rappelle sa miséricorde pour son serviteur Zacharie. A ceux qui récitent le Coran et en comprennent le sens de dire en quelle langue ce prophète a demandé ce qui biologiquement lui était devenu impossible et que Le Tout Puissant lui a accordé : Yahya…

De même Marie, la vierge immaculée. Dans quelle langue a-t-elle exprimé ses prières ? Dans quelle langue Issa Ibn Mariam (Jésus)  a-t-il parlé alors qu’il était dans le berceau ?

Dans quelle langue Allah a-t-il parlé à Moussa (Moïse) ?

La prière d’Abraham pour la Mecque a apporté et continue à apporter ses fruits en Arabie Saoudite. De cette prière (doua’) est rendu compte dans le Coran en arabe. Mais Abraham ne l’a certainement pas formulée en arabe. En somme, le Coran, dans sa relation de l’histoire de la prophétie et des événements sociaux et purement humains est la traduction, divine certainement, de ce qu’Allah a décidé de mettre à la disposition de son prophète comme connaissance.

On peut s’employer à revenir sur tous les exemples tirés du coran pour déconstruire le discours mystificateur de ceux qui tiennent à rendre complexés les non-arabes qui pratiquent l’Islam sur cette terre de Mauritanie. Mais une remarque : autant le nationalisme arabe rend un mauvais service à la langue arabe par les discours extrémistes, autant le rapport des communautés négro africaines à cette langue est doublement faussé.

D’une part, le nègre a sacralisé dans son inconscient l’arabe au point de ne plus concevoir qu’un simple vœu  puisse être exaucé  s’il n’est pas exprimé en arabe. Ainsi, les mariages, baptêmes et autres occasions donnent lieu à d’interminables litanies en arabe, une langue que même les marabouts comprennent très mal pour la plupart. Un tour dans les moquées dirigées par les négro-africains rend parfaitement compte de cet ascendant mystérieux et mystiquement que requiert l’arabe sur les fidèles foutanké.

Ensuite, le négro-africain, frustré certainement par les circonstances qui politiquement lui ont ravi sa personnalité en est arrivé  à intérioriser cette langue comme un mal le rongeant à  tout bout de champ. Sans devoir chercher les origines d’une telle frustration, on peut comprendre le calvaire d’un jeune halpular, soninké ou wolof que l’on cherche à contraindre à prononcer le nom du loup en hassaniyya pour prouver sa nationalité mauritanienne….

En définitive, la question de  la langue aurait pu être décomplexée si on pouvait la séparer des enjeux faussement politiques et hypocritement religieux que l’on cherche à lui faire comporter.

Si par exemple il s’agit de défendre la langue arabe, nous disons à tous les prétendus adeptes que cette langue a un défenseur et un protecteur qui n’a pas besoin de leur aide : Allah a élevé la langue arabe et en a fait la langue la plus exprimé au monde : y a-t-il en effet un instant qui s’écoule en ce monde, sans que quelque par sur la terre, il ne se trouve au moins quelqu’un en train de faire une prière dans la langue arabe ? Ne serait-ce que pour dire Allahou Akbar, tous les musulmans ont l’arabe dans les cœurs.

Kissima

La Tribune N°495 du 05 avril 2009

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