Arabes coûte-que-coûte…Nègres vaille-que-vaille

dialogue des culturesD’après un article de l’encyclopédie libre Wikipédia, les Arabes constituent un groupe ethnique d’individus anthropologiquement différents les uns des autres.  Ils  s’identifient par des liens linguistiques ou culturels. Ils sont  répartis sur une vaste zone s’étendant d’Oman à la Mauritanie.

En cela, nul ne devrait contester que les maures de Mauritanie, parlant le hassaniya, un dialecte très proche de l’arabe classique, comptent parmi les 280 millions de personnes dont l’arabe est la langue maternelle et qui représentent 2% de la population mondiale.

Autant il serait injustifié de leur refuser soit d’être descendants d’anciennes tribus d’Arabie, soit d’appartenir aux ethnies arabisées le long des siècles, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, autant il est aberrant de vouloir plaquer l’arabité comme identité exclusive d’un pays regroupant d’autres groupes ethniques forcément jaloux de leur différence.

Aussi, la controverse, née des interventions du Premier ministre et de la ministre des sports de Mauritanie appelant tous les deux à une réhabilitation de la langue arabe sous prétexte que celle-ci est menacée par les dialectes et langues locales, risque-t-elle de mettre le feu aux poudres dans un espace qui a du mal à se stabiliser avant tout pour bien des raisons autres qu’identitaires.

C’est quoi être arabe

Pour en revenir à  l’article de Wikipedia, nous retiendrons que l’identité arabe peut reposer sur un ou plusieurs critères.

Le premier est celui de la  généalogie. Est arabe celui qui situe ses ancêtres dans l’une des tribus d’Arabie. Ibn Khaldoun avait adopté cette définition au Moyen âge.

Le deuxième critère repose sur la nationalité faisant de tout citoyen ressortissant d’un des 22 pays membres de la Ligue arabe un arabe.  Et dans ce cas précis, environ 350 millions de personnes seront ainsi considérés car les Coptes, Syriaques, Berbères et même les négro-africains se trouvent être, entre autres, des composantes des populations de pays naturellement ou artificiellement arabes.

Le troisième critère, le plus évident certainement, est celui de la langue. Et, d’après  wikipedia, ce critère se retrouve chez toute personne dont la langue maternelle est l’arabe. « Les parlers locaux, appelés à tort arabe dialectal, ne se comprennent pas entre eux », indique l’article qui explique que cette définition réduit considérablement le nombre d’arabophones. Le linguiste Mohammed Benrabah, cité par wikipedia souligne d’ailleurs que certaines personnes arabophones, notamment au Maroc et en Algérie, ne se reconnaissent pas dans ces définitions et se considèrent comme des Berbères arabisés.

Faut-il alors se fier à la conception de l’arabité qu’a prescrite Sati al Housri, un des pères du nationalisme arabe ? Pour celui-ci : « est Arabe celui qui parle arabe, qui se veut Arabe et qui se dit Arabe. »

Au quel cas, la problématique de l’arabité  en Mauritanie se fera l’écho de cette volonté d’arabisme et d’arabisation entreprise par certains groupes idéologiques au risque d’entamer la cohésion et l’unité du pays.

Identité  en crise

Comme si l’histoire était en train de se répéter, il y a eu un mouvement d’humeur d’étudiants consécutif aux propos tenus par le Premier ministre et par la ministre des sports relativement à la perspective d’arabisation intégrale du système éducatif et du reste de l’administration mauritanienne. Conséquence de cette manifestation : des interpellations dans les rangs des étudiants suite à des frictions avec la police. Dans le rapport de l’information, certains sont allés vite en besogne pour dire qu’il y a eu affrontement ethniques. Il n’en était rien. Bien au contraire, les étudiants ont dans leur communiqué daté du 24 mars précisé que leur «  manifestation n’est pas l’affaire d’une communauté ou d’une race mais de tous ceux qui craignent pour le devenir des enfants Mauritaniens dont la langue de formation est le français » et qu’ «  il ne faut pas perdre de vue que l’école Mauritanienne est constituée depuis plus de 20 ans d’une éducation en langue arabe et d’une éducation en langue française (maures et négro confondus). » Une déclaration qui barre ainsi la route à toute implication nationaliste extrémiste de quelque bord qu’il fut car des étudiants arabophones ont rendu visite à leurs camarades francophones appréhendés par la police. Geste d’apaisement ou dictée mystérieusement politicienne ? En attendant que la rentrée de vacances de deuxième trimestre s’avère édifiante, un souvenir, un égrenage à rebours de l’histoire.

A la recherche d’un moi impossible

En 1966, quand Moktar Ould Daddah décidait de se retirer de l’organisation commune africaine et malgache (OCAM), le pays était sous la pression des syndicats d’enseignants arabophones issus de la communauté arabe. Leur revendication : officialisation de la langue arabe et son intégration dans le système éducatif.

Autant on pouvait alors croire que la décision du président de la République d’alors était perçu par certains comme une extraction de l’espace Ouest africain et un éloignement de la France, autant ce choix était l’occasion pour d’autres d’exprimer les velléités nationalistes. Un certain manifeste des 19 dont les signataires sont des négro-africains débouche sur des arrestations sur fond de grève et même de conflits ayant pris une tournure de confrontation interethniques. Selon certains témoignages, le pouvoir en a profité pour incarcérer en même temps des nationalistes arabes. Parmi eux de grandes figures converties aujourd’hui. Il semblerait que ceci a donné l’occasion aux nationalistes des deux bords de se parler. En prison, aussi bien le groupe des 19 que celui des nationalistes arabes ont choisi de créer ensemble un mouvement unioniste. Ce qui donnera naissance à leur sortie au Mouvement Démocratique National (1968) dont les membres deviendront ces fameux Kadihines à partir de 1973 et initiateurs du Mouvement Nationaliste Démocratique.

Le souci des acteurs de ce mouvement était la prise en compte et la reconnaissance de la diversité culturelle de la Mauritanie . ceux qui se souviennent de cette époque citent Ahmedou Ould Abdel Kader, Me Ichidou, Moustapha Ould Bedredine, Bâ Mahmoud, entre autres acteurs d’une vision unitaire d’une Mauritanie multiculturelle.

Mais était-ce sans compter avec la pression de la revendication d’arabisation qui a commencé au début des années 70. Le Cours d’Initiation à l’Arabe consacre la première réforme du système éducatif. L’enseignement de la langue arabe était donc intégré dès la première année du primaire. L’option était qu’au bout de 8 années, l’école mauritanienne soit à base arabe où les matières scientifiques étaient enseignées en français. Le coup d’Etat du 10 juillet 78 bouleversera cette lancée. Et, en 1979, le ministre de l’éducation d’alors décide par la fameuse circulaire 02, de faire augmenter les coefficients de l’arabe et de l’IMCR au baccalauréat. Réaction : des grèves se traduisent par des affrontements ethniques. Et ce peu avant la dispartution d’Ould Bouceif.

Ould Haidalla, arrivé aux affaires, met en place une commission dont les membres passent aux yeux de certains pour être l’incarnation des extrémismes de tous bords. Cette commission est chargée de penser la seconde réforme. Résultat : une école bicamérale ; avec unes série arabe et une série bilingue. Comme si seuls les enfants des négro-africains devaient être les seuls à subir la filière bilingue à dominante francophone, à la rentrée 1979-1980, les directeurs d’écoles reçoivent instruction de ne pas accepter les enfants issu de l’élément arabe dans la filière bilingue. L’école mauritanienne était partie alors pour refléter deux mauritanies qui se regardent en chien de faïence. Les autorités, presque les mêmes toujours, Ould Taya ayant fait partie du CMRN, du CMSN qui ont dirigé le pays, mettront vingt ans à réaliser l’ampleur des dégâts. En 1999, réalisme oblige, on passe à la troisième réforme. Cette fois-ci, l’arabe est la langue d’enseignement de toutes les matières littéraires et culturelles tandis que le français est réservé pour les matières scientifiques. Dans la balance, cela correspondait à quatre contre trois. Cette réforme avait pour avantage de remettre tous les mauritaniens dans les mêms classes et ses défenseurs  était encore ceux qui avaient été là plusieurs décennies auparavant. Des responsables nassériens ont tenu des discours très laudatifs à l’égard du président de la République Ould Taya pour lui signifier « la pertinence de ses orientations en matière de système éducatif ».

Au moins trois réformes ont été  connues par le système éducatif. Mais celui-ci, en cinquante ans n’a fait que dégringoler. Miné par les idéologies il n’est finalement pas parvenu à produire le modèle de citoyenneté et de patriotisme escompté. On le sait, un institut des langues nationales fut mis en place. Option promouvoir le soninké, le pular et le wolof à travers des écoles expérimentales pour former les  enfants dans leurs langues dites maternelles. Ceci s’est soldé par un échec cuisant dont n’auront pas été victimes les enfants des ‘bourgeois’ parmi les initiateurs de cette option. A l’image d’ailleurs de l’éducation nationale laissée, voire abandonnée, aux seuls pauvres pendant que les enfants des décideurs sont formés pour la plupart dans des écoles ni l’arabe, ni le programme mauritanien n’ont pas de présence si infime soit-elle.

Arabité  ou négritude, ni à manger ni à boire

Si le multipartisme né à  partir des années 90 peut avoir contribué à atténuer les tendances nationalistes qui quelques années plus tôt furent à  l’origine d’exactions (1986, 1987, 1989, 1991), force est de reconnaitre que les volontés politiques successives ont échoué à trouver la bonne formule pour promouvoir l’unité nationale. On l’a vu, en 2005, le président du CMJD avait refusé d’aborder ou de prendre en charge cette question. Le président élu à l’issue de cette transition a prononcé un discours et organisé les journées de concertation qui ont débouché sur un retour organisé des réfugiés victimes des événements de 1989. Et comme il fallait s’y attendre, les nationalistes arabes essayent de saper cette dynamique. Sous prétexte que le pays risque de recevoir des étrangers sur son sol, toutes les questions sont posées. Le pouvoir de Sidi Ould Cheikh Abdellahi fait long feu. Mais son tombeur, cherchant peut-être à rassurer l’élément négro-africain, engage une nouvelle formule de solution du passif humanitaire. Un discours à Kaédi consacre une sorte de pardon par procuration et le retour des réfugiés se poursuit au grand dam des organisations de droits de l’homme opposées au coup d’Etat.

Quand arrive l’élection présidentielle rendue possible par les accords de Dakar, la crise politique prend la forme d’une revendication de dialogue. Et l’opposition, sans donner l’impression de faire feu de tout bois, ne rate plus une occasion pour dénoncer les agissements du pouvoir : l’affaire BCM/hommes d’affaires, l’affaire Hanefi, les prix, le coût de la vie, les indemnités, etc. mais aussi les options diplomatiques avec en toile de fond la gestion des problèmes de sécurité, sont autant d’ingrédients pouvant servir une opposition à la recherche de la faille chez ‘l’ennemi’. Arrive alors ce fameux discours commémoratif de la journée de la langue arabe du PM et celui de sa ministre de la culture et des sports. Des discours saisi au vol par des nationalistes arabes qui, il y a au moins cinq mois s’étaient réjoui et sentis revigorés par la visite d’un certain Abdellahi Alahmar Vice SG du parti Baath syrien. On se rappelle à l’époque que celui-ci avait été reçu en haut lieu et par de grandes figures de l’opposition.

Qu’à cela ne tienne, tandis que les effets négatifs du discours du PM sont vécus en Mauritanie, il s’est trouvé des responsables de partis politiques dont Saleh Ould Hanna, Khalil Ould Tiyyib, Ethmane Aboul Maali pour aller faire allégeance à un certain Mouammar Khaddafi, lui signifiant leur disposition à s’unir par sa volonté autour de l’essentiel : leur arabité. Au-delà du caractère anticonstitutionnel de pareil comportement de personnalités qui ont eu à briguer la magistrature suprême du pays, quelle signification peut-on donner à ce pas vers le roi des rois d’Afrique dans un contexte de controverse identitaire servi à des populations en proie aux menaces de toute sorte : famine, insécurité, terrorisme, etc.

Ni à manger ni à boire, arabité ou négritude… Laquelle de ces deux remplit le mieux la marmite du Mauritanien ?

Kissima

Source : La Tribune (Mauritanie)

N°494 du 29 mars 2010 

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