Les hubs du Golfe asphyxiés par le Covid-19

Plus de 800 avions sont cloués au sol dans les aéroports du Golfe. Au carrefour des routes aériennes qui relient Asie, Europe et Afrique, la région s’inquiète de la survie d’une industrie stratégique pour diversifier une économie trop dépendante des revenus des hydrocarbures.

« En 21 ans de carrière j’ai vécu plusieurs crises sanitaires, le SRAS et Ebola notamment, mais rien n’a jamais autant affecté l’aérien que la pandémie de coronavirus. C’est une chute vertigineuse, de plusieurs rotations par semaine à ne plus voler du tout… », explique Feras Malallah, un pilote basé au Koweït.

Situation identique aux Émirats arabes unis (EAU) voisins où le gouvernement a temporairement suspendu la majorité des vols commerciaux à destination ou en provenance des terminaux de la fédération, provoquant la mise à l’arrêt quasi total des hubs aéroportuaires d’Abou Dhabi et de Dubaï où se croisent chaque année plus de 100 millions de passagers.

Chez le géant du vol long-courrier Emirates, 270 appareils et plus de 20 000 membres d’équipage sont cloués au sol. Dans un communiqué, Ahmed Ben Saïd Al-Maktoum, le PDG de la compagnie affirme ne plus pouvoir exploiter les vols de passagers de manière viable « « tant que les pays n’auront pas rouvert leurs frontières ». Le sexagénaire ajoute que « plutôt que de demander aux employés de quitter l’entreprise », Emirates a choisi de « réduire temporairement » de 25 à 50 % les salaires de base pour une durée de trois mois.

Chez le concurrent Oman Air, plusieurs centaines de personnels navigants ont vu leur contrat de travail prendre de fin brutalement. Qatar Airways, sous tension après une perte de 639 millions de dollars (583 millions d’euros) en partie causée par le blocus imposé à l’émirat depuis 2017, a pour sa part licencié 200 employés.

Plus de six milliards d’euros de pertes

 

Selon des estimations publiées mi-mars par l’Association internationale du transport aérien (IATA), le coronavirus pourrait coûter aux compagnies aériennes du Golfe plus de 7 milliards de dollars (6,39 milliards d’euros). Au niveau mondial, la pandémie anéantit la demande et l’agence de notation Moody’s prévoit la suppression de plus d’un quart des vols commerciaux sur 2020. La situation est d’autant plus perturbée pour les compagnies des pays qui se sont imposés sur le segment du transit, consistant à acheminer l’ensemble des passagers sur un hub aérien implanté à la jonction de grandes routes commerciales, avant de les dispatcher vers leur destination finale à bord d’un second vol. À mi-chemin entre l’Europe et l’Asie, une route qui compte pour un quart de l’ensemble des distances parcourues par les passagers de vols internationaux dans le monde, les aéroports de Dubaï et de Doha prospèrent sur un modèle économique connu pour accroître les taux de remplissage des appareils. Pourtant, ce modèle demeure particulièrement « vulnérable » aux restrictions à la libre circulation des personnes, selon Singapore Airlines, un autre spécialiste du transit.

Le trésor de guerre d’Emirates

 

« Suspendre l’ensemble des vols est une décision sensée. Comme je l’ai dit depuis les premiers jours de la crise, le coronavirus ne voyage pas seul ! Les compagnies aériennes sont la cause numéro un de la dissémination », rappelle Feras Malallah. « Et puis c’est l’occasion pour ma famille de profiter de ma présence ; ma femme est heureuse de me voir à la maison », ajoute-t-il.

Si le pilote relativise, les transporteurs aériens doivent s’armer financièrement pour traverser une crise sans précédent : IATA met en garde face au risque de faillites multiples si l’effondrement de la demande continue d’impacter le secteur au-delà du mois de mai. Contactée par Orient XXI, la chargée de communication de la compagnie low cost émirienne Flydubai indique qu’il est « encore trop tôt pour évaluer l’impact à long terme ». Qatar Airways, Oman Air et la Saudia n’ont pas donné suite à nos demandes d’interviews. « Des opérateurs plus petits et indépendants comme SaudiGulf, Jazeera Air, Flynas et quelques autres peuvent être à risque, mais c’est trop tôt pour juger », ajoute Saj Ahmad, chef analyste chez StrategicAero Research. Selon lui, la suspension temporaire du trafic aérien aux Émirats permet aux compagnies de réduire leurs dépenses et préserver des liquidités qu’il juge saines. « Emirates est assis sur un trésor de guerre de près de 6 milliards de dollars » (5,47 milliards d’euros), dit-il.

« Nous allons nous en sortir », écrit avec confiance le patron d’Emirates, compagnie fondée en 1985 sur ordre de l’actuel vice-président et premier ministre des EAU. « Si toutes les compagnies aériennes du monde sont actuellement menacées, il est peu probable que les industries du Golfe laissent leurs compagnies aériennes nationales faire faillite », nous explique l’économiste bahreïnien Omar Al-Ubaydli. Pour Muhammad Albakri, le vice-président d’IATA en Afrique et au Moyen-Orient, la survie des transporteurs du Golfe dépendra en partie du type d’aides gouvernementales qu’ils recevront. Afin de prévenir les faillites, l’association « encourage les gouvernements à aider les compagnies », déclare-t-il à Orient XXI.

 

 

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Sebastian Castelier

Journaliste indépendant.

Source : Orientxxi.info

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