“Il n’y a pas d’Al Qaeda en Mauritanie”

altTaleb Ould Ahmednah, alias Abu El Barra, est l’un de ces jeunes mauritaniens qui avaient, très tôt, rejoint le Groupe Salafiste pour Prédication et le Combat (GSPC), l’ancêtre d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) qui fédère depuis 2007 tous les mouvements islamistes armés. Il faisait fréquemment la navette, au service de la cause jihadiste, entre les différents camps d’entraînement du mouvement en Algérie et au Mali. arrêté le 21 juin 2009 au Sénégal, il a été extradé en Mauritanie le 11 novembre de la même année. Depuis, il croupit dans la prison civile à Nouakchott, accusé d’appartenance à Al Qaeda. Nos confrères de l’ANI l’ont interrogé dans sa cellule, nous vous proposons la traduction de cet entretien qui fait bien de nouvelles révélations sur l’installation de la nébuleuse terroriste et ses projets dans le pays. ANI: Quand est-ce qu’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) a commencé à s’intéresser à la Mauritanie ? O. Ahmednah: L’organisation Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) portait le nom de GSPC. Elle voyait la Mauritanie comme simple base arrière pour elle. En avril 2005 et après l’arrestation des jeunes revenus des camps et d’un groupe d’oulémas, l’organisation a opéré l’attaque de Lemghayti en juin 2005. Au départ ce n’était qu’une attaque préventive et une réaction à l’interpellation des jeunes et des oulémas. Personnellement, c’est une opération que je récuse et dénonce énergiquement. Dès lors, la Mauritanie a été placée dans la ligne de mire du mouvement qui avait perpétré ses opérations connues à Ghallaouiya et à Tourine. Des opérations que je condamne également et qu’ils estiment être soit pour la prévention soit pour se défendre comme s’était le cas à Tourine. Ils avaient un autre objectif mais ils avaient remarqué la présence d’une unité de l’armée qui tombée dans leur embuscade. Les soldats s’étaient rendus, ils les ont tués et coupés leurs têtes. ANI : Depuis quand l’organisation dispose d’une représentation en Mauritanie et qu’elle a été l’histoire de son installation ? O. Ahmednah: Il n’existe pas de branche d’AQMI en Mauritanie et les émirs de l’organisation n’avaient investi personne de la mission de le créer. Cette histoire a commencé en 2007 lorsque l’émir Khaled Abou Abbas (Bellaouar) m’avait chargé personnellement de repérer une personnalité occidentale importante en Mauritanie à condition qu’elle ne soit pas de nationalité américaine, anglaise ou française. J’ai accompli la mission convenablement, car j’avais chargé un groupe lié à moi à Nouakchott de faire le nécessaire. Ils avaient choisi la deuxième personnalité à l’ambassade d’Allemagne. J’étais à Bamako et lorsqu’ils m’ont informé de la réalisation de l’opération de repérage, je me suis rendu dans les camps de l’organisation pour les informer des détails du sujet. Aussitôt un commando, constitué de six personnes et dont j’en faisais partie, a été chargé par l’émir Khaled d’exécuter cette tâche. Le commandement du groupe a été confié à Khadim Ould Semane et nous partions accompagné d’une voiture qui transporte un élément qui devrait nous attendre à la frontière jusqu’à notre retour avec l’otage. Sur le chemin, nous nous sommes accrochés avec des Brabichs qui ne tarderont pas à nous reconnaître, s’excuser pour nous et nous pûmes continuer notre route. Khadim Ould Semane occupait la cabine du camion qui nous transportait. A ses côtés, il y avait un algérien qui s’appelle Abou Hafs Al Jazairi qui, à la frontière mauritano-algérienne avait décidé de ne plus continuer avec nous, exprimant son mécontentement face au comportement d’Al Khadim. On ne connaît pas exactement ce qui s’était passé entre eux, toujours est-il qu’Abou Hafs et son véhicule se sont séparés de groupe nous laissant, cinq personnes, entrer à l’intérieur de la frontière mauritanienne à travers le Sahara. Il était prévu qu’on exécute l’opération et qu’on revienne rapidement avec l’otage. Après quatre jours de voyage terriblement pénible nous arrivâmes à la capitale Nouakchott. Un élément parmi ceux que j’avais mobilisés était à notre attente. Il nous emmena dans un domicile à Tayaret où nous avions passé la nuit. Et nous informa que l’objectif a disparu de la circulation depuis deux jours et qu’il aurait peut être voyagé. Nous décidâmes d’attendre la réapparition de “l’objectif” ou son retour du voyage, mais le domicile qu’on occupait était exposé et pas stratégique, c’est pourquoi on avait loué un nouveau domicile à Tevragh Zeina. Après notre arrivée, j’avais remarqué que Khadil était perturbé et avait à chaque fois une nouvelle interprétation ou un nouvel avis qui n’ont point de rapport avec notre mission initiale. Tantôt il soutenait qu’on doit occuper le restaurant VIP, prés de l’ambassade d’Israël, parce que les juifs le fréquentaient et tantôt il nous disait qu’il était de notre devoir d’enlever un citoyen français. Chaque jour, il nous apportait un ordre qui nous perturbait. Je lui ai expliqué que je n’appréciais pas ses manières et lui ai rappelé que l’émir Khaled nous avait défis une mission bien claire et qu’il nous incombe de l’exécuter et de revenir rapidement dans les camps. En plus de cela, il violait les instructions de l’émir khaled en sortant tous les jours de la maison et ne revenant que très tard le soir, alors qu’on nous avait interdit de circuler dans la ville et que s’il y avait une urgence c’était à moi de sortir parce que je n’étais pas connu des services de la police et je n’étais pas recherché. Quant à lui, il était recherché et très connu des services de la police. Jour après jour, il me paraissait qu’il n’était plus animé par la volonté d’exécuter l’opération pour laquelle nous avons été envoyés. Il refusait de me donner la puce à travers laquelle on pouvait communiquer avec l’émir Khaled afin de l’informer sur notre situation. Il nous apportait fréquemment les informations les plus contradictoires et les moins précises. Face à cette situation, j’ai décidé de me retirer et d’aller au Sénégal. Après mon départ, il avait monté l’opération du port qui lui a permis de gagner une grosse cagnotte. Il avait envoyé 54 millions pour l’organisation et a décidé d’en garder dix millions. Je ne sais point comment il s’était justifié une telle largesse, toujours qu’il s’était marié et qu’il a pu désormais avoir une réserve. Après l’opération d’Aleg au cours de laquelle avaient été tués les français, l’émir lui avait ordonné de faire une opération d’envergure contre l’ambassade d’Israël pour redorer le blouson de l’organisation. Il s’était attaqué nuitamment aux murs et a empêché ses accompagnateurs de finir le boulot. Les chefs de l’organisation le pressaient d’exécuter l’opération pour laquelle il était dépêché et de revenir rapidement dans les camps. Il les trainait et a même réussi de les convaincre de ce qu’il pensait faire: une grande opération qui permettra de récupérer des sommes importantes pour le compte du mouvement. Il leur demanda de lui envoyer des hommes pour exécuter le plan et ramener les montants aux bases-arrière de l’organisation. Une équipe est expédiée sur le champ pour accomplir cet objectif. Taqui Ould Youssouf était l’un de ses membres. A Nouakchott, ils ne trouveront rien… Suite aux combats qui se sont déroulés à Tevragh Zeina en avril, Taqui Ould Youssouf et ceux qui étaient arrivés avec lui décident de se retirer avec la voiture de l’organisation. A leur sortie de Nouakchott, ils l’appellent et lui demandent de les regagner, la même soirée. Il refuse d’obéir à leurs sollicitations arguant que les forces de l’ordre quadrillent la capitale. La vérité est qu’il ne voulait pas revenir dans les bases de l’organisation de crainte d’être sanctionné parce qu’il avait outrepassé sa mission, refusé d’appliquer les instructions et a ainsi, comme ils le soutiennent, gâter la scène mauritanienne. Moi, personnellement, j’ai rencontré des émirs qui estiment qu’Al Khadim leur avait porté plus de torts et qu’ils n’étaient pas du tout contents de lui. ANI : Qu’est ce que vous dites à propos de la Bey’a (l’allégeance) que Khadim avait prise, au près de l’émir Khaled, pour le compte de certains jeunes aujourd’hui en prison ? O. Ehmednah : L’émir Khaled n’avait chargé personne de collecter les allégeances en Mauritanie pour l’organisation. El Khadim n’a même pas fait allégeance à l’organisation pour qu’il soit chargé de la collecter auprès des gens. Lorsqu’il était arrivé dans les camps et a été chargé de diriger le commando dont je fus membre et dont la mission était d’enlever le chargé d’affaires allemand, il avait demandé à leur faire allégeance. L’émir Khaled lui a répondu d’aller accomplir la mission dont il avait été chargé et de revenir après pour discuter les questions d’allégeance. ANI : Qu’est ce que vous dites concernant l’organisation ‘’les soutiens d’Allah Almoravides en terre de Chinguitti’’ et quelle est sa relation avec AQMI ? O.Ahmednah : Il n’y a pas de relation d’Al Qaeda avec ce sujet qui est une pure création de Khadim Ould Semane dont il n’a été point chargé. Pire. Lorsque l’émir Khaled avait appris qu’il collectait les allégeances au sein de la jeunesse, il lui a ordonné de cesser cela et de rentrer rapidement dans les camps. Ils estiment qu’il avait gâté la scène et avait provoqué l’emprisonnement des innocents et qu’ils l’avaient jamais chargé de lancer un mouvement en Mauritanie. Je confirme qu’il n’y a pas d’organisation d’Al Qaeda en Mauritanie, ni dirigeants parmi les mauritaniens. N’est pas chef d’Al Qaeda tout celui qui laisse pousser ses cheveux ou sa barbe, exécute une ou deux opérations. ANI : Quoi au sujet des mauritaniens dans les camps ? O. Ahmednah : pendant les derniers temps, il y avait une présence notoire des mauritaniens dans les camps de l’organisation. Il est sûr qu’il y a ceux qui envoient les jeunes adolescents vers ces camps à tel point que le nombre de mauritanien ne cesse d’augmenter. Ils ne sont ni demandeurs de savoir ni oulémas… Cela a eu une répercussion négative sur la scène. ANI : Es-tu toujours membre d’Al Qaeda ou l’as-tu abandonnée ? O. Ahmednah: Moi, personnellement, j’ai abandonné l’organisation depuis un certain temps. Après les fatwas de certains oulémas salafistes dans le pays et leur décision que cela n’est pas un Jihad et n’a aucun rapport avec l’Islam, mes convictions avaient bien changé et j’ai décidé de laisser tomber de telles idées. Source : Biladi le 11/02/2010

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