Mauritanie- FLAM : 30 ans après, retour au pays natal.

M. Samba Thiam, président des FLAM au congrès des FLAM tenu en 2011 près de Paris. DR Garba DialloLes Forces de Libération Africaines de Mauritanie sont un mouvement qui prôna la lutte armée jusqu’à la chute de M. Ould Taya en 2005. Leur objectif est de mettre au cœur du débat politique en Mauritanie la question de la cohabitation entre les différentes communautés qui composent le pays. Préoccupé par l’irrédentisme Touareg au Mali et des contestations politiques sur le front intérieur, le régime de M. Mohamed Ould Abdel Aziz va devoir composer avec le retour d’une organisation qui maintient l’option de l’autonomie des régions du sud du pays.

Un an presque jour pour jour après leur dernier Congrès tenu en France (fin mai 2011), les Forces de Libérations Africaines de Mauritanie (FLAM) sont en passe de concrétiser une des plus importantes résolutions dudit congrès : le redéploiement en terres mauritaniennes.

Rétrospective

Eté 1986 : La Mauritanie est en effervescence. Le gouvernement de Mouawiya Ould Taya venait de découvrir un document, le Manifeste du négro-mauritanien opprimé, qui faisait le procès de la cohabitation entre les différentes nationalités du pays (officiellement : Arabes, Peuls, Soninkés Wolofs). Si le constat est sans concession, le document ne manque pas d’appeler au dialogue entre « Mauritaniens, pour se dire la Vérité ». Le pouvoir réagit alors par la répression : des cadres  négro-africains sont arrêtés et d’autres activement recherchés. Après un procès rapidement expédié, les principaux animateurs de l’organisation sont envoyés au fort de Walata où quelques uns (Ba Abdoul Ghoudous, Ba Alassane Oumar, Djigo Tafsirou et l’écrivain Tène Youssouf Guèye,) décéderont des conséquences d’une détention éprouvante. Commence alors le long exil des FLAM.

Le long exil

Dans le chaudron sénégalais, les exilés avaient mis à profit le rassemblement des victimes, la proximité des camps et la disponibilité des cadres pour se restructurer. Au point que pour certains, même si politiquement l’organisation n’a pas harcelé le pouvoir mauritanien au point de lui imposer un dialogue sur « la question nationale », elle mit à profit ce passage pour affuter ses armes.

Le soutien espéré des autorités sénégalaises a-t-il tardé à se matérialiser ? L’organisation a-t-elle fait les frais de la realpolitik ? Toujours est-il qu’en juillet 1999 son porte-parole M. Kaw Touré est expulsé vers la Suède. Première désillusion. Dans le même temps, l’appui de la Communauté Internationale s’amenuise. Le HCR réduit progressivement son appui aux réfugiés Mauritaniens. Deuxième coup dur : des cadres du mouvement sont envoyés aux USA. Certains y voient la main du pouvoir de Nouakchott de moins en moins rassuré de savoir à ses portes ses ennemis irréductibles. Pour l’organisation, la décision n’est pas sans risques : en s’éloignant encore un peu plus du pays, ne risquait-elle pas de se couper des réalités du terrain et des militants ? Désormais écartelée entre l’Afrique, l’Amérique et l’Europe, l’organisation assista à l’émergence de nouvelles structures qui se positionnent sur les mêmes thématiques : AJD, PLEJ voire, par certains aspects, l’UFP, héritière du MND, un ancien mouvement clandestin de gauche.

La secousse de 2005

La chute du dictateur Ould Taya en 2005 surprend l’organisation dans son exil. Convaincus de l’opportunité de porter le combat sur le terrain, des cadres du mouvement font scission après le très agité congrès de Cincinnati en décembre 2005. Des figures de proue décident de créer alors FLAM/Rénovation avant de rejoindre AJD pour former AJD/MR à la tête de laquelle est porté Ibrahima Moctar Sarr, un négro-mauritanien candidat à l’élection présidentielle de 2007. Malgré la rudesse du coup, le mouvement tangue sans sombrer. Mais de plus en plus, la question du redéploiement sur le territoire national devient incontournable.

2011, le congrès du tournant

Au VIIème congrès tenu à Paris en 2011, le président du mouvement M. Samba Thiam pose des actes forts et annonce que son organisation n’est pas « … en mesure de venir à bout, toute seule, du Système en cours ». Il en appelle au rassemblement des forces patriotiques qui poursuivent le même but et annonce le prochain redéploiement de l’organisation en Mauritanie. Un an après, les FLAM semblent prêtes pour embarquer vers de nouvelles aventures.

Après près de trois décennies, quel bilan tirer de ce long exil ? Pour Kaw Touré, « l’organisation a pu étendre son réseau de relations et dispose de plus de visibilité et de poids. Elle a accru son aura internationale. Sur un plan plus individuel, ses cadres  se sont formés et sont financièrement à l’abri du besoin ».M. Kaw TOURE, porte-parole des FLAM au congrès de Paris. DR A. Diagana/Kassataya

Mais des questions demeurent.

La décision tombe à un moment où les positions se cristallisent entre le pouvoir et l’opposition. Sur le front des thématiques chères aux FLAM, l’AJD/MR est revenue de son compagnonnage avec le président Ould Abdel Aziz. D’autre part, le recensement engagé depuis mai 2011 a favorisé l’éclosion du mouvement Touche Pas à Ma Nationalité, essentiellement composé de jeunes negro-mauritaniens s’estimant victimes de discriminations et d’une volonté d’exclusion de la part du pouvoir. Les mêmes inquiétudes qu’en 1966 et qu’en 1986. C’est dire si la question reste actuelle.

Les FLAM devront donc gérer la question du positionnement sur l’échiquier politique ainsi que les incontournables jeux d’alliances à élaborer : quels seront leurs rapports avec ceux qui ont entretenu la flamme sur le terrain pendant les années d’exil ? Sur ce point, Kaw Touré, le porte-parole du mouvement rassure : « Nous ne rentrons pas pour faire concurrence aux autres qui ont eu le mérite de rester sur le terrain pour poursuivre le même combat que nous. Nous allons rechercher le rassemblement de toute la mouvance mais en cas d’échec, nous estimons qu’il y a suffisamment de place pour une nouvelle structure politique. Beaucoup de Mauritaniens ne sont pas structurés et pourraient se retrouver dans notre combat : des noirs déçus des différentes orientations, des beydanes progressistes… ».

Victimes d’une vaste campagne de diabolisation par le régime de Ould Taya au point de passer pour « infréquentables », les FLAM devront surtout réussir le test de la décontamination des esprits habitués à les percevoir comme des extrémistes antis arabes et ne cherchant que la partition du pays.  Kaw Touré se montre optimiste : « Nous avons quand même été reçus par l’ancien président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Après son renversement par le coup d’Etat de Ould Abdel Aziz en 2008, nous avons renoncé à notre redéploiement qui était déjà à l’ordre du jour. Nous avons alors travaillé avec certaines formations mauritaniennes pour faire échouer le coup d’Etat. Nous avons appris à nous connaître. Enfin, certains partis et des organisations de la société civile ont répondu à notre invitation lors de la conférence de presse de la semaine dernière. Même avec l’UFP [Union des Forces du Progrès, progressisteinvitée au congrès de Paris NDLR], les relations sont apaisées et nous arrivons à trouver des points de convergence ».

M. Ould Abdel Aziz qui trouve légitimes les revendications des indépendantistes Maliens sera-t-il rassuré par ce retour d’un mouvement qui ne fait pas mystère de ses revendications autonomistes ? Pour briser la glace, l’organisation sait qu’elle devra en faire plus afin de rendre audibles ces passages du Manifeste du Négro-mauritanien opprimé : «…Il faudrait que le Négro-mauritanien comprenne qu’il ne doit pas s’insurger contre le Beydane en soi, mais contre l’appareil d’Etat arabo-berbère raciste et oppresseur, afin que Blancs et Noirs puissent enfin dialoguer à égalité, se battre ensemble pour des lendemains plus certains[…] Les problèmes mauritaniens doivent être posés par des Mauritaniens, discutés entre Mauritaniens et solutionnés par les Mauritaniens eux-mêmes. Notre amour pour ce pays nous commande à inviter toutes nos nationalités à un dialogue des races et des cultures, dans lequel nous nous dirons la Vérité pour guérir nos maux. Il faut que nous traduisions dans la réalité nos appels au Salut National et au Redressement de notre pays, au lieu de dépenser toutes nos ressources et toutes nos potentialités humaines dans des querelles raciales et culturelles dont les principaux bénéficiaires ne seraient certainement pas les Mauritaniens ».  Tout un programme.

De retour au pays, les FLAM seront sans doute accueillies par ceux dont elles ont porté les revendications au prix de privations en tous genres. Seront peut-être aussi au bas de la passerelle leurs compatriotes Beydanes dont elles sont réputées si éloignées. Mais après les premières effusions et les premières accolades, le plus dur restera à faire.

Abdoulaye DIAGANA

KASSATAYA

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