Bande sahelo saharienne: que veulent l’Algérie et la Mauritanie?

Nos deux voisins, suite à la décision de justice de faire libérer leurs ressortissants, au lieu de s’en réjouir, ont décidé de rappeler leurs ambassadeurs respectifs au Mali. Un geste qui cache mal leur crainte d’un déballage public. Un geste qui jette un coup de froid sur les relations avec des pays censés « amis » du Mali.

Ça y est, les autorités maliennes ont obtenu la libération du Français Pierre Camatte, détenu depuis fin novembre dans le nord du Mali par une cellule de la branche magrébine d’Al Qaïda. Le désormais ex otage libéré mardi dernier par ses ravisseurs dans le cercle de Ménaka, après une escale à Gao, est arrivé à Bamako hier. Cette libération est intervenue, contrairement à certaines allégations, sans que les autorités cèdent au chantage des terroristes. Ceux-ci demandaient comme monnaie d’échange, la libération de quatre de leurs camarades arrêtés dans le nord du Mali. Il s’agit de deux Algériens, d’un Mauritanien et d’un Burkinabé. La libération est intervenue également sans que le Mali cède aux sollicitations de la France qui, en l’espace de quelque jours, a délégué à deux reprises son ministre des affaires étrangères venu à Bamako pour demander aux autorités de tout mettre en œuvre pour obtenir la libération de l’otage français.

Les deux fois, Bernard Kouchner a dû repartir bredouille, les autorités ayant jugé une sortie de crise à leur manière. Et de fait, la voie choisie par le Mali a été un procès en bonne et due forme des quatre présumés terroristes. En l’absence de tout autre motif d’inculpation, les quatre hommes ont été accusés de détention illégale d’armes. Ils ont été jugés la semaine dernière et ont écopé chacun de neuf mois de prison ferme. Etant détenus depuis avril 2009, ils avaient donc, au moment de leur condamnation, déjà purgé leur peine en détention préventive. Après quelques formalités administratives, c’est tout logiquement qu’ils ont recouvré la liberté dimanche dernier. Quelques heures plus tard, Al Qaïda qui n’avait plus aucune raison de garder en captivité Pierre Camatte a relâché le Français. L’histoire aurait dû s’arrêter là. Mais non.

Que faut-il craindre ?

C’est la Mauritanie qui a donné le ton. Elle a décidé de rappeler son ambassadeur au Mali. Elle a été suivie de près par l’Algérie. Pourquoi ? Ces deux pays ont avancé le même langage diplomatique. Les diplomates ont été rappelés pour consultation. En réalité, ces deux pays reprochent au Mali d’avoir libéré leurs compatriotes, cédant ainsi aux exigences d’Al Qaïda. Allant plus loin, l’Algérie accuse le Mali d’avoir violé les règles des conventions de coopération judiciaire en refusant de lui livrer les deux Algériens dont elle avait demandé l’extradition. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’officiellement l’Algérie n’avait aucune autorité ou légitimité à demander l’extradition de ces deux hommes. En effet, les autorités algériennes n’ont aucun chef d’inculpation, aucun acte d’accusation. Elle n’a jamais émis aucun mandat d’arrêt international. Pire, tout en sachant pourtant que le Mali détenait deux de ses ressortissants, l’Algérie ne s’était jamais empressée de les réclamer.

Et même lorsqu’elle l’a fait, c’était sans véritable conviction. En effet, si l’Algérie voulait vraiment l’extradition de ces deux hommes, elle n’allait pas attendre la dernière minute pour en faire la demande et, dans le même temps, offrir aux autorités maliennes un soi-disant arsenal juridique pour résister aux pressions. En réalité, l’Algérie, dont personne ne n’ignore les véritables desseins dans la gestion de l’insécurité dans la Bande, entendait laisser le Mali faire le sale boulot, nettoyer les écuries d’Augias et tirer les marrons du feu. L’Algérie ne pouvait pas se permettre, même si le Mali avait accepté, d’accueillir chez elle ces deux hommes et de leur offrir un procès équitable et public. Ces hommes ont été formés en Algérie, un pays qu’ils connaissent parfaitement. Ils sont des créatures de la sécurité militaire et de l’armée nationale et populaire. Ils ont eu des liens étroits avec plusieurs responsables de ces deux nébuleuses. Ils savent ou soupçonnent pourquoi leur pays a connu une décennie sanglante. Ils savent qui tire en réalité les ficelles dans ce pays. Bref, ils savent beaucoup trop de choses pour qu’on leur donne la chance de s’exprimer en public. En fait, à cause des clivages qui perdurent encore dans leur pays, ils n’auraient pas survécu à une extradition, une fois la frontière franchie.

Garder le profil bas

Quid de la Mauritanie ? Ce pays aurait eu intérêt à garder le profil bas. Les cinq otages, encore aux mains d’AQMI, ont été enlevés chez lui, grâce à des complicités locales, avec des logistiques locales. Certaines sources font de plus en plus état de l’implication de certains officiels mauritaniens, vu la facilité avec laquelle sont menées certaines actions sur ce territoire. La Mauritanie, informée comme l’Algérie de la détention au Mali d’un de ses ressortissants, n’a jamais demandé d’extradition. Certains officiels craindraient-ils que ce Mauritanien, une fois libre au Mali ou remis aux autorités mauritaniennes, se mettent à table en révélant des faits qui doivent être enfouis à jamais ? Il faut le croire.

Par ailleurs, le chef d’Etat malien a toujours demandé une conférence internationale sur l’insécurité (narcotrafic, banditisme, trafic d’armes et terrorisme confondus) dans la bande sahélo saharienne. Un tel forum a pour mérite d’aplanir les difficultés et d’accorder les points de vue. Le revers de la médaille est qu’il est aussi l’occasion de mettre les choses à nu, autrement dit, de situer les responsabilités dans le pourrissement de la situation sécuritaire. Jusque là, l’Algérie et, dans une moindre mesure, la Mauritanie n’ont jamais fait preuve d’empressement ou d’enthousiasme. Au contraire. Et pour cause.

Cheick Tandina

Source  :   Le Quotidien de Bamako  via  www.maliweb.net le  25/02/2010

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